Solo d’Arturo Brachetti
Solo d’Arturo Brachetti
On le voit d’abord virtuellement en projection 3D, donner les dernières consignes: une superbe introduction pour ce nouveau spectacle où il sonde ses rêves d’enfance, reflet d’un inconscient universel et se concentre sur son histoire personnelle, entraperçue dans ses précédents et brillants spectacles, L’Homme aux mille visages et Brachetti fait son cinéma. Il reprend ici l’idée du grenier où il jouait, enfant, et le transforme en maison familiale, sous la forme d’une maison de poupée, et en explore une à une toutes les pièces. Un formidable album en saynètes avec, pour fil narrateur, un parcours initiatique fait de bonheurs et de désillusions. Avec aussi une vision douce-amère de sa jeunesse, qui rappelle constamment l’univers de Federico Fellini (un de ses mentors), avec des personnages hauts en couleur…
Une boîte tourne sur elle-même et il fait son entrée. «Bienvenue dans ma boîte, la maison de mes rêves » et il va nous en faire visiter une à une les sept pièces qu’il illustrera par des tableaux. Au salon, la télé rediffuse des extraits d’émissions de sa jeunesse mais aussi des séries actuelles. Pour faire passer sans temps mort les transformations, des personnages sortent du petit écran. Au programme : Happy Days, Breaking bad (un mixeur et du cannabis en projection sur le décor), Star Trek (un faisceau laser et une maquette du vaisseau Enterprise), Batman, J. B. Fletcher, Bart Simpson (en peluche), Wonder Woman, Baywatch, Kermite la grenouille (en marionnette), La Famille Addams (une ampoule qui s’allume dans la bouche), Sherlock (avec une grosse loupe), Ghostbusters (apparition d’un fantôme gonflable avec projections 3D pour animer les yeux et la bouche).
« Bonsoir les amis. La pièce de mes souvenirs est le grenier… Toute une archéologie familiale des années 1970. C’est là que j’ai retrouvé le chapeau de mon pépé. Un chapeau troué… Mais moi, j’ai rempli ces trous par la fantaisie… » Arturo Brachetti réalise alors vingt-cinq personnages avec un simple anneau de feutre noir dans la tradition du bateleur Tabarin (1584-1626) : se suivent ainsi d’Artagnan, John Wayne, don Camillo, un cardinal, un torero, Arlequin, l’amiral Nelson, l’horloge Big Ben, Gloria Swanson dans Sunset Boulevard, Casanova, le capitaine Crochet, un bébé, Sainte-Catherine, etc.
Apparait alors derrière Arturo Brachetti, une Ombre qui suit ses mouvements puis devient vite récalcitrante et se matérialise ensuite en vrai personnage joué par un comédien africain.La visite de la maison familiale continue avec la chambre des enfants remplie de jouets, puis la salle de bains. Décor qui se matérialise sur la scène. La chambre d’Arturo va ensuite être visitée par une micro-caméra tenue par l’Ombre. Une fée en vidéo-projection, et jouée par le transformiste, fait apparaître sur scène un grand livre dont la première page représente le Petit chaperon rouge avec le loup surgisant de l’image projetée. Vont se succéder Peter Pan avec des lucioles vertes qui lévitent et autour de lui, Alladin sur son tapis volant… Il y a aussi le miroir de la Maléfique et Blanche-Neige sortant de la maison des sept nains, entourée d’animaux de la forêt. Puis on entend le Prince charmant arriver sur son cheval et s’arrêter quand la robe de Blanche neige est soulevée. Tableau suivant avec Shrek et Cendrillon, dont la guenille se transforme en magnifique robe de soirée.
On peut voir ensuite la chambre de l’amour et du Pouvoir. « Chez nous, il y avait maman qui faisait toutes ses robes toute seule.» Une machine à coudre fonctionne et une robe apparait, au rythme d’une valse que danse Arturo Brachetti dans une belle séquence poétique. La caméra se dirigeensuite vers le jardin où l’orage gronde sous un déluge de pluie, dans la tradition des bruiteurs. Tout le monde se réfugie dans la cuisine. Entre un grand comptoir et deux entrées, l’artiste va alors enchaîner une incroyable performance à six personnages où il reprend l’idée du saloon de L’Homme aux mille visages… un thriller espagnol (2016) d’Alberto Rodríguez, à la John Le Carré, Avec une scène de ménage à la Georges Feydeau: un pâtissier, une grand-mère en fauteuil roulant tenant un fusil, ou encore un marié et une mariée, confondus en un même personnage suivant le profil exposé!
Sur l’écran, la pluie, la maison miniature se déplace dans l’orage grâce à un parapluie disposé dans la cheminée. L’Ombre d’Arturo Brachetti lui demande s’il peut faire voler les ombres. Il en réalise alors une série sur grand écran. Nous revoyons avec plaisir ce tableau déjà présent dans ses précédents spectacles, où défilent la Tour Eiffel, la Tour de Pise, un joueur de tambour, un cygne, une colombe, trois races de chien, un éléphant…
«Le couloir est un lieu de passage, de transition, hors du temps. » Le magicien s’arrête devant une fenêtre pour apprécier les saisons qui passent Devant un grand paravent avec projection d’images, il va revisiter de façon magistrale les tableaux des quatre saisons. L’Automne d’abord, en habit et avec un parapluie, un peu comme dans un tableau de René Magritte. Ensuite l’Hiver minimalisme façon Piet Mondrian. Après le tour du papier déchiré qui se transforme en poussière, le Printemps de Claude Monet avec ses nymphéas. Pour finir en beauté solaire, l’Eté de Vincent Van Gogh avec un ruban de couleur et de nombreux tournesols ! L’Ombre écrit différentes pensées sur des feuilles qu’il jette par terre. «Un peu de fantaisie. Vous voyez ça ? – alors imaginez-le. » Comme dans la séquence-culte d’Arturo Brachetti fait son cinéma, le magicien va mimer des actions avec juste des bruitages… Force du cinéma primitif, alliée à la précision gestuelle.
Arrive un aveugle avec sa canne, attribut fétiche du célèbre Charlot, et qui va se transformer en club de golf, canne à pêche, rame, archet, baguette de chef d’orchestre, etc. Avec de savants bruitages. L’artiste convoque alors le transformisme mais sans aucun costume, et avec des objets invisibles: Arturo Brachetti mime des personnages qui se succèdent par l’intermédiaire d’un objet longiligne. Il y a ici mille fois plus de magie que dans tous les tours de grandes illusions réunis. Une magistrale leçon d’économie et de simplicité.
«Nous pouvons tout imaginer dans une page blanche ou un grain de sable.» Séquence de peinture avec du sable, comme dans sa Comedy Majik Ch, il réalise ici un tableau d’une maison sous le soleil, puis sous la pluie. Dans une éclaircie, chantent les oiseaux et fleurissent les fleurs. Par une fenêtre, on entrevoit un poste de télévision avec, à l’intérieur, une robe, des livres et le portrait d’Arturo écrivant le titre de son spectacle : Solo. Une belle séquence que cette mise en abyme.
« Je vous ai ouvert toutes les portes de ma maison, dit-il. C’est maintenant à vous, de m’ouvrir les vôtres.» La caméra, toujours manipulée par l’Ombre, cible une spectatrice au premier rang. Elle confie son sac à Arturo Brachetti qui en sort jumelles, sandwich, téléphone portable, qui déverrouillé, va transmettre des photos de conversations puis la liste musicale de cette mystérieuse lady… Prétexte un peu lourd, pour faire une transition avec un tableau où apparaissent Luciano Pavarotti qui porte costume en forme d’armoire qui s’ouvre pour laisser apparaître une pizza, Elvis Presley, Les Beatles, Edith Piaf (avec un corps de marionnette), Madonna, Beyonce, Céline Dion (avec la projection du Titanic qui coule et dont le costume va s’envoler), Michael Jackson et Freddy Mercury… Il y a ensuite, en projection 3D, différentes portes comme dans un tableau de René Magritte, s’ouvrant sur sept objets que l’on a découvert au fil du spectacle. Arturo Brachetti, muni d’un laser, combat avec son Ombre, puis se dédouble et s’anime à la façon des sabres rouges et bleus dans Star Wars.
Les faisceaux se multiplient et construisent une prison de lumière, puis une boîte triangulaire où sont pris au piège les protagonistes. Arturo Brachetti réussit à s’échapper de cette cage en lévitant jusqu’aux cintres dans une multitude d’étoiles. Il tourne ensuite sur lui-même comme une toupie et on voit alors sur le tulle à l’avant-scène et en fondu enchaîné, des portes prises dans une tornade. Un effet saisissant de beauté et une variation poétique de l’univers ultra-codé du maître des lasers Theo Dari.
La maison apparaît mais est prise dans un cyclone qui se matérialise sous forme de papiers tenus par Arturo Brachetti.« Pensée n°1.000 : ton ombre est heureuse de te voir voler.» Les papiers s’envolent et se démultiplient par centaines dans un effet 3D. L’artiste termine en changeant de costume, passant du noir au blanc, de l’ombre à la lumière (une fin de la majorité de ses solos). Un escalier apparaît et il nous fait découvrir l’envers du décor.
Magnifique conclusion pour clore de façon subtile ce voyage intérieur, fait d’artifices et de rêves, et dont le public est complice et Solo fait bien partie du parcours exceptionnel de ce maître du transformisme à l’incroyable audace et à la formidable présence scénique. Arturo Brachetti, soucieux de recherches et de perfectionnement technique permanents et artiste unique au monde, à la générosité contagieuse, a toujours su se renouveler. Mais l’invention de ce double est sans doute une fausse bonne idée qui plombe certaines scènes qui deviennent vite répétitives, et cette Ombre qui a un jeu presque inexistant, est plus un faire-valoir… pour laisser le temps de préparer le prochain décor…
Que dire de certains tableaux d’une vulgarité et d’une laideur indignes comme la scène des toilettes horrible et qui n’a rien à faire ici. On lui pardonnera aussi la redite de certains numéros déjà présents dans ses précédents spectacles comme le Chapeau de Tabarin, le Mime sonore, ou les ombres chinoises. Exceptionnels, ils méritaient d’être revus…
Arturo Brachetti fait l’effort de revisiter son mythique tableau des quatre saisons, en référence à la peinture des grands maîtres modernes, de donner un nouveau cadre au saloon des cowboys avec la scène de la pièce montée, de réinterpréter l’univers de Theo Dari avec ses lasers, et de donner un nouveau souffle à ses numéros de transformiste à la chaîne, en utilisant des projections 3D. Mais ce que gagne le spectacle avec ces nouvelles technologies numériques, il le perd en magie. Ces images-pas toujours pertinentes-étouffent souvent l’artiste qui se contente du minimum en termes de jeu. Dommage !
Malgré certaines réserves, Solo reste un formidable spectacle où on le voit se réinventer avec différents modes d’expression pour les fondre dans un univers nostalgique mais porté par un vent de modernité. Chacun de nous est ici propulsé dans ses souvenirs les plus intimes pour mieux accepter le présent et ne pas oublier que toutes les utopies sont possibles.
Sébastien Bazou
Spectacle vu à Dijon le 23 janvier.