Giselle par le Yacobson Ballet de Saint-Pétersbourg

©Jean Couturier

©Jean Couturier

Giselle par le Yacobson Ballet de Saint-Pétersbourg

Fondée par Leonid Yacobson en 1969, première compagnie indépendante de Russie, non attachée à un Opéra et basée de Saint-Pétersbourg, elle entame, avec soixante de ses membres, une longue tournée française.

 Avec Giselle nous retrouvons avec plaisir les pas de la danse classique interprétés avec rigueur : entrechats, cabrioles, pirouettes, jetés, pas de bourrée. Pour le plus grand bonheur du public qui n’a pas souvent l’occasion de voir ce chef-d’œuvre du ballet romantique, dansé,  autrefois par des couples mythiques : Serge Lifar et Yvette Chauviré, Rudolf Noureev et Margot Fonteyn. Ici, Elena Chernova et Stephan Demin relèvent pleinement le défi dans ces rôles difficiles.

La chorégraphie de Jean Coralli, Jules Perrot et Marius Petipa, dont on célèbre cette année le deux centième anniversaire, est restée inchangée depuis la création. Théophile Gautier a imaginé un livret en deux parties très contrastées. Giselle, une jeune villageoise, s’éprend du prince Albrecht, lui-même déjà fiancé à une princesse. Elle sombre alors dans la folie et en meurt.

Ensuite, nous pénétrons dans l’univers surréaliste des Willis, dont Giselle fait maintenant partie. Ces esprits des jeunes filles trahies sont représentés par des danseuses en tutu avec de petites ailes dans le dos. La reine des Willis condamne le prince à danser jusqu’à la mort, mais l’esprit de Giselle apparaît et le sauvera.

Le directeur artistique, Andrian Fadeev, diplômé de l’Académie Vaganova et ancien danseur du théâtre Mariinsky, reste toujours en coulisses avec les maîtres de ballet, pour guider les quarante danseurs… Le corps de ballet, tout comme les solistes, s’implique avec force et grâce, ici les gestes sont fluides et précis. Pendant cette tournée exténuante, les interprètes dansent en alternance. Les décors de toiles peintes et les costumes de Viacheslav Okunev reproduisent les images classiques imaginées par le scénographe Alexandre Benois en 1910.

«C’est hier soir que Giselle est née, et sa naissance a été accompagnée de circonstances qui lui promettent longue vie», écrivait Adolphe Adam, créateur de la musique, au lendemain de la première, le 28 juin 1841, à l’Opéra Le Peletier à Paris IXème, où l’étoile italienne Carlotta Grisi dansait Giselle. Il ne s’était pas trompé !

Une  belle soirée, mais n’hésitez pas à aller découvrir les autres pièces du répertoire de cette compagnie de danse exceptionnelle.

 

Jean Couturier

Spectacle vu au Théâtre André Malraux de Rueil-Malmaison (Hauts-de-Seine) le 16 février.

www.ltddanse.com


Archive pour 28 février, 2018

Nénesse d’Aziz Chouaki, mise en scène de Jean-Louis Martinelli

© Pascal Victor

© Pascal Victor

 

Nénesse d’Aziz Chouaki,  mise en scène de Jean-Louis Martinelli

Nénesse, cela sonne à l’oreille comme une note musicale et populaire. Un surnom affectif et un peu moqueur… Mais pour l’auteur, la pièce est «une métaphore d’un possible contemporain, et représente une sorte de verrue sur le visage de l’occident, comme la métastase d’un système à bout de souffle, en proie à une hystérie identitaire sans précédent ». Comédie noire ou farce politique ? Cette fiction dramatique est un tableau sans concession des malaises et des maux : « le discours de la réaction », selon Jean-Louis Martinelli, de notre société occidentale aujourd’hui. Nénesse, rocker dans sa jeunesse, ancien légionnaire, a subit deux AVC. Au chômage, il décide alors avec sa femme Gina qui fait des ménages par intérim, d’installer une cabine Algéco dans leur appartement et de la sous-louer 500 € par mois a deux SDF sans- papiers.

Après Une Virée (2004) et Les Coloniaux (2009) d’Aziz Chouaki, au Théâtre Nanterre-Amandiers, cet auteur et Jean-Louis Martinelli collaborent de nouveau pour créer un spectacle politique d’une actualité brûlante, à l’humour grinçant, parfois à la limite du supportable, mais qui ne laisse pas indifférent. Très vite, le public surpris parfois même dérouté, passe du rire au silence et vice-versa… Le comique de certaines situations cache un malaise profond : cette pièce qui parle aussi d’un autre fléau de notre société : la peur. Celle de l’autre, mais aussi de soi. 

Le spectacle est saisissant de vérité quand il nous parle de notre société et du regard porté sur l’autre, différent et fragilisé, ou en dérive. « De retour en France, dit Nénesse,  je me suis rangé des voitures, aussi sec, j’ai fait du chantier, j’étais chef d’équipe. Eh! Ben, je te jure, t’avais du rital, du pollack, du portos, du yougo, mais que du catho quoi, du catho blond yeux verts, alors que là, t’as que du crépu visqueux et merdoyard, des rats d’égout de bas de gamme, à vite dire, en plus aucune ambition je te dis, aucune, comment tu veux que. Nous, avant, dès 6 h du mat, t’avais les doigts dans le béton glacial dès potron minet, alors qu’aujourd’hui t’as les Bonobos, les Ben Laden, les tchadors, la burqua, que la nouvelle boulangère du quartier, elle m’a fait peur l’autre jour. »

Cette comédie amère, parfois trop dans l’excès, est bien menée par de merveilleux comédiens: Christine Citti, Hammou Graïa, Geoffroy Thiebaut, et Olivier Marchal (dans le rôle-titre) que le public découvre là au théâtre. Etonnant de sincérité, il réussit, sans aucun pathos, à faire jaillir les contradictions du personnage, insupportable, de Nénesse. Mise en scène et scénographie entrent en totale cohésion avec l’humeur de la pièce, et son écriture, tranchante et colorée. Comme l’emplacement choisi, par exemple, pour mettre la cabine Algéco dans l’appartement  et qui, une fois dans l’espace, devient semblable à la porte d’entrée monumentale d’une prison. Excellente idée dramaturgique et esthétique.

L’écriture d’Aziz Chouaki a cette qualité précieuse pour les acteurs-et déjà observée dans Une Virée-de leur offrir une parole ancrée dans une oralité forte et d’aujourd’hui, au tempo vif et poétique : «L’Europe des cirques, l’Europe de toutes les transversales de tous les possibles.. » Dans une langue sonore et imagée, qu’elle soit populaire ou plus littéraire, suivant le contexte des situations : « Eh! Ben… regarde je te dis, non mais regarde-moi la gueule du Duché ! Je te présente : c’est Peshawar-sur-Oise que c’est devenu, regarde, frangin, tout le quartier qu’est devenu barbu, gandouras (il se regarde dans le miroir). Il est où le Nénesse, bordel. Le King de la Creuse, j’étais, moi: rock and roll.». 

Le personnage d’Aurélien fait penser à ceux des pièces d’Anton Tchekhov, et  les autres rappellent ceux de François Rabelais. Jean-Louis Martinelli a su laisser s’épanouir ici cetee théâtralité du vécu grâce à un phrasé peu ordinaire et  charnel, présent dans le texte: « J’ai fait deux ans de zonze à l’époque, cause qu’on s’était fait gauler moi et le Riri avec un kilo de chichon a la frontière belge. À la sortie je vois une affiche : Engagez vous dans la Légion, que c’était écrit en rouge sur bleu, et moi, ni une ni deux, me v’la trois ans de Légion:  Kolwezi, le Liban. Le pognon, l’aventure.  C’était pas de la guimauve, je vais te dire.. »

La mise en scène donne cette dimension du vivant, indéniable dans l’écriture. « Alors, comment? Tiens, la petite vieille du rez-de- chaussée, oui le jour où qu’elle reçoit sa retraite, qu’elle sort de la B.N.P. , oh! Je la vois bien, la douairière, toute rasée de près, la petite dame, et tout, petits yeux violets, lunettes dorées, ses belles petites mules lavande, ses mitaines saumon rapiécées avec son bavoir blanc de la reine Victoria, comme dans les gravures . » Nénesse, type même du raté, aigri et raciste, violent et faible à la fois,  et son entourage nous ouvrent grand les yeux sur des situations trop souvent mises de côté, comme étant celles d’un autre monde…Saluons l’audace d’Aziz Chouaki et de Jean-Louis Martinelli: ce spectacle va droit au but, face à la situation sociale et morale de notre société française et européenne.Politique et poétique mais grotesque aussi : du théâtre au sens fort du mot!

 Elisabeth Naud

Spectacle vu au Théâtre Déjazet, 41 Boulevard du Temple, Paris IIIème. T: 01 48 87 52 55.

Du 13 au 16 mars, La Manufacture-Centre Dramatique National de Nancy-Lorraine.

Les 29 et 30 mars,  Théâtre Liberté  de Toulon.

 

Miracle en Alabama de William Gibson, adaptation et mise en scène de Pierre Val

 

Miracle en Alabama de William Gibson, adaptation et mise en scène de Pierre Val

 

Photo Lot

Photo Lot

William Gibson est né en 1948 en Caroline du Sud. Il a six ans quand son père meurt accidentellement. Sa mère va s’installer dans sa famille, en Virginie.. Lui, introverti, il devient un lecteur acharné et elle a beaucoup de mal à l’élever seule: elle décide alors de l’envoyer en pension, à des milliers de kilomètres de chez lui, en Arizona! Il découvrira alors la « beat generation » et toute la contre-culture .

Sa mère meurt quand il a dix-huit ans et il s’enfuit au Canada pour éviter d’être envoyé  faire la guerre au Viêt nam. Il reprend des études, voyage beaucoup et se marie. En 1977, il  retrouve  sa vieille passion pour la science-fiction et découvre le mouvement punk, mais se défie du capitalisme comme de la contre-culture, et commence à écrire des nouvelles influencées par la cybernétique et la réalité virtuelle sur la race humaine dans un futur imminent. Son premier roman, Neuromancien fut un grand succès littéraire, et il devient la figure de proue du cyberpunk.  Ce   livre est le premier de Sprawl Trilogy. Suivront Comte Zéro et Mona Lisa s’éclate, sur des thèmes comme les changements technologiques et leurs conséquences sur l’homme.

Bridge trilogy, (Lumière virtuelle, Idory, All Tomorrow’s Parties) se situe dans un futur proche.William Gibson écrivit également quelques éléments d’anticipation pour Alien qui furent intégrés au film. Miracle en Alabama est à l’origine, une nouvelle The Miracle worker, que Marguerite Duras avait adaptée* (Arthur Penn en fit aussi un film en 1962), un texte tiré de l’autobiographie d’Helen Keller (1903) Sourde, muette, aveugle : histoire de ma vie.

Cela se passe en Alabama, en 1887. Cette conférencière et militante politique était sourde et aveugle à deux ans, donc coupée du monde extérieur. Désespérés, ses parents feront appel à Annie Sullivan, une institutrice  tenace  qui prendra en charge l’éducation d’Helen et qui l’ouvrira au monde. Ce qui pose la question de la perception, de l’origine du langage et de son apprentissage. Et, bien entendu, cela n’ira pas sans conflit-parfois violent-entre cette éducatrice atypique qui veut avoir les mains libres pendant plusieurs semaines, et les parents d’Helen soucieux de garder l’affection de leur enfant. Mais aussi très inquiets des méthodes radicales utilisées par Miss Sullivan… On ne vous dévoilera pas la fin, mais les parents seront finalement à la fois éblouis et émus de voir que leur petite fille réussit à retrouver le tout début d’une expression orale.
Sur le plateau, un décor très simple censé représenté la salle à manger de la famille mais aussi la petite dépendance où Miss Sullivan vit avec la petite fille. La mise en scène de Pierre Val qui joue aussi le Père, tient la route et Valérie Alane, Julien Crampon, Stéphanie Hédin, Marie-Christine Robert font leur boulot, mais Lila Mekki, bien dirigée, est exceptionnelle de vérité, dans ce rôle pas facile de cette enfant difficile.
Mais bon, c’est toujours le même constat: comment faire passer l’essentiel d’une nouvelle au théâtre. Marguerite Duras pense que chaque roman ou nouvelle, possède  « un espace imaginaire propre ». Mais elle ne donnait pas, bien entendu, les clés pour le transposer sur un plateau. Ce qui n’a jamais empêché les metteurs en scène, de théâtre comme de cinéma, de tenter l’expérience et parfois à s’en sortir au mieux… Comme entre autres Jean Bellorini avec Tempête sous un crâne, une adaptation tiré surtout des dialogues des Misérables de Victor Hugo. Krzysztof Warlikowski  lui choisit de faire un spectacle à partir d’A la Recherche du temps perdu de Marcel Proust. « Il ne s’agit pas, dit-il, d’une adaptation, ce qui serait impossible. (…) Ce sont des tableaux, nés d’une investigation personnelle sur l’univers de Proust, au fil de découvertes ».

Et comment faire ressentir toute la saveur d’un récit, avec les  indispensables dimensions d’espace et surtout de temps, quand on l’adapte  pour le théâtre. Là est toute la difficulté et cela pose d’abord une question de rythme et de mise en place des dialogues. Ici, certaines scènes ont tendance à s’installer et on a parfois l’impression que  l’on a affaire à un théâtre d’un autre âge, et cette adaptation rame un peu surtout à la fin, et dégouline de bons sentiments… Un spectacle honnête dont on ne ressort pas vraiment convaincu. Mais il y a l’excellente interprétation de Lilas Mekki…

 Philippe du Vignal

Théâtre La Bruyère  5 rue La Bruyère, Paris IXème. T. : 01.48.74.76.99.
Séances sur-titrées pour sourds et malentendants, le 22, 17 et 31 mars.

Adaptation publiée par L’Avant-scène du théâtre n°279, du 1er janvier 1963.

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