Le Traitement de Martin Crimp, mise en scène de Rémy Barché

Crédits : Gg, Marthe Lemelle (photo de répétitions)

Crédits : Gg, Marthe Lemelle (photo de répétitions)

 

Le Traitement de Martin Crimp, traduction d’Elisabeth Angel-Perez, mise en scène de Rémy Barché

 Ce spectacle nous offre deux pièces en une, avec, en prologue, Le Messager de l’amour, un court texte encore inédit de l’auteur britannique. Une jeune femme évoque sa relation brutale et passionnée avec un homme plus âgé qui la séquestre pour la protéger des souillures d’un monde  «devenu si vieux qu’on peut voir son squelette transpercer le sol ». Elle l’attend : «C’est lui qui se déplace, ce sont les règles, dit-elle. Et je vis suivant ses règles  (…)  Ses mots font bouillonner la vie en moi.»Les bons jours, il lui offre des fleurs et des oiseaux, et le fouet, les mauvais jours.

Suzanne Aubert, immobile sur un haut tabouret, s’y reprend à plusieurs fois pour délivrer, avec délicatesse, ce beau monologue. Avec toute la naïveté de son personnage, elle nous plonge dans l’univers trouble d’une relation sado-maso. Le récit de la jeune femme fait écho celui d’Anne dans Le Traitement : elle a échappé à Simon, son mari, qui la séquestrait pour la préserver des violences d’un monde impur et d’une ville dangereuse, New York.

En réponse à l’annonce de producteurs de cinéma en quête de «réel», elle vient leur raconter son histoire. Séduits par son innocence et son authenticité, ils décident de porter cette histoire à l’écran et d’écrire Le Traitement avec elle, c’est-à-dire un texte continu non dialogué, étape préalable à l’élaboration du scénario. Anne est fascinée par ce couple vampirique de producteurs et par le nouveau monde qui s’ouvre à elle. Mais elle verra son  scénario maltraité par l’équipe artistique recrutée pour le rendre plus accessible et vraisemblable. John, la star engagée pour jouer le rôle du mari et coproducteur du film, Nicky, la secrétaire ambitieuse qui veut jouer le rôle principal, Clifford, un vieil auteur de théâtre oublié, prennent le projet en main et lui tendent un piège odieux. Anne, ainsi maltraitée, bernée et humiliée, ne se reconnaît plus. On lui a volé sa vie. Elle se réfugiera auprès de son mari et retournera au monde réel. Rudes en seront les conséquences…

Le Traitement figure parmi les meilleurs textes de Martin Crimp, et le prix John Whiting qu’il reçut en 1993, paraît totalement justifié. Protéiforme, quoique moins éclatée qu’Atteintes à sa vie, (1997) qui fit la renommée de l’auteur, cette pièce interroge déjà les rapports ambigus entre fiction et réalité. Le fin dramaturge a imaginé des personnages complexes, troubles et troublants, et il épingle sans pitié le milieu du cinéma dont il a été lui-même victime comme scénariste : «J’ai pris conscience que je me suis fait complètement avoir, écrit-il. Cette expérience a été très humiliante pour moi.» Avec un humour ravageur, il fustige aussi les auteurs de théâtre qui se complaisent dans la noirceur et fait dire à Simon, le mari d’Anne: «Je n’irai pas dans une salle pour m’entendre dire que le monde est un jardin ravagé par des mauvaises herbes, ou que l’homme est l’excrément de l’homme». Mais cette comédie de mœurs virera au cauchemar…

Rémy Barché a su en saisir toutes les nuances avec une direction d’acteurs minutieuse, proche de celle du tournage d’un film, avec des scènes parfois relayées en gros plan par une caméra. Les comédiens relèvent le défi, en particulier Thierry Bosc, en auteur « has been » devenu clodo et qui  se fera crever les yeux, en châtiment de son voyeurisme. Victoire du Bois incarne une Anne simple et nature, face à Catherine Mouchet, en productrice snobinarde. Suzanne Aubert, endosse plusieurs rôles avec le même talent que dans Le Messager de l’amour.

Salma Bordes a imaginé des praticables déplacés à vue par les techniciens qui apportent aussi les éléments de décor nécessaires, comme sur le tournage d’un film. Dans cette scénographie dépouillée, les acteurs glissent d’une séquence à l’autre, juchés sur ces petits plateaux flottant comme des icebergs. Des images de New York, omniprésentes, se profilent sur des écrans, fenêtres ou baies modulables selon les lieux  et, du haut d’une tour, on plonge dans Central Park. La ville défile devant le pare-brise d’un taxi… Les scènes de rue se nimbent de vapeur, comme dans les polars américains. Anne se perd dans le labyrinthe de la cité maudite, des quartiers huppés aux faubourgs populaires, et livrée à un chauffeur de taxi aveugle. Le même qui chargera l’auteur aveugle dans la  scène finale.

Tous ces excellents éléments réunis-texte, décor, comédiens, musiques-nous emportent dans cette histoire riche en questionnements et rebondissements. Avec quelques réserves… Le tempo vif de la pièce aurait mérité un rythme plus enlevé et le lever de rideau, morceau de bravoure  littéraire et théâtral est une fausse bonne idée: cela prolonge la soirée d’une bonne demi-heure! Et on ne voit pas bien la nécessité d’un entracte de vingt minutes, même s’il marque un tournant dramaturgique, celui où Anne, qui voit son histoire lui échapper, se précipite dans le drame. Nous sortons de ce spectacle trois heures plus tard, à la fois séduits et un peu frustrés. Cela dit, nous vous le conseillons.

 Mireille Davidovici

Théâtre des Abbesses, 31 rue de Abbesses, Paris XVIII ème, jusqu’au 23 février. T.01 42 74 22 77. Théâtre de Dijon-Bourgogne (Côte-d’Or) du 27 février au 3 mars.

Le Traitement est publié aux Editions de l’Arche; Le Messager de l’amour, traduction de Christophe et Michelle Pellet, est à paraître dans un nouveau recueil, chez le même éditeur.


Archive pour 15 février, 2018

Le Traitement de Martin Crimp, mise en scène de Rémy Barché

Crédits : Gg, Marthe Lemelle (photo de répétitions)

Crédits : Gg, Marthe Lemelle (photo de répétitions)

 

Le Traitement de Martin Crimp, traduction d’Elisabeth Angel-Perez, mise en scène de Rémy Barché

 Ce spectacle nous offre deux pièces en une, avec, en prologue, Le Messager de l’amour, un court texte encore inédit de l’auteur britannique. Une jeune femme évoque sa relation brutale et passionnée avec un homme plus âgé qui la séquestre pour la protéger des souillures d’un monde  «devenu si vieux qu’on peut voir son squelette transpercer le sol ». Elle l’attend : «C’est lui qui se déplace, ce sont les règles, dit-elle. Et je vis suivant ses règles  (…)  Ses mots font bouillonner la vie en moi.»Les bons jours, il lui offre des fleurs et des oiseaux, et le fouet, les mauvais jours.

Suzanne Aubert, immobile sur un haut tabouret, s’y reprend à plusieurs fois pour délivrer, avec délicatesse, ce beau monologue. Avec toute la naïveté de son personnage, elle nous plonge dans l’univers trouble d’une relation sado-maso. Le récit de la jeune femme fait écho celui d’Anne dans Le Traitement : elle a échappé à Simon, son mari, qui la séquestrait pour la préserver des violences d’un monde impur et d’une ville dangereuse, New York.

En réponse à l’annonce de producteurs de cinéma en quête de «réel», elle vient leur raconter son histoire. Séduits par son innocence et son authenticité, ils décident de porter cette histoire à l’écran et d’écrire Le Traitement avec elle, c’est-à-dire un texte continu non dialogué, étape préalable à l’élaboration du scénario. Anne est fascinée par ce couple vampirique de producteurs et par le nouveau monde qui s’ouvre à elle. Mais elle verra son  scénario maltraité par l’équipe artistique recrutée pour le rendre plus accessible et vraisemblable. John, la star engagée pour jouer le rôle du mari et coproducteur du film, Nicky, la secrétaire ambitieuse qui veut jouer le rôle principal, Clifford, un vieil auteur de théâtre oublié, prennent le projet en main et lui tendent un piège odieux. Anne, ainsi maltraitée, bernée et humiliée, ne se reconnaît plus. On lui a volé sa vie. Elle se réfugiera auprès de son mari et retournera au monde réel. Rudes en seront les conséquences…

Le Traitement figure parmi les meilleurs textes de Martin Crimp, et le prix John Whiting qu’il reçut en 1993, paraît totalement justifié. Protéiforme, quoique moins éclatée qu’Atteintes à sa vie, (1997) qui fit la renommée de l’auteur, cette pièce interroge déjà les rapports ambigus entre fiction et réalité. Le fin dramaturge a imaginé des personnages complexes, troubles et troublants, et il épingle sans pitié le milieu du cinéma dont il a été lui-même victime comme scénariste : «J’ai pris conscience que je me suis fait complètement avoir, écrit-il. Cette expérience a été très humiliante pour moi.» Avec un humour ravageur, il fustige aussi les auteurs de théâtre qui se complaisent dans la noirceur et fait dire à Simon, le mari d’Anne: «Je n’irai pas dans une salle pour m’entendre dire que le monde est un jardin ravagé par des mauvaises herbes, ou que l’homme est l’excrément de l’homme». Mais cette comédie de mœurs virera au cauchemar…

Rémy Barché a su en saisir toutes les nuances avec une direction d’acteurs minutieuse, proche de celle du tournage d’un film, avec des scènes parfois relayées en gros plan par une caméra. Les comédiens relèvent le défi, en particulier Thierry Bosc, en auteur « has been » devenu clodo et qui  se fera crever les yeux, en châtiment de son voyeurisme. Victoire du Bois incarne une Anne simple et nature, face à Catherine Mouchet, en productrice snobinarde. Suzanne Aubert, endosse plusieurs rôles avec le même talent que dans Le Messager de l’amour.

Salma Bordes a imaginé des praticables déplacés à vue par les techniciens qui apportent aussi les éléments de décor nécessaires, comme sur le tournage d’un film. Dans cette scénographie dépouillée, les acteurs glissent d’une séquence à l’autre, juchés sur ces petits plateaux flottant comme des icebergs. Des images de New York, omniprésentes, se profilent sur des écrans, fenêtres ou baies modulables selon les lieux  et, du haut d’une tour, on plonge dans Central Park. La ville défile devant le pare-brise d’un taxi… Les scènes de rue se nimbent de vapeur, comme dans les polars américains. Anne se perd dans le labyrinthe de la cité maudite, des quartiers huppés aux faubourgs populaires, et livrée à un chauffeur de taxi aveugle. Le même qui chargera l’auteur aveugle dans la  scène finale.

Tous ces excellents éléments réunis-texte, décor, comédiens, musiques-nous emportent dans cette histoire riche en questionnements et rebondissements. Avec quelques réserves… Le tempo vif de la pièce aurait mérité un rythme plus enlevé et le lever de rideau, morceau de bravoure  littéraire et théâtral est une fausse bonne idée: cela prolonge la soirée d’une bonne demi-heure! Et on ne voit pas bien la nécessité d’un entracte de vingt minutes, même s’il marque un tournant dramaturgique, celui où Anne, qui voit son histoire lui échapper, se précipite dans le drame. Nous sortons de ce spectacle trois heures plus tard, à la fois séduits et un peu frustrés. Cela dit, nous vous le conseillons.

 Mireille Davidovici

Théâtre des Abbesses, 31 rue de Abbesses, Paris XVIII ème, jusqu’au 23 février. T.01 42 74 22 77. Théâtre de Dijon-Bourgogne (Côte-d’Or) du 27 février au 3 mars.

Le Traitement est publié aux Editions de l’Arche; Le Messager de l’amour, traduction de Christophe et Michelle Pellet, est à paraître dans un nouveau recueil, chez le même éditeur.

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