J’ai rêvé la Révolution de Catherine Anne, co-mise en scène de Catherine Anne et Françoise Fouquet
J’ai rêvé la Révolution de Catherine Anne, co-mise en scène de Catherine Anne et Françoise Fouquet
«La femme a le droit de monter sur l’échafaud, elle doit avoir également celui de monter à la tribune. » Qui a rêvé ? Autant Catherine Anne, auteure, metteuse en scène et interprète, que le personnage exemplaire qui l’a inspirée, Olympe de Gouges. Une femme libre : veuve très tôt, par chance, dit-elle, mère, auteure de théâtre et de libelles, elle milite contre l’esclavage et entre dans la Révolution avec la certitude qu’elle et ses sœurs y auront toutes leur juste place.
Elle écrit ainsi la Déclaration des droits de la femme et de la citoyenne (septembre 1791), qui n’est pas une simple paraphrase de la première Déclaration de droits de l’Homme et du citoyen. On connaît la suite: que les femmes de Paris aillent chercher le Roi à Versailles, l’Histoire l’accepte! Mais ensuite, elles doivent rentrer dans le rang : voir les combats de libération du vingtième siècle…
Olympe de Gouges a voulu miser sur la démocratie, au moment où la Terreur suspend la démocratie et où sont guillotinées des centaines de suspects, dont des députés girondins ; où les clubs de femmes sont interdits. Pourtant, elle croit en la justice de sa patrie, au droit, à un procès juste, et se montre relativement sereine. Quand elle comprend que ce ne sera pas le cas, elle se voit en résistante, en Antigone, quoique elle s’en défende.
Le rêve commun à cette figure de l’histoire et à Catherine Anne: l’égalité entre femmes et hommes (ordre alphabétique : le F est avant le H), inscrite dans le droit et les faits. C’est aussi le rêve d’une Révolution qui ne dévore pas ses enfants. Ici, d’abord inscrit dans la scénographie: un cyclorama fait de centaines de chemises juxtaposées, comme autant de vies détruites, et par la symétrie de deux mondes : la prison d’Olympe et le logement, assez semblable, de la famille pauvre du gardien et de sa mère, se partagent la scène en diagonale. Reflétant l’écriture de la pièce, politique et intime à égalité.
Pourtant, dans ce spectacle freiné par une sorte de réserve, de retrait: on n’est ni dans une adresse au public, ni dans un théâtre d’incarnation. Catherine Anne, elle-même, portant la situation et le discours d’Olympe de Gouges, avec parfois des airs de Louise Michel, semble refuser d’entrer dans la psychologie d’une figure qu’elle a pourtant créée avec ses peurs et ses revirements. De même, l’écriture ne donne pas assez de chair au couple mère-fils (Luce Mouchel et Pol Tronco) : dommage ! Si bons soient-ils, leur jeu est chargé d’une fonction, ce qui l’affaiblit là où, concret, il pourrait nous renvoyer d’autant plus fort à une pensée. Avec ses accès d’autoritarisme à l’égard de sa mère, le jeune gardien devient une figure de la domination masculine telle qu’on la connaît dans bon nombre de sociétés aujourd’hui. Avec son courage au seul service de la cohésion familiale, la jeune belle-fille illustre la régression de certaines femmes «traîtres» d’aujourd’hui, tandis que la mère rejoint peu à peu, grâce à son expérience de sa vie, les combats d’Olympe.
C’est bien combiné, mais on voit où le bât blesse: on regrette que le jeu lisse une écriture qui a le mérite d’être hétérogène-une voie intéressante vers le vrai-entre allégories, figures, personnages, avec un langage simple et des éclats d’un lyrisme sec. Un spectacle passionnant donc, même s’il ne séduit pas toujours…
Christine Friedel
Théâtre des Quartiers d’Ivry, Manufacture des Œillets, 1 Place Pierre Gosnat, Ivry-sur-Seine (Val-de-Marne) jusqu’au 16 février. T. : 01 43 90 11 11.
Les 8 et 9 mars, Théâtre du Sillon, Clermont-l’Hérault; les 15 et 16 mars, Théâtre de Privas (Ardèche). Et les 3 et 4 mai, Théâtre des Halles, Avignon (Vaucluse).