Romances inciertos: Un autre Orlando,chorégraphie de François Chaignaud, direction musicale de Nino Laisné
Romances inciertos: Un autre Orlando, conception de François Chaignaud et Nino Laisné, chorégraphie de François Chaignaud, direction musicale de Nino Laisné
Par la magie de son chant et de sa danse, François Chaignaud nous entraîne une heure durant, dans une Espagne baroque, sous les traits androgynes d’un Orlando contemporain. Le titre de cette pièce hors du commun renvoie à la fois à la poésie épique espagnole, au chevalier Roland de la chanson de geste, et à l’Orlando de Virginia Woolf, un lord anglais de la cour d’Elisabeth 1er qui, en s’endormant, change de siècle et de sexe pour échapper aux normes sociales et pour tendre vers un idéal poétique. Comme dans le roman, le danseur mène cette quête de beauté dans une mue perpétuelle, à la fois vocale et corporelle, entre masculin et féminin. Quatre musiciens participent à cette aventure : orchestre hybride aux timbres réputés incompatibles, ils mêlent instruments anciens : viole de gambe, théorbe, tambourin, guitare baroque, aux sonorités plus modernes du bandonéon.
S’appuyant sur des danses populaires, la chorégraphie emprunte des gestuelle contemporaines, de même la musique s’approprie des mélodies écrites au XVIème et XVIIème siècles pour accompagner les poèmes choisis par le chorégraphe et son complice Nino Laisné. Les deux créateurs ont mené un travail de recherche conséquent sur le répertoire musical et poétique baroque et populaire de plusieurs époques : « A la confluence de musiques espagnoles de tradition à la fois orale, sacrée et savante ( …) Les mélodies issues de l’art du romance, du chant séfarade ou de la jota se sont introduites dans la musique baroque, le flamenco andalou ou encore dans les cabarets de travestis de la Movida. Les coplas (vers) eux-mêmes se sont démultipliés, et, à l’ombre des versions les plus connues, les archives gardent la trace de strophes paillardes, retraçant le destin marginal de ces figures. »
La scène est ceinte de quatre grands châssis où son projetées des peintures de scènes de chasse dans un paysage romantique ou des décors floraux. Assis aux quatre coins, les musiciens accompagnent le chant et la danse, et jouent librement pendant les intermèdes où l’artiste s’éclipse pour revenir sous les traits d’autres personnages et dans d’autres atours. François Chaignaud entre d’abord en scène dans un costume composite avec dentelles de courtisan, et fragments d’armure. Puis sa voix monte dans les aigus pour interpréter La Doncella guerrera (La Demoiselle guerrière ), une romance populaire qu’il vit intensément dans son corps. «Père, achète-moi un cheval car, à la guerre, je m’en vais », demande la jeune fille. Déguisée en chevalier, elle choisira la mort plutôt que le déshonneur.
Au deuxième acte, le danseur juché sur des échasses et paré d’une jupe bouton d’or et d’un châle somptueux, interprète les couplets de San Miguel, écrits par Federico Garcia Lorca (1898-1936), en hommage à la jota traditionnelle du Jeudi Saint, dansée dans les villages. «Comment veux tu que j’aime/ce que toi, tu aimes/toi, tu aimes les hommes/et moi, j’aime les femmes», chante-t-il, en tournoyant vertigineusement dans la peau de cette figure populaire androgyne. Quittant ses échasses avec l’aide des musiciens, il danse sur pointes Ay Amor, extrait de la zarzuela Amor aumenta el valor du compositeur baroque José de Nebra (1702-1768). Un air écrit pour une voix de femme que François Chaignaud parvient à atteindre grâce à l’étendue de sa tessiture.
Au troisième acte, apparaît La Tarara, en gitane vêtue d’une magnifique robe bleu nuit de flamenco. Il quittera cette figure mystérieuse du folklore ibérique, tel un serpent abandonne sa mue, pour se lancer dans un flamenco vif, déconstruit, à la fois viril et féminin jusqu’au bout des ongles. Héros et héroïnes du folklore hispanique se fondent ici dans la figure de ce nouvel Orlando pour construire métamorphose après métamorphose, une épopée qui nous plonge par la langue, la musique et la danse dans une culture méditerranéenne métissée.
Ces figures ne nous sont pas aussi familières qu’au public espagnol et nous ne saisissons pas toutes les paroles de leurs chants mais nous goûtons pleinement le trouble causé par leur identité incertaine. Mais c’est surtout la beauté, l’audace, l’humour parfois, de Romances Inciertos qui nous mettent en joie. Et bien au-delà des questions du genre, à la mode dans la sphère culturelle : le prochain Festival d’Avignon aura comme thématique : le genre, la trans-identité et la trans-sexualité…
Ce spectacle créé en 2017 au Théâtre Saint-Gervais à Genève, est repris en fin de tournée à Bonlieu-Scène nationale d’Annecy où le chorégraphe est artiste associé. Espérons qu’il connaîtra une plus large diffusion.
Mireille Davidovici
Spectacle vu à Bonlieu-Scène nationale d’Annecy (Haute-Savoie). T. : 04 50 33 44 11.
Festival FeMÀS, Séville, le 18 mars.