La Migration des canards d’Élisabeth Gonçalves, mise en scène d’Émilie Le Roux
La Migration des canards d’Élisabeth Gonçalves, mise en scène d’Émilie Le Roux
Une petite fille de dix ans évoque son quotidien, ses parents, l’école, et parle de «la loge» : sa mère est gardienne d’immeuble… Quand ses camarade de classe l’invitent à leur anniversaire, sa mère trouve systématiquement une excuse pour ne pas l’y envoyer : rendez-vous chez le médecin, départ en week-end… Car elle a honte de son petit logement et ne peut inviter à son tour, les amis de sa fille. Le père n’hésite pas à battre l’enfant quand elle ne répond pas à ses exigences : il veut qu’elle excelle en tout et qu’elle ne fasse pas de vagues.
C’est l’histoire de toutes ces familles issues de l’immigration qui ne se sentent légitimes que si elles se fondent dans le paysage, que si elles renoncent à leur culture et à leur identité d’origine. La petite fille vit difficilement les coups, mais plus encore cette injonction d’exemplarité, si pesante. Comment, dans ces conditions, grandir, s’épanouir et exprimer sa personnalité ? Pour Émilie Le Roux, «Le défi de cette création était de faire entendre ce récit fort et sensible en l’ancrant dans une aspiration à la vie et à la liberté. Sous l’emprise d’une éducation stricte, violente, l’enfant voudrait s’en extraire et elle en prend conscience sur les bancs de l’école qui vient mettre en tension son éducation et ses aspirations »
Elisabeth Gonçalves signe un texte fort et âpre mais qui prend un certain temps à s’incarner au plateau. Élisa Violette Bernard parvient petit à petit à nous embarquer, insidieusement au début. Puis son débit devient plus rapide, ses gestes sont plus marqués et elle s’essouffle comme si une spirale se refermait sur elle.
Au-dessus de l’espace de jeu, des chaises de classe, immobiles et retenues par de minces filins, finiront par descendre, danser et encercler la comédienne. L’école, seul lieu extra-familial du personnage, se révèle ici un endroit à la fois d’enfermement et d’épanouissement. La vidéo, bien « dosée » de Pierre Reynard complète la scénographie de Tristan Dubois éclairée de façon magnifique par Éric Marynower. Et par ailleurs, la musique enregistrée par Roberto Negro et les frères Ceccaldi accompagne ce travail d’équipe d’une grande cohérence. Émilie Le Roux et la compagnie Les Veilleurs s’imposent spectacle après spectacle, comme des acteurs incontournables du théâtre jeune public (voir Le Théâtre du Blog). Mais au-delà de cette étiquette, la pièce reste intéressante à tout âge, et cette Migration des Canards prend son envol, une fois que l’on est entré dans cette écriture un peu particulière.
Julien Barsan
Spectacle vu au Théâtre Jean Vilar de Vitry-sur-Seine (Val-de-Marne).
Le 16 mars au Parvis, Scène nationale de Tarbes-Pyrénées. T. : 05 62 90 08 55