Imitation of life, mise en scène de Kornél Mundruczó
Imitation of life, mise en scène de Kornél Mundruczó (spectacle en hongrois, sur-titré en français)
Kornél Mundruczó, metteur en scène et cinéaste hongrois pratique un théâtre politique et esthétiquement impressionnant. Il a un regard lucide sur les contradictions de son pays, entre autres… Et il s’attache aux laissés pour compte, aux marginaux, «les seuls qui peuvent encore nous tendre un miroir». Son œuvre, hyperréaliste et lyrique à la fois, met en lumière la part sombre de l’humanité.
Kornél Mundruczó aborde des thèmes comme le totalitarisme d’une secte dans un film comme La Glace; la violence et l’inceste, dans The Frankenstein project ; le trafic d’humains et la prostitution, dans Hard to be a god. Il n’est pas inconnu en France et avait présenté Disgrâce au festival d’Avignon en 2012 (voir Le Théâtre du Blog).
Il se livre ici à une plongée radicale et fascinante dans cette partie de la société où l’injustice est une loi non écrite. Sommes-nous prédestinés? Un thème, inspiré d’un fait divers survenu à Budapest en 2015: dans un tramway, un jeune rom désespéré avait agressé et tué un autre rom! Kornél Mundruczó nous emmène avec efficacité mais sans fausse pudeur ni précaution, dans un monde où sévit, au quotidien, une discrimination manifeste et injuste des origines. Apparaît d’abord sur grand écran, l’image d’une femme qui résiste par les mots, aux questions d’un locuteur invisible. Zoom sur son visage un peu fané dans un appartement dont on aperçoit les fenêtres à l’arrière. En fait, elle répond de mauvaise grâce à un huissier-dont on n’entendra que la voix-venu pour une mise en demeure de quitter les lieux, suite à des impayés. Il filme l’entretien, pose des questions et essaye de briser la résistance que la femme lui oppose, quand elle ne le provoque pas : «Le risque d’être expulsé? Je n’y ai pas pensé. Il s’agit de nos origines. Nous sommes tziganes, c’est-à-dire criminels. C’est ça?»
Recluse ici, elle lui explique qu’elle est sans moyens depuis la mort récente de son mari, et leur fils unique s’est enfui dans la grande ville, menant une drôle d’existence dans un hôtel. Les souvenirs d’une vie malheureuse s’accumulent: enfant, son fils refusait en effet d’appartenir à la communauté rom. «Il reviendra», dit-elle, sans hésiter. La situation dramatique, tendue à l’extrême, oblige l’huissier à un examen de conscience ; déstabilisé, il réalise alors à quel point des gens sont ainsi ignorés et méprisés par une frange de la population, nationaliste d’extrême-droite. Kornél Mundruczo met en scène une métaphore de la misère du monde, hyperbolique, grandiloquente et absurde mais tellement vraie. Dans une mise en abyme spectaculaire, grâce à la remarquable scénographie de Márton Ágh.
Une jeune femme loue à l’huissier l’appartement, laissé tel quel et lourd d’un passé, de traces de vie… Elle y vit avec son fils, dans une misère affective, morale et sociale, comparable à celle de la précédente locataire. Indifférent et seul, l’enfant se retrouve confronté à la mémoire du lieu, quand le fils arrive-mais trop tard!-rendre visite à sa mère, très malade et veuve. A l’intérieur de l’appartement, une machine à laver qui tourne, des meubles et ustensiles ménagers et à l’extérieur, une grande roue qui tourne, un plateau qui se descelle et des murs qui virent de haut en bas. Meubles, tables et chaises, canapés et livres sur les étagères vont alors se renverser progressivement dans un désordre sans nom. Une mise en scène fascinante, avec utilisation de la vidéo; on entend la voix envoûtante de Nina Simone dans Feeling good.
Les personnages de cette fiction s’en prennent au racisme ordinaire. Tous saisissants de justesse, grâce à la qualité du jeu de Lili Monori, Roland Raba, Annamaria Lang, Zsombor Jéger et Dariusz Kozma, conscients des enjeux symboliques de la pièce. Un engagement poétique et politique qui force l’admiration.
Véronique Hotte
Spectacle joué à la MC 93 -Maison de la Culture de Seine-Saint-Denis Bobigny, du 7 au 10 février.