L’Inversion de la courbe, écriture et mise en scène de Samuel Valensi

 

L’Inversion de la courbe, écriture et mise en scène  de Samuel Valensi

 L'inversion de la courbeVanité des vanités, vanité de la fuite en avant de celui qui veut échapper à lui-même, en améliorant toujours son rendement professionnel. La métaphore pourrait en être l’entraînement sportif ritualisé pour obtenir une forme physique rêvée.Le protagoniste, victime et bourreau à la fois consentants à l’intérieur d’un système ultra-libéral, où chacun «se fait mais est usé avant de commencer». On dépense l’énergie quotidienne restante ou plutôt non encore entamée ni gaspillée si on est en début de journée,  dans un club  de gym… ou en s’acharnant sur un vélo d’appartement.

 Comme Paul-Eloi Forget, dans cette comédie satirique dont les personnages portent le nom des comédiens : des héros contemporains aux  journées toujours plus remplies et d’autres qui subissent le vertige du manque d’argent et le déclassement social. L’auteur-metteur en scène rend compte ici de l’omniprésence de la productivité dans notre quotidien, avec des effets inattendus mais presque obligés de décrochage, vérifiés  auprès de l’association des Petits Frères des Pauvres. « Nombreux, dit Samuel Valensi,  sont ceux qui, dans notre équipe, ont réalisé des études économiques ou commerciales et connaissent la vie en entreprise. Et il nous a paru évident que, pour comprendre la logique du déclassement, il fallait commencer par le lieu-même où elle débute et par observer à quel point l’exigence de productivité est devenue incontournable dans notre quotidien. »

On parle en effet de réussite et de succès personnels, rarement d’échec : un sujet tabou et les meilleurs amis de toute personne concernée peuvent alors s’en éloigner ! «Alors, fixez-vous un objectif, atteignez-le et dépassez-le. Ici, vous devenez plus que vous-même». Patron, collègue et banquière, les discoureurs sont tous là pour prêcher la bonne parole, à part le père -âgé et provocateur- du héros et qui lui a toujours offert des romans à lir, et la bénévole qui aide les plus démunis.

 Ne jamais oublier qui on est, ce que l’on fait, et ce que l’on veut atteindre. Si l’on dévie de cette route, et qu’on oublie tous ses objectifs pour précisément ne plus avoir peur sans tension ni stress, alors la fin de soi se dessine… Mais Paul-Eloi  s’est autorisé une absence : fatale en plein entraînement : «Je me sentais léger et heureux, j’avais oublié ma musique, la ville, j’avais oublié qui j’étais, j’avais oublié ce que je faisais, j’avais oublié le boulot, j’avais oublié mon père j’avais même oublié que j’étais en train de courir… »  Paul-Eloi a vu un coureur le dépasser, un collègue nommé pour l’accompagner et… qui prendra son poste.

 Un frisson, lors du spring final, a glissé le long de sa colonne vertébrale : une sensation de peur de ne plus être compétitif mais improductif, peur de l’inversion de la courbe et du salaire négatif… Juste une impression de désastre personnel, quand on perd son crédit d’appartement. Grandeur et décadence d’une identité professionnelle payante…  mais qui ,aujourd’hui, ne paie plus. Michel Derville, Alexandre Molitor et Maxime Vervonck font bien le boulot mais Paul-Eloi Forget rafle la mise.

Véronique Hotte

Théâtre de Belleville, 94, rue du Faubourg du Temple, Paris (XIème). T: 01 48 06 72 34 jusqu’au 26 février.


Archive pour 20 février, 2018

Les garçons et Guillaume, à table ! de Guillaume Gallienne, mise en scène d’Anna Chatzisofia

 

Les garçons et Guillaume, à table ! de Guillaume Gallienne, traduction de Dimitra Kondylaki, mise en scène d’Anna Chatzisofia

26828917_10159801863265034_1233770705_oLa pièce (2007) fondée sur des éléments autobiographiques  est un long  monologue, avec parfois des voix intervenant depuis les tréfonds de la substance émotionnelle du protagoniste et qui forment une mosaïque d’informations, d’ordre cognitif, esthétique et sentimental… Dans un délire linguistique finalement contrôlé par Guillaume Gallienne qui narre devant le lecteur et/ou  spectateur, des menus détails de sa vie et la relation du jeune  homme qu’il était, avec ses proches, et notamment avec sa mère qui s’adresse toujours à lui comme s’il était une fille ! Et son entourage lui a insufflé l’idée qu’il n’est pas un être masculin mais qu’il possède une présence féminine. Il cherche donc à imiter la voix et le comportement des femmes pour satisfaire sa mère qui le traite comme un homosexuel. Ce monologue décrit la trajectoire d’une conscience masculine vers sa maturité et,  chemin faisant, il découvre son identité sexuelle, alors que son expression raffinée l’avait fait ranger du côté des « différents ».

Il confesse ses moments de doute mais aussi parfois de certitude. Guillaume souffre car sa vie entière est fondée sur une espèce de malentendu. Déchiré, il ne sait quelle orientation sexuelle choisir  et il se sent garçon alors que les autres le considèrent comme une fille. Et la vie le conduit vers les femmes. Même s’il est depuis toujours un enfant ordinaire. Avec un sens  de la masculinité  malgré sa finesse, ses peurs et son comportement élégant.
Plus tard, il rencontrera la femme de sa vie, se mariera avec elle mais sans jamais convaincre sa mère de son choix. Comme si elle voulait toujours le posséder, elle considère les autres femmes comme des adversaires !

Anna Chatzisofia réussit à établir une communication directe entre le comédien et le public, tout en soulignant le comique de ce monologue. Seul décor-imaginé par Evelyne Sioupi-la loge du comédien où chaque objet a des connotations qui complètent sa parole. Comme cet éventail, objet extatique, symbole de la  vie de Guillaume jeune où, dans ses souvenirs, le garçon et la fille se juxtaposent. Périclès Lianos incarne Guillaume Gallienne avec beaucoup de bonne humeur et sans  scepticisme; il change de voix pour animer la parole des autres personnages et réussit à contrôler ses gestes pour éviter toute parodie.
Un remarquable monologue très maîtrisé par Périclès Lianos…

Nektarios-Georgios Konstantinidis

Théâtre Alkmini, 8-12 rue Alkmini, Athènes. T.: 0030 210 3428650

 

Le Jeu de l’amour et du hasard de Marivaux, mise en scène de Catherine Hiégel

Le Jeu de l’amour et du hasard de Marivaux, mise en scène de Catherine Hiégel

 LEJEU hauteur008La pièce (1730) est emblématique de la dramaturgie de l’auteur, avec une intrigue amoureuse simple: le mariage arrangé de deux jeunes gens de bonne famille par leurs pères. Déguisés, les maîtres  vont prendre l’apparence de leurs domestiques afin de mieux connaître celui ou celle qui leur est destiné. Et leurs serviteurs-à qui ils ne demandent pas leur avis-devront eux prendre leur costume. Mais les manipulés se révéleront aussi être de très bons manipulateurs

Les jeux de l’amour ainsi distribués font que Silvia, la maîtresse de Lisette, craint d’aimer un valet, alors que femme de chambre et vrai valet se réjouissent. Arlequin, changé en Dorante, son maître, s’empresse auprès de la fausse maîtresse qui brûle de consentir à la passion qu’il semble lui porter… La raison l’emportera sur ces jeux de miroir mais cet échange de vêtements et de rôles provoquera le rire chez les valets et un trouble étrange chez leurs maîtres…

Volte-face et travestissements, les quatre personnages adoptent une identité qui n’est pas la leur, au risque bien entendu, de s’y perdre eux-mêmes. Les dialogues imaginés par Marivaux sont malicieux et spirituels, et les apartés expriment bien les émotions des «moi» amoureux de ces valets et maîtres. La mise en scène de Catherine Hiégel a un bon souffle et une belle cadence. Cela se passe dans le jardin d’un hôtel particulier, sous des arbres verts, dans la bonne humeur et la joie, même quand soubrette et maîtresse parlent entre elles du mariage, et plus particulièrement des mariages arrangés.

Alain Pralon interprète avec bonne humeur et facétie, Orgon, père de Silvia. Laure Calamy est une Lisette à la fois facétieuse et sensible qui minaude devant son amoureux, et qui, avec des petits gestes et marques d’attention risibles, se moque des différences sociales. La comédienne sait jouer de sa fibre comique avec un grand naturel, quand Lisette contrefait sa maîtresse. On la sent prête à se hisser dans un monde qui n’est pas le sien et à des hauteurs qu’elle n’aurait jamais osé entrevoir. Vincent Dedienne est un Arlequin puissant qui saute d’un bonheur indicible, après avoir essuyé l’humiliation, quand il a dû révéler son identité réelle de valet. Clotilde Hesme exprime bien la douceur et l’esprit subtil de la belle et digne Silvia, quand elle joue sa suivante, sans souci de vérité: séduite malgré elle, par le valet du prétendant… qui n’est autre que le prétendant. Nicolas Maury est un Dorante qui ménage passion et raison, pudeur et folie amoureuse. Et Cyrille Thouvenin joue Mario, le frère de Silvia qui, utilisé pour rendre jaloux Dorante, s’amuse tout autant qu’Orgon, le père de ce dernier…

Un spectacle frais et ludique qui distille un vrai plaisir de théâtre populaire et où les spectateurs ne se privent pas de rire aux dialogues écrits dans une langue admirable, il y a déjà presque trois siècles par cet auteur, l’un des classiques les plus joués en France, notamment à la Comédie-Française…

Véronique Hotte

Théâtre de la Porte Saint-Martin, 18 boulevard Saint-Martin, Paris Xème. T. : 01 42 08 00 32, jusqu’au 29 avril. 

 

DAROU L ISLAM |
ENSEMBLE ET DROIT |
Faut-il considérer internet... |
Unblog.fr | Annuaire | Signaler un abus | Le blogue a Voliere
| Cévennes : Chantiers 2013
| Centenaire de l'Ecole Privé...