Pauvreté, richesse, homme et bête d’Hans Henny Jahnn, mise en scène de Pascal Kirsch

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© Hervé Bellamy

Pauvreté, richesse, homme et bête d’Hans Henny Jahnn, traduction d’Huguette Duvoisin et René Radrizzani, mise en scène de Pascal Kirsch

Nous vous avions dit il y a plus de deux ans tout le bonheur que nous avions eu à voir la mise en scène de cette pièce, nous, au Studio de Vitry-sur-Seine,  et ensuite Christine Friedel, au Théâtre de l’Echangeur (voir Le Théâtre du Blog). Hans Henny Jahnn (1894-1959), romancier et dramaturge allemand de Hambourg  (il écrivit notamment une Médée et Pasteur Ephraïm et était  aussi facteur d’orgue. En 1933, quand Hitler prit le pouvoir, ce virulent anti-nazi, qui avait été aussi pacifiste au moment où éclata la guerre de 14, s’enfuit heureusement à temps et s’installa au Danemark, sur l’île de Bornholm. Il y écrivit cette pièce étonnante et d’une grande poésie, bien ancrée sur la réalité paysanne quotidienne où les gens, comme le titre l’indique, sont très liés aux bêtes qu’ils élèvent. Dans leur vie, comme dans leur mort. Et dans ce monde rural, on assassine parfois des hommes mais aussi des animaux, comme cette pauvre jument… Peu de cadeaux dans une vie où on travaille très dur, sur fond de haines anciennes et vengeances diverses, envoûtements et convoitise de la femme et de l’argent d’un autre, « riche » c’est à dire moins pauvre…

Pauvreté, richesse, homme et bête, comme tout conte, est à mille lieues du réalisme. Pascal Kirsch a montée avec la passion qu’elle exige cette pièce pas facile :un grand texte, sans doute trop long, pas toujours clair et où il faut faire des coupes, mais tout à fait passionnant. Cela se passe dans un fjord en Norvège. Au départ, une histoire d’amour-même s’ils ne passent qu’une nuit ensemble-entre Sofia, une belle jeune fille pauvre (Marina Keltchewsky) et Manao Vinje (Vincent Guédon), un fermier riche qui vit seul avec sa belle jument blanche.  Quand Sofia sera violée et donnera naissance à un enfant que l’on retrouvera tué, elle sera accusée d’infanticide et fera de la prison.

Manao, le riche fermier se mariera ensuite avec Anna (Raphaëlle Gitlis), une femme solide, dure à la tâche et qui s’y connaît quand il faut tenir une ferme, à l’opposé de la pauvre et belle jeune fille. Elle le veut absolument comme mari et lui donnera des enfants dont un seul, si on bien compris, serait de lui… Quant aux deux valets,  il ne seraient guère scrupuleux sur un chantage possible quand il s’agit de sexe ! Manao retrouvera ensuite Sofia… Il y a aussi Jytte, (Florence  Valéro) une très jeune fille: elle prendra soin de Sofia qui avant de mourir, lui confiera Manao… Il y a enfin trois paysans au crâne rasé, en costume et chapeau noirs, qui forment une sorte de chœur tragique qui introduit et commente l’action.

Pauvreté, richesse, homme et bête, c’est d’abord une scénographie réussie, signée Marguerite Bordat, collaboratrice de Pierre Meunier (voir Le Théâtre du Blog). Avec une maquette d’un village-une église, quelques maisons et granges sous la neige-et de longues tables-genre tables de ferme en bois pour les repas de familles nombreuses, qui serviront aussi comme praticables. Dans le fond, côté cour, un magnifique cheval-en vidéo mais d’une absolue vérité-un personnage muet mais que l’on voit apparaître de temps à autre, et qui mourra lâchement tué d’un coup de pistolet… Autrement dit : aucun véritable réalisme dans cet outil scénographique qui sert au mieux tous les comédiens pour créer à la fois des espaces intérieurs et extérieurs. Il y a aussi la musique de Richard Comte qu’il joue sur le plateau, à la guitare électrique.

Ce qui frappe ici : le refus-bien vu-de Pascal Kirsch de tomber dans une sorte de folklore rural. Accessoires réduits au strict minimum, costumes sobres (aussi dus à Marguerite Bordat) et accent mis sur les relations humaines entre les gens de la mer et ceux des montagnes sur fond de haines souvent ancestrales (il faut bien haïr d’autres hommes différents pour avoir une identité et avant tout, ceux du plus proche village!). Il y a ici des ambitions féroces quand on est pauvre, pour enfin arriver à posséder une ferme à soi et ne plus aller travailler à la journée chez les autres, propriétaires. Tout cela sur fonds de superstition, d’érotisme et de convoitise sexuelle. Bref, le quotidien aussi de la majeure partie de la France rurale jusque dans les années 1950. Mais ces femmes et ces hommes norvégiens-rien à voir avec ceux de la Norvège actuelle, très riche grâce à son pétrole-vivaient alors confinés près de leurs bêtes dans  de petits villages coupés du monde, sous la neige qui, à la fin, dans cette mise en scène, n’arrête pas de tomber au milieu du plateau… Un texte et surtout des images qui auraient bien plu à Jérôme Savary: lui, le semi-Argentin, adorait voir tomber la neige, qu’il découvrit enfant quand il revint en France, au Chambon-sur-Lignon (Haute-Loire) et qui en faisait souvent tomber dans ses spectacles Cette neige-logique!-l’accompagna à sa crémation au Père-Lachaise, il y a juste cinq ans déjà… Salut Jérôme!

Cette pièce est, d’abord-il faut le répéter-un grand texte, remarquablement servi à sa création par une mise en scène d’une rigueur et d’une intelligence absolue. Daniel Jeanneteau, alors directeur du Studio à Vitry-sur-Seine, avait eu raison de l’accueillir. Comme-belle fidélité-il le fait de nouveau à Gennevilliers qu’il pilote maintenant. On retrouve, deux ans plus tard, ce formidable conte-poème-pièce, avec les mêmes mise en scène et direction d’acteurs exigeantes.
Et pourtant, dans cette reprise, le compte n’y est pas tout à fait. Sans doute à cause d’un trop grand plateau où tout se perd un peu et où  à cause d’un mauvais rapport scène/salle, on ne ressent pas l’intimité, qu’on avait à Vitry, avec les personnages de cette communauté paysanne. Et où on peine parfois à entendre les acteurs quand ils parlent dos au public… Sans doute aussi-et cela arrive souvent dans les reprises-à cause d’un rythme inégal mais Pascal Kirsch pourrait facilement resserrer les choses. Vers la fin, les manipulations des tables paraissent interminables et pas très utiles. Et ces trois heures-heureusement sans entracte-nous ont paru cette fois bien longuettes, surtout dans la seconde partie… Une dizaine de spectateurs est même sortie: un signal d’alerte mais quand même…
Malgré ces réserves, que cela ne vous empêche pas d’aller découvrir toute la poésie de ce texte et les grandes qualités de cette mise en scène. N’y emmenez quand même pas votre vieille maman, surtout par ces difficiles temps de neige, même s’il y a une navette gratuite pour rentrer sur Paris.

Philippe du Vignal

T2G, Centre Dramatique National, avenue des Grésillons, Gennevilliers (Seine-Saint-Denis),  en collaboration avec Le Cent-Quatre à Paris, jusqu’au 12 février.

 

 

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