1 heure 23’ 14’’ et 7 centièmes de Jacques Gamblin et Bastien Lefèvre


1 heure 23’ 14’’ et 7 centièmes de Jacques Gamblin et Bastien Lefèvre

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©Giovanni Cittadini Cesi

 Habitué à écrire ses monologues et à les interpréter, souvent accompagné de musiciens, ici le comédien écrit, joue et met en scène le spectacle, en dialogue avec Bastien Lefèvre, un jeune danseur, de la compagnie Fattoumi-Lamoureux, depuis 2013. «C’est lui qui m’a proposé ce thème de la transmission, dit-il. Et nous avons construit ensemble 1 heure 23’ 14’’ et 7 centièmes, à partir de nos expériences dans le milieu sportif mais aussi dans nos propres milieux professionnels de la danse et du théâtre, où la transmission est présente en permanence.»

 Jacques Gamblin, très rodé au jeu physique dans ses précédents spectacles, bouge avec aisance  et son partenaire compose, lui, un personnage, maladroit à cause de son impatience. Le professeur intervient pour corriger l’apprenti-sportif et lui enseigner à mettre un pied devant l’autre, à rechercher patiemment un équilibre parfait: «A chaque pas que tu fais, tu veux gagner. Mais gagner quoi là, maintenant? Attention, grand, tu peux tout perdre du trop de désir de tout gagner. Tu peux tout perdre de la peur de tout perdre.» On retrouve la plume précise de l’auteur. Pas un mot de trop.

Et le rapport maître/élève s’instaure peu à peu : autorité de l’un, confiance de l’autre. Cela passe aussi par un rapport entre leurs corps, dans l’espace. «Il faut que l’homme au poids léger que tu deviens, soit beau à voir. » Le jeune homme acquiert alors peu à peu ses points d’ancrage, et ses gestes deviennent harmonieux. Mûr à prendre son envol. Le professeur peut se reposer.«Quand on veut transmettre quelque chose d’important.(…) On veut être compris, dit Jacques Gamblin. Et on sait qu’on l’est, quand ça passe dans le corps. Parce que c’est le corps qui agit au final.(…) Le mouvement, c’est le silence des mots. Tout est bon pour essayer inlassablement de faire ressentir. « 

En une heure vingt, cette élégante démonstration des ressorts de l’apprentissage qui peut s’appliquer à tous les domaines, trouve ici son expression grâce au théâtre, en convoquant à la fois les arts de la comédie et de la danse. Il s’en dégage une philosophie apaisée…

 Mireille Davidovici

Théâtre du Rond-Point, 2 bis avenue Franklin D. Roosevelt, Paris VIIIème. T. 01 44 95 98 00, jusqu’au 18 mars.

 

 


Archive pour 17 février, 2018

Poussière, de et mise en scène de Lars Norén

 

Poussière, traduction d’Aino Höglund et Amélie Wendling,  texte et mise en scène de Lars Norén

©Brigitte Enguerand

©Brigitte Enguerand

 L’œuvre du dramaturge suédois de soixante-treize ans se situe dans une ligne proche  de celle d’August Strindberg, Anton Tchekhov ou Henrik  Ibsen…  Adolescent,  il écrit un premier recueil de poèmes… Mais plus tard, il est interné en hôpital psychiatrique pour schizophrénie.
Cet auteur de plus de soixante pièces, imprégnées de relations conflictuelles, surtout entre enfants et parents, sur fond de perversions sexuelles, maladies psychiques et mensonges, haines, trahisons, violences au sein du couple et de la famille. Avec des textes comme Démons, (voir Le Théâtre du Blog), La Veillée ou Automne et hiver. Mais il traite aussi de la marginalité dans Catégorie 3.1, Froid ! Et A la mémoire d’Anna Politkovskaïa.
Lars Norén a succédé à Ingmar Bergman à la tête du Théâtre National de Suède Il fut directeur artistique du Riks Drama, la troupe permanente du Riksteatern, le théâtre national itinérant de Suède. Il est maintenant devenu un auteur contemporain joué partout dans le monde, et bien connu depuis longtemps en France…  Il avait déjà mis en scène Pur au Vieux-Colombier en 2008 et entre cette fois, au répertoire de la Comédie-Française avec Poussière, un texte qui tient plutôt d’un long poème-monologue qu’il a conçu pour, et avec les comédiens.

 Six hommes, quatre femmes et la fille de l’une d’entre elles qui a un retard mental et ne parle pas. Maintenant âgés, ils vont en vacances depuis plus de trente ans dans le même hôtel, pendant une semaine, sans doute dans un pays ensoleillé de la Méditerranée. Pas très riches, ils n’ont pas vraiment choisi ; « Un putain d’endroit » mais bon à leur âge, ils sont résignés et cela leur va à peu près quand même: « Mourir d’une belle mort, ce n’est pas comme si on avait le choix, bordel! » ! (…) « Cela prend plus de temps de mourir ici que dans un opéra ». Dans le texte, ils n’ont pas d’autre identité qu’une lettre: A, B, C, D, E, F, G, H, I, J!  Bref, ils existent mais plus vraiment tout à fait…

Il y a ainsi un ouvrier du bâtiment dans un état physique et psychique lamentable (Hervé Pierre). Son père adoptif vient de mourir à 94 ans. Sa femme (Dominique Blanc) a été coiffeuse ; ils ont eu trois enfants. Une autre femme à la retraite, anorexique, très seule (Anne Kessler) était médecin : elle parle beaucoup de sa fille morte d’une sclérose en plaques à trente et un ans. Comme indifférente au monde, elle lit tout le temps le même quotidien, celui du 18 octobre 1961 : «Je ne supporte pas, dit-elle, les gens qui ont des problèmes qui peuvent être résolus.» Assis près d’elle, un pasteur de soixante-trois ans (Alain Lenglet) cumule psoriasis, arthrose et Parkinson. Il a été violé, quand il était enfant.

Une femme (Danièle Lebrun) a eu un AVC ; veuve après trente ans de mariage, elle se retrouve aussi seule que l’ancien médecin. Un ancien travailleur de nuit, (Christian Gonon), atteint de troubles du langage, vit seul lui aussi; il dit qu’il a eu des enfants et que son père s’est suicidé quand il était petit. Il raconte qu’il a dû vider la maison d’un frère récemment décédé qu’il n’a jamais connu, parce que ses parents lui avaient caché son existence… Une femme de soixante-six ans (Martine Chevallier) doit s’occuper de sa fille, Marylin, une handicapée mentale de trente-sept ans (Françoise Gillard). Elle a vécu, seule et très pauvre depuis longtemps, après que son mari qui la battait, soit parti. Son travail: s’occuper de personnes âgées ou mourantes.

Il y a encore un homme cardiaque, atteint d’un cancer du foie (Gilles David). D’abord coursier  il est arrivé à être chef-comptable dans une moyenne entreprise. Sa femme le quitte après vingt-sept ans de mariage.  Cet autre homme (Didier Sandre) vit seul, sans famille ; il n’a pas eu d’enfant et s’occupait lui aussi de personnes âgées. Il dit qu’il est constipé, et qu’il a un cancer des amygdales. Grand et  trapu (Bruno Raffaeli),  un curieux bonhomme, ex-chauffeur routier,  au chapeau melon blanc, a toujours avec lui  les cendres de son chien dans un petit sac; à la fin, il les dispersera sur la plage. Il a eu un AVC et des problèmes d’équilibre, ce qui ne l’empêche pas d’être parfois violent et bagarreur. Il se laisse caresser sans scrupules par Marylin qui se frotte contre lui. Il y a aussi deux autres personnages muets-sans doute des migrants venus d’Afrique-qui passent sur la plage : une jeune femme qui fait la manche avec son bébé dans les bras et un gamin dont, à la fin, on comprend qu’il s’est noyé. Un rappel sans doute de la photo de ce pauvre petit garçon kurde noyé en 2015  et dont la mort avait ému toute l’Europe.

Dénominateurs communs à cette galerie de personnages : pas bien riches, ils ont souvent eu de graves ennuis familiaux, et n’avaient pas de travail très valorisant, sauf le médecin. En proie à une grande solitude, ils n’ont plus de famille proche et atteints, pour la plupart, de pathologies sévères, ils en parlent tout le temps. Ils se connaissent plus ou moins, et savent bien que, de toute façon, vu leur âge, ils-surtout les hommes-seront de moins nombreux à venir ici… Certains résignés comme celui qui déclare: « Quelle chance de ne pas se souvenir comment c’était avant ».  D’autres angoissés à l’idée que leur corps reste sans sépulture: « Je me demande qui viendra nous enterrer! »

«Je n’aurais pas pu écrire ce texte, dit Lars Norén, avant d’avoir l’âge que j’ai aujourd’hui. C’est une pièce sur les « au revoir » et les souvenirs, sur les dernières vagues à traverser avant la fin. Une pièce belle et mélancolique qui ne parle que de la vie. » Lars Norén s’envoie des fleurs mais sur le plateau, que se passe-t-il? Il y a une belle scénographie de Gilles Taschet avec une plage de sable gris, avec côté cour et jardin, de hauts murs gris. Et des chaises de jardin pliantes dont ils changent, de temps à autre, la disposition: en V, en rectangle, ou face public, alignés près du bord de scène, etc.. Pratiquement toujours sur le plateau, sauf à la fin, ces dix personnages vont rester le plus souvent assis. Au début très impressionnants,  par leur stature et leur nombre, en costume gris ou noir, la peau grise, les cheveux gris… Très las mais n’imaginant pas de partir pour un autre monde, ils racontent leur vie passée et présente qu’encombrent maladies et malheurs de toute sorte, comme dans une sorte d’exorcisme de la mort qu’ils sentent venir. Cela rappelle, mais dans un autre genre, la formidable Classe morte (1975) de l’immense Tadeusz Kantor.

Lars Norén a écrit ce texte qui s’apparente à un long poème à base de monologues,  sur le plateau avec les comédiens. Il y a des phrases étonnantes d’une réelle beauté mais bon, on lâche assez vite prise. La faute à quoi? D’abord à une direction d’acteurs mal maîtrisée : on entend très bien Bruno Raffaelli, Martine Chevallier, Hervé Pierre et Anne Kessler mais… souvent moins les autres comédiens. Une mienne consœur nous a dit qu’au premier rang, on entendait correctement mais désolé, on ne fait pas une mise en scène pour le seul parterre.

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(C)Brigitte Enguerand

Le grand dramaturge suédois aborde avec une belle ironie, presque avec tendresse, et en tout cas avec un certain humour, des thèmes aussi difficiles que la hantise de la mort, la souffrance au quotidien, la vieillesse inexorable, thèmes souvent traités dans le théâtre contemporain mais jamais encore sous la forme d’un choral. Une belle idée mais  Lars Norén semble avoir eu plus de mal à mettre en scène son propre texte et à diriger les comédiens. Même s’il crée, surtout à la fin, de belles images grâce aux lumières de  Bertrand Couderc. Et ce choral de deux heures où il y a très peu de dialogues semble n’en plus finir…

Pourtant cette méditation nous concerne tous: il suffit d’aller voir un proche dans un EPHAD! Obsession du passé, souvenirs des copains, époux, épouses, amants, amantes qui meurent les uns après les autres, cancers foudroyants, maladies physiques et/ou psychiques-ce n’est pas incompatible!-qui ne préviennent pas, fin de vie qui s’annonce sur fond de dépression permanente, et corps qui ne suit plus… On a ici comme une sorte de concentré de ce qu’on entend tous les jours… Mais ce memento mori aurait sans doute aussi été plus fort, s’il avait été mieux dirigé, sur une durée plus courte et avec un texte plus resserré. On sort de là déçu-et c’est vraiment dommage-surtout quand on connaît et apprécie le théâtre de Lars Norén. Le spectacle, encore très fragile, peut se bonifier mais il faudrait que Lars Norén, s’il est encore en France ou quelqu’un d’autre, remette d’équerre cette Poussière … A vous de voir si cela vaut le coup d’y aller : bref, nous n’avons pas tous la même sensibilité…

Philippe du Vignal

Comédie Française, salle Richelieu, Place Colette, Paris 1er, (en alternance), jusqu’au 16 juin.

Les textes de Lars Norén sont publiés chez l’Arche éditeur.

 

 

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