Le Jeu de l’amour et du hasard de Marivaux, mise en scène de Catherine Hiégel
Le Jeu de l’amour et du hasard de Marivaux, mise en scène de Catherine Hiégel
La pièce (1730) est emblématique de la dramaturgie de l’auteur, avec une intrigue amoureuse simple: le mariage arrangé de deux jeunes gens de bonne famille par leurs pères. Déguisés, les maîtres vont prendre l’apparence de leurs domestiques afin de mieux connaître celui ou celle qui leur est destiné. Et leurs serviteurs-à qui ils ne demandent pas leur avis-devront eux prendre leur costume. Mais les manipulés se révéleront aussi être de très bons manipulateurs
Les jeux de l’amour ainsi distribués font que Silvia, la maîtresse de Lisette, craint d’aimer un valet, alors que femme de chambre et vrai valet se réjouissent. Arlequin, changé en Dorante, son maître, s’empresse auprès de la fausse maîtresse qui brûle de consentir à la passion qu’il semble lui porter… La raison l’emportera sur ces jeux de miroir mais cet échange de vêtements et de rôles provoquera le rire chez les valets et un trouble étrange chez leurs maîtres…
Volte-face et travestissements, les quatre personnages adoptent une identité qui n’est pas la leur, au risque bien entendu, de s’y perdre eux-mêmes. Les dialogues imaginés par Marivaux sont malicieux et spirituels, et les apartés expriment bien les émotions des «moi» amoureux de ces valets et maîtres. La mise en scène de Catherine Hiégel a un bon souffle et une belle cadence. Cela se passe dans le jardin d’un hôtel particulier, sous des arbres verts, dans la bonne humeur et la joie, même quand soubrette et maîtresse parlent entre elles du mariage, et plus particulièrement des mariages arrangés.
Alain Pralon interprète avec bonne humeur et facétie, Orgon, père de Silvia. Laure Calamy est une Lisette à la fois facétieuse et sensible qui minaude devant son amoureux, et qui, avec des petits gestes et marques d’attention risibles, se moque des différences sociales. La comédienne sait jouer de sa fibre comique avec un grand naturel, quand Lisette contrefait sa maîtresse. On la sent prête à se hisser dans un monde qui n’est pas le sien et à des hauteurs qu’elle n’aurait jamais osé entrevoir. Vincent Dedienne est un Arlequin puissant qui saute d’un bonheur indicible, après avoir essuyé l’humiliation, quand il a dû révéler son identité réelle de valet. Clotilde Hesme exprime bien la douceur et l’esprit subtil de la belle et digne Silvia, quand elle joue sa suivante, sans souci de vérité: séduite malgré elle, par le valet du prétendant… qui n’est autre que le prétendant. Nicolas Maury est un Dorante qui ménage passion et raison, pudeur et folie amoureuse. Et Cyrille Thouvenin joue Mario, le frère de Silvia qui, utilisé pour rendre jaloux Dorante, s’amuse tout autant qu’Orgon, le père de ce dernier…
Un spectacle frais et ludique qui distille un vrai plaisir de théâtre populaire et où les spectateurs ne se privent pas de rire aux dialogues écrits dans une langue admirable, il y a déjà presque trois siècles par cet auteur, l’un des classiques les plus joués en France, notamment à la Comédie-Française…
Véronique Hotte
Théâtre de la Porte Saint-Martin, 18 boulevard Saint-Martin, Paris Xème. T. : 01 42 08 00 32, jusqu’au 29 avril.