Vu du pont d’Arthur Miller, mise en scène Nikaiti Kondouri

Vu du pont d’Arthur Miller, traduction de Giorgos Kimoylis et Nikaiti Kondouri, mise en scène Nikaiti Kondouri

 1L’auteur américain met l’accent sur deux questions bien claires dans son œuvre : les difficultés relatives à l’immigration et  ceux que provoquent l’expression du désir  de l’autre. Il montre les sentiments amoureux de Rodolpho, nouvel arrivé qui travaille en clandestin  dans le port de New York pour Catherine, la jeune nièce d’Eddie Carbone qui offre non sans objections l’hospitalité à des émigrés, bâtissant un peu partout le fameux « American dream ».

 Mais l’installation des cousins de Béatrice, la femme d’Eddie ne se fait pas toujours dans les meilleures conditions : et les ennuis apparaissent bientôt…  Tout est à recommencer en tenant compte de la mentalité des uns et des autres. Les Siciliens ne s’adaptent pas facilement à la vie de New York, surtout quand il leur faut se cacher des curieux qui se méfient de l’étranger.
Chez Eddie Carbone,  il aurait pu y avoir une bonne entente, si le jeune Rodolpho n’avait pas eu une relation intime avec cette Catherine, protégée par Béatrice et par Eddie… qui va la découvrir. Leur envie de se marier le rend furieux et incapable de se retenir et il commence à calomnier Rodolpho et à se moquer de sa tenue qu’il juge féminine. Catherine se révolte et veut à tout prix s’éloigner de la maison de son oncle dont le comportement dépasse les limites des sentiments purs, quand il essaye en vain d’avertir sa nièce. Dans  cette pièce, le point focal c’est le désordre sentimental qui attire l’attention du lecteur/spectateur, alors que la question socio-politique, à laquelle se mêle cette histoire d’amour, reste à la surface de Vu du pont…  Mais que Nikaiti Kondouri accentue dans cette mise en scène de cette  pièce, de façon à la fois rapide et nonchalante, quand il montre les doutes et revirements des personnages.

Georges Kimoulis donne à Eddie Carbone donne une couleur  tragique mais (Maria Kechagioglou et Iliana Mavromati (Béatrice et Catherine) arrivent quand même à attirer l’attention du public. Stathis Panagiotidis (Marco) et Alexandros Mavropoulos (Rodolpho) donnent à leurs personnages tout le dynamisme nécessaiire Nikos Chatzopoulos (Alfieri) assure, lui, la continuité de l’intrigue dans ce rôle de narrateur. Les autres comédiens recréent à certains moments, comme une espèce de chœur.

Giorgos Patsas a conçu des costumes et un espace d’incertitude et de doute, avec de gros crochets qui pendent d’un plafond singulier-finement éclairé par Lefteris Pavlopoulos, où il fait vivre les objets comme les ombres à la limite du cauchemar

Nektarios-Georgios Konstantinidis

Théâtre National de Grèce, 22-24 rue Agiou Konstantinou, Place Omonia, Athènes. T : 0030 210 5288170 

 


Archive pour février, 2018

Guérisseur de Brian Friel, mise en scène de Benoît Lavigne

 

Guérisseur de Brian Friel, traduction d’Alain Delahaye, mise en scène de Benoît Lavigne

 

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@ Karine Letellier

Le fantastique guérisseur Francis Hardy s’invite au « Paradis » du Lucernaire, comme l’ annonce sa bannière déployée sur le plateau, au-dessus de quelques chaises de tôle colorée. Tel un artiste, il parcourt les villages reculés d’Écosse et d’Irlande dans sa petite fourgonnette, en compagnie de Teddy, son impresario et de Gracie, sa femme

Les soirées s’enchaînent mais Francis Hardy qui abuse du whisky va se retrouver face à son destin Un soir, Les trois personnages arrivent dans un pub de Ballybeg et vont nous faire le récit de  leurs aventures événements, chacun dans un monologue, face public. On en découvrira un peu plus sur la personnalité torturée et menteuse de Francis Hardy et sur les sentiments de Gracie et Teddy à son égard.

La pièce de l’auteur irlandais, créée en France en 1986 par Laurent Terzieff et Pascale de Boysson n’y a jamais été représentée depuis. Benoît Lavigne s’empare de «l’univers terrien, rugueux, empreint de mysticisme et de légende, profondément ancré dans l’histoire et la culture de ce pays . On pense à Tchekhov : comme lui, Brian Friel met l’humain au cœur de son récit et nous raconte avec tendresse ces blessés de l’existence, ces médiocres qui, pour vivre, se réfugient dans le mensonge et l’illusion ».

 Des éclairages précis valorisent cette mise en scène assez simple mais plutôt efficace mais la direction d’acteurs laisse à désirer. Xavier Gallais et Thomas Durand (en alternance)  incarnent le héros taciturne. Ce soir-là, Thomas Durand semblait jouer à la manière de Xavier Gallais mais sans sa profondeur et son côté ténébreux… D’autres spectateurs auront, eux, l’occasion d’apprécier le talent de Xavier Gallais. Bérangère Gallot, sous les traits de Gracie, traduit le caractère faible et sous influence du personnage censée grâce à sa séduction, provoquer de forts sentiments chez les deux hommes. Mais le jeu nerveux  de la comédienne nous empêche parfois d’entendre le texte. Hervé Jouval, (Teddy)  apporte une bouffée d’air: avec ses allures bonhomme, il est le seul à nous faire sourire et en use mais à bon escient.

Le texte paraît un peu long, malgré son charme et ses parfums de lande et de tourbe irlandais,. L’histoire répétée par trois fois sous forme de monologue finit par lasser. Qui est finalement, ce Francis Hardy : un escroc ? Un artiste ? Un sale type ? La fin, abrupte, nous laissera avec nos questions…

 Julien Barsan

Théâtre du Lucernaire, 53 rue Notre-Dame des Champs, Paris VIème T. :01 45 44 57 jusqu’au 14 avril.

Les textes de Brian Friel sont publiés chez Faber et Faber.

 

 

Hugo l’interview, animée par Yves-Pol Deniélou, mise en scène de Charlotte Herbeau

Hugo l’interview, animée par Yves-Pol Deniélou, mise en scène de Charlotte Herbeau

_MG_0117Cela se passe dans une belle petite salle voûtée en pierre claires mais très peu adaptée au théâtre.  Victor Hugo (Yves-Pol Deniélou) répond avec délicatesse et humour, lors d’une interview, aux questions en voix off de la journaliste d’une émission radio, Un jour, une légende. On pense parfois à L’Heure bleue de Laure Adler sur France-Inter…

Victor Hugo (1802-1885) est là, à quelques mètres de nous, le plus souvent debout, bien droit avec une belle barbe rousse, en costume et gilet noir  qui laisse paraître la chaîne en or d’une montre à gousset.  Il répond, en grand pro de la parole, avec une grande précision et une excellente diction, aux questions posées.  La quarantaine, calme et très à l’aise, et jamais hautain; plutôt bienveillant, même quand les questions sont un peu franches

C’est, vous l’aurez compris, un intelligent montage, bien réalisé par le comédien lui-même, à partir d’extraits de textes en prose, de poèmes, entre autres: La Légende des siècles, Les Misérables, Dernier jour d’un condamné, Choses Vues, Actes et Paroles, etc. qu’il avait déjà joué au festival d’Avignon 2016. On trouve ici le Hugo passionné de langue française, d’abord l’enfant de la maison des Feuillantines qu’il évoque avec nostalgie, le romancier, le poète, l’essayiste épris de liberté,  l’auteur de théâtre,  admirateur de William Shakespeare plus finalement que de Molière: avec  son souhait qu’il y ait dans ses drames, un «mélange sur la scène de tout ce qui se mêle dans la vie». Mais aussi le mari, le père, et l’émigré à Guernesey, l’amoureux de Juliette Drouet et de bien d’autres femmes, comme en témoignent ici des extraits de sa correspondance avec Louise Colet (1856),  George Sand, (1864). Tous ces textes, écrits dans une très belle langue et bien portés en solo par Yves-Pol Deniélou, nous renvoient parfois, plus d’un siècle et demi après leur écriture, à l’actualité française la plus récente! Impressionnant.

Côté mise en scène, ce montage méritait mieux que ce travail honnête mais un peu rudimentaire. Quitte à faire dans le réalisme d’une émission de radio, pourquoi ne pas avoir convoqué la journaliste sur le plateau. Question de budget, ne faites pas le naïf, du Vignal ! Sans doute, mais cela aurait donné plus de vérité à ces questions, souvent mal formulées et trop écrites, et à ces réponses trop longues de cet interview qui gagnerait encore en puissance avec quelques aérations musicales.

Mieux vaut oublier ces lumières rouges pléonastiques et ces bruitages intempestifs qui auraient leur place dans une fiction mais pas ici évoquant une fiction, comme ce grincement de roues de charrette pour Le Crapaud, ce fameux poème de La Légende des siècles.  Par ailleurs, on ne comprend pas trop ce que vient faire à la fin cet extrait trop long de Chantecler (créé en 1910 et d’une inspiration déjà surréaliste avant la lettre) d’Edmond Rostand, choisi pour clore cette émission par Victor Hugo qui n’a pu, bien entendu, le connaître… 

Cela dit, grâce à l’excellence du jeu d’Yves-Pol Deniélou, ce petit-mais grand-spectacle mérite le détour, malgré la médiocrité de la salle. Et il donne envie de relire cet écrivain exemplaire à plus d’un titre. Une pensée pour ce grand spécialiste de Victor Hugo que fut Jacques Seebacher, mort il y a dix ans, et qui l’aurait sans doute bien aimé. Reste à souhaiter à Yves-Pol Deniélou d’être invité par un théâtre, national ou pas, pour jouer sur un vrai plateau cet Hugo, l’interview. Il le mérite amplement.

Philippe du Vignal

Théâtre Essaïon, 6 rue Pierre au lard (à l’angle du 24 rue du Renard)  Paris IVème, les lundi et mardi à 19h 30, jusqu’au 1er mai.

L’Inversion de la courbe, écriture et mise en scène de Samuel Valensi

 

L’Inversion de la courbe, écriture et mise en scène  de Samuel Valensi

 L'inversion de la courbeVanité des vanités, vanité de la fuite en avant de celui qui veut échapper à lui-même, en améliorant toujours son rendement professionnel. La métaphore pourrait en être l’entraînement sportif ritualisé pour obtenir une forme physique rêvée.Le protagoniste, victime et bourreau à la fois consentants à l’intérieur d’un système ultra-libéral, où chacun «se fait mais est usé avant de commencer». On dépense l’énergie quotidienne restante ou plutôt non encore entamée ni gaspillée si on est en début de journée,  dans un club  de gym… ou en s’acharnant sur un vélo d’appartement.

 Comme Paul-Eloi Forget, dans cette comédie satirique dont les personnages portent le nom des comédiens : des héros contemporains aux  journées toujours plus remplies et d’autres qui subissent le vertige du manque d’argent et le déclassement social. L’auteur-metteur en scène rend compte ici de l’omniprésence de la productivité dans notre quotidien, avec des effets inattendus mais presque obligés de décrochage, vérifiés  auprès de l’association des Petits Frères des Pauvres. « Nombreux, dit Samuel Valensi,  sont ceux qui, dans notre équipe, ont réalisé des études économiques ou commerciales et connaissent la vie en entreprise. Et il nous a paru évident que, pour comprendre la logique du déclassement, il fallait commencer par le lieu-même où elle débute et par observer à quel point l’exigence de productivité est devenue incontournable dans notre quotidien. »

On parle en effet de réussite et de succès personnels, rarement d’échec : un sujet tabou et les meilleurs amis de toute personne concernée peuvent alors s’en éloigner ! «Alors, fixez-vous un objectif, atteignez-le et dépassez-le. Ici, vous devenez plus que vous-même». Patron, collègue et banquière, les discoureurs sont tous là pour prêcher la bonne parole, à part le père -âgé et provocateur- du héros et qui lui a toujours offert des romans à lir, et la bénévole qui aide les plus démunis.

 Ne jamais oublier qui on est, ce que l’on fait, et ce que l’on veut atteindre. Si l’on dévie de cette route, et qu’on oublie tous ses objectifs pour précisément ne plus avoir peur sans tension ni stress, alors la fin de soi se dessine… Mais Paul-Eloi  s’est autorisé une absence : fatale en plein entraînement : «Je me sentais léger et heureux, j’avais oublié ma musique, la ville, j’avais oublié qui j’étais, j’avais oublié ce que je faisais, j’avais oublié le boulot, j’avais oublié mon père j’avais même oublié que j’étais en train de courir… »  Paul-Eloi a vu un coureur le dépasser, un collègue nommé pour l’accompagner et… qui prendra son poste.

 Un frisson, lors du spring final, a glissé le long de sa colonne vertébrale : une sensation de peur de ne plus être compétitif mais improductif, peur de l’inversion de la courbe et du salaire négatif… Juste une impression de désastre personnel, quand on perd son crédit d’appartement. Grandeur et décadence d’une identité professionnelle payante…  mais qui ,aujourd’hui, ne paie plus. Michel Derville, Alexandre Molitor et Maxime Vervonck font bien le boulot mais Paul-Eloi Forget rafle la mise.

Véronique Hotte

Théâtre de Belleville, 94, rue du Faubourg du Temple, Paris (XIème). T: 01 48 06 72 34 jusqu’au 26 février.

Les garçons et Guillaume, à table ! de Guillaume Gallienne, mise en scène d’Anna Chatzisofia

 

Les garçons et Guillaume, à table ! de Guillaume Gallienne, traduction de Dimitra Kondylaki, mise en scène d’Anna Chatzisofia

26828917_10159801863265034_1233770705_oLa pièce (2007) fondée sur des éléments autobiographiques  est un long  monologue, avec parfois des voix intervenant depuis les tréfonds de la substance émotionnelle du protagoniste et qui forment une mosaïque d’informations, d’ordre cognitif, esthétique et sentimental… Dans un délire linguistique finalement contrôlé par Guillaume Gallienne qui narre devant le lecteur et/ou  spectateur, des menus détails de sa vie et la relation du jeune  homme qu’il était, avec ses proches, et notamment avec sa mère qui s’adresse toujours à lui comme s’il était une fille ! Et son entourage lui a insufflé l’idée qu’il n’est pas un être masculin mais qu’il possède une présence féminine. Il cherche donc à imiter la voix et le comportement des femmes pour satisfaire sa mère qui le traite comme un homosexuel. Ce monologue décrit la trajectoire d’une conscience masculine vers sa maturité et,  chemin faisant, il découvre son identité sexuelle, alors que son expression raffinée l’avait fait ranger du côté des « différents ».

Il confesse ses moments de doute mais aussi parfois de certitude. Guillaume souffre car sa vie entière est fondée sur une espèce de malentendu. Déchiré, il ne sait quelle orientation sexuelle choisir  et il se sent garçon alors que les autres le considèrent comme une fille. Et la vie le conduit vers les femmes. Même s’il est depuis toujours un enfant ordinaire. Avec un sens  de la masculinité  malgré sa finesse, ses peurs et son comportement élégant.
Plus tard, il rencontrera la femme de sa vie, se mariera avec elle mais sans jamais convaincre sa mère de son choix. Comme si elle voulait toujours le posséder, elle considère les autres femmes comme des adversaires !

Anna Chatzisofia réussit à établir une communication directe entre le comédien et le public, tout en soulignant le comique de ce monologue. Seul décor-imaginé par Evelyne Sioupi-la loge du comédien où chaque objet a des connotations qui complètent sa parole. Comme cet éventail, objet extatique, symbole de la  vie de Guillaume jeune où, dans ses souvenirs, le garçon et la fille se juxtaposent. Périclès Lianos incarne Guillaume Gallienne avec beaucoup de bonne humeur et sans  scepticisme; il change de voix pour animer la parole des autres personnages et réussit à contrôler ses gestes pour éviter toute parodie.
Un remarquable monologue très maîtrisé par Périclès Lianos…

Nektarios-Georgios Konstantinidis

Théâtre Alkmini, 8-12 rue Alkmini, Athènes. T.: 0030 210 3428650

 

Le Jeu de l’amour et du hasard de Marivaux, mise en scène de Catherine Hiégel

Le Jeu de l’amour et du hasard de Marivaux, mise en scène de Catherine Hiégel

 LEJEU hauteur008La pièce (1730) est emblématique de la dramaturgie de l’auteur, avec une intrigue amoureuse simple: le mariage arrangé de deux jeunes gens de bonne famille par leurs pères. Déguisés, les maîtres  vont prendre l’apparence de leurs domestiques afin de mieux connaître celui ou celle qui leur est destiné. Et leurs serviteurs-à qui ils ne demandent pas leur avis-devront eux prendre leur costume. Mais les manipulés se révéleront aussi être de très bons manipulateurs

Les jeux de l’amour ainsi distribués font que Silvia, la maîtresse de Lisette, craint d’aimer un valet, alors que femme de chambre et vrai valet se réjouissent. Arlequin, changé en Dorante, son maître, s’empresse auprès de la fausse maîtresse qui brûle de consentir à la passion qu’il semble lui porter… La raison l’emportera sur ces jeux de miroir mais cet échange de vêtements et de rôles provoquera le rire chez les valets et un trouble étrange chez leurs maîtres…

Volte-face et travestissements, les quatre personnages adoptent une identité qui n’est pas la leur, au risque bien entendu, de s’y perdre eux-mêmes. Les dialogues imaginés par Marivaux sont malicieux et spirituels, et les apartés expriment bien les émotions des «moi» amoureux de ces valets et maîtres. La mise en scène de Catherine Hiégel a un bon souffle et une belle cadence. Cela se passe dans le jardin d’un hôtel particulier, sous des arbres verts, dans la bonne humeur et la joie, même quand soubrette et maîtresse parlent entre elles du mariage, et plus particulièrement des mariages arrangés.

Alain Pralon interprète avec bonne humeur et facétie, Orgon, père de Silvia. Laure Calamy est une Lisette à la fois facétieuse et sensible qui minaude devant son amoureux, et qui, avec des petits gestes et marques d’attention risibles, se moque des différences sociales. La comédienne sait jouer de sa fibre comique avec un grand naturel, quand Lisette contrefait sa maîtresse. On la sent prête à se hisser dans un monde qui n’est pas le sien et à des hauteurs qu’elle n’aurait jamais osé entrevoir. Vincent Dedienne est un Arlequin puissant qui saute d’un bonheur indicible, après avoir essuyé l’humiliation, quand il a dû révéler son identité réelle de valet. Clotilde Hesme exprime bien la douceur et l’esprit subtil de la belle et digne Silvia, quand elle joue sa suivante, sans souci de vérité: séduite malgré elle, par le valet du prétendant… qui n’est autre que le prétendant. Nicolas Maury est un Dorante qui ménage passion et raison, pudeur et folie amoureuse. Et Cyrille Thouvenin joue Mario, le frère de Silvia qui, utilisé pour rendre jaloux Dorante, s’amuse tout autant qu’Orgon, le père de ce dernier…

Un spectacle frais et ludique qui distille un vrai plaisir de théâtre populaire et où les spectateurs ne se privent pas de rire aux dialogues écrits dans une langue admirable, il y a déjà presque trois siècles par cet auteur, l’un des classiques les plus joués en France, notamment à la Comédie-Française…

Véronique Hotte

Théâtre de la Porte Saint-Martin, 18 boulevard Saint-Martin, Paris Xème. T. : 01 42 08 00 32, jusqu’au 29 avril. 

 

La Migration des canards d’Élisabeth Gonçalves, mise en scène d’Émilie Le Roux

 

La Migration des canards d’Élisabeth Gonçalves, mise en scène d’Émilie Le Roux

 

© Jessica Calvo

© Jessica Calvo

Une petite fille de dix ans évoque son quotidien, ses parents, l’école, et parle de «la loge» : sa mère est gardienne d’immeuble… Quand ses camarade de classe l’invitent à leur anniversaire, sa mère trouve systématiquement une excuse pour ne pas l’y envoyer : rendez-vous chez le médecin, départ en week-end… Car elle a honte de son petit logement et ne peut inviter à son tour, les amis de sa fille. Le père n’hésite pas à battre l’enfant quand elle ne répond pas à ses exigences : il veut qu’elle excelle en tout et qu’elle ne fasse pas de vagues.

C’est l’histoire de toutes ces familles issues de l’immigration qui ne se sentent légitimes que si elles se fondent dans le paysage, que si elles renoncent à leur culture et à leur identité d’origine. La petite fille vit difficilement les coups, mais plus encore cette injonction d’exemplarité,  si pesante. Comment, dans ces conditions, grandir, s’épanouir et exprimer sa personnalité ? Pour Émilie Le Roux, «Le défi de cette création était de faire entendre ce récit fort et sensible en l’ancrant dans une aspiration à la vie et à la liberté. Sous l’emprise d’une éducation stricte, violente, l’enfant voudrait s’en extraire et elle en prend conscience sur les bancs de l’école qui vient mettre en tension son éducation et ses aspirations »

 Elisabeth Gonçalves signe un texte fort et âpre mais qui prend un certain temps à s’incarner au plateau. Élisa Violette Bernard parvient petit à petit à nous embarquer, insidieusement au début. Puis son débit devient plus rapide, ses gestes sont plus marqués et elle s’essouffle comme si une spirale se refermait sur elle.

Au-dessus de l’espace de jeu, des chaises de classe, immobiles et retenues par de minces filins, finiront par descendre, danser et encercler la comédienne. L’école, seul lieu extra-familial du personnage, se révèle ici un endroit à la fois d’enfermement et d’épanouissement. La vidéo, bien « dosée » de Pierre Reynard complète la scénographie de Tristan Dubois éclairée de façon magnifique par Éric Marynower. Et par ailleurs, la musique enregistrée par Roberto Negro et les frères Ceccaldi accompagne ce travail d’équipe d’une grande cohérence. Émilie Le Roux et la compagnie Les Veilleurs s’imposent spectacle après spectacle, comme des acteurs incontournables du théâtre jeune public (voir Le Théâtre du Blog). Mais au-delà de cette étiquette, la pièce reste intéressante à tout âge, et cette Migration des Canards prend son envol, une fois que l’on est entré dans cette écriture un peu particulière.

Julien Barsan

Spectacle vu au Théâtre Jean Vilar de Vitry-sur-Seine (Val-de-Marne).

Le 16 mars au Parvis, Scène nationale de Tarbes-Pyrénées. T. : 05 62 90 08 55

 

Les Séparables de Fabrice Melquiot, création collective sous le regard de Christophe Lemaire et Emmanuel Demarcy-Mota

 © Jean-Louis Fernandez.

© Jean-Louis Fernandez.

Les Séparables de Fabrice Melquiot, création collective sous le regard de Christophe Lemaire et Emmanuel Demarcy-Mota

L’auteur est un vieux complice d’Emmanuel Demarcy-Mota, le directeur du Théâtre de la Ville. Acteur dans sa compagnie, il a ensuite été auteur en résidence à la Comédie de Reims, quand il  la dirigeait. Il a notamment écrit plusieurs pièces de théâtre pour enfants, dont Alice et autres merveilles, rejoué l’an passé à l’Espace Cardin. Et Fabrice Melquiot dirige depuis cinq ans le théâtre pour la jeunesse, Am Stram Gram à Genève.

 © Jean-Louis Fernandez.

© Jean-Louis Fernandez.

Les Séparables, un beau titre pour une histoire d’amour à la fois simple et des plus subtiles, dans un quartier ou une cité actuels, où le « vivre ensemble » n’est pas toujours facile, à cause de la diversité des populations. Et où fleurissent des tensions sur fond de préjugés et non-dits mais aussi de clichés et injures racistes. Romain, un français et Sabah, d’origine algérienne, n’ont même pas dix ans et vont connaître des amours enfantines à la fois imprégnées de tendresse mais aussi du sentiment de précarité.

Leur amour mais aussi la haine des adultes entre eux vont être leur ordinaire. Sabah se prend pour une Sioux de la tribu des Dakota qui chasse le bison blanc et sa vie va tourner autour de cette légende qu’elle s’est inventée pour se protéger d’un monde hostile. Romain, lui, est un petit garçon dont les parents s’aiment tellement… qu’ils le laissent le plus souvent seul. Il les dit capables de «l’oublier dans un coin et d’aller manger des huîtres au restaurant». Plus tard, il apprendra, catastrophé, qu’ils divorcent! Comme Sabah, il se réfugie donc dans un imaginaire bien à lui et s’imagine en cow-boy à cheval, loin des horreurs du quotidien.

D’abord très amis, ils découvrent l’amour mais aussi la haine des adultes entre eux, ce qui finira par les séparer. Sabah a apporté à Romain des makrouts-une pâtisserie maghrébine à base de semoule et pâte de dattes-que sa mère a  confectionnés. Mais ce petit cadeau va tout bouleverser! Romain estropie le mot makrout qu’il trouve plutôt bizarre. Sabah, elle, lui dit qu’il a des parents racistes. La famille de Sabah, effectivement écœurée par le racisme ambiant, quittera la cité et les  amoureux seront donc séparés. Pour se retrouver plus tard… mais quelque chose aura évolué dans leur relation. Ainsi la vie n’est pas le long fleuve tranquille décrit par la Bible, semble nous dire Fabrice Melquiot. Avec beaucoup d’humour, de sensibilité et de raffinement dans une écriture virtuose, quand il peint ces enfants en quête d’un idéal et qu’il dénonce le comportement de certains adultes…

 © Jean-Louis Fernandez.

© Jean-Louis Fernandez.

Sur le plateau, Yves Collet a imaginé une scénographie très simple avec surtout, en fond de scène, des  images vidéo réussies et efficaces de Mike Guermyet qui situent bien les choses: de hautes barres d’immeubles grises et tristes comme on en voit un peu partout dans les banlieues des grandes villes, une belle forêt avec un cerf, et la silhouette d’un cheval que Romain va enfourcher… Céline Carrère et Stéphane Krähenbühl imposent vite les personnages de ces enfants qui «croyaient en des mystères plus grands qu’eux», et «enrageaient de ne pas être ceux qu’ils voulaient être». Mais la jeune comédienne aurait quand même intérêt à faire simple et à ne pas jouer parfois en force cette petite fille qu’elle n’est plus.

Un spectacle pour enfants, plus que pour adolescents, en cinquante minutes et d’une grande exigence artistique dans la mise en scène, le jeu et la scénographie. Qui sonne comme une invitation au respect et à la tolérance envers l’autre… Et où les parents peuvent aussi trouver matière à réflexion, quand il s’agit pour eux de vivre la différence, avec des parents d’enfants amis des leurs,  mais d’une autre couleur de peau et/ou issus d’autres civilisations… Il faut signaler que le Théâtre de la Ville a, chaque saison, une bonne programmation de théâtre, pour enfants et pour adolescents. Ce qui n’était pas le cas sous le règne des précédents directeurs de ce théâtre, ni dans les autres salles parisiennes qui ne font jamais de création de textes contemporains, et qui, le plus souvent, présentent des pièces classiques en format poche, mal mises en scène et mal jouées…Et la petite salle de l’Espace Cardin qui héberge le Théâtre de la Ville-fermé pour cause de travaux depuis 2016-convient bien à ce type de spectacle.

Mais au fait, madame Hidalgo, pourquoi ces dits travaux, longs et coûteux, n’ont-ils visiblement pas commencé? Pourtant planifiés de plus longue date pour remettre aux normes les outils techniques, la sécurité et l’accessibilité de la salle. Cela veut sans doute dire que le Théâtre de la Ville va devoir loger dans la médiocre salle de Cardin et, au coup par coup, dans d’autres salles parisiennes pendant encore plus de deux ans! Alors que le Théâtre du Châtelet, lui aussi sous tutelle de la Mairie de Paris, est actuellement aussi en rénovation…L’inauguration des deux bâtiments étant prévue avant les prochaines élections municipales  en mars 2020! Mais on voit mal comment les délais pourront être tenus… Cela n’est pas digne d’une ville comme Paris! Vous avez dit désordre?

Philippe du Vignal

Théâtre de la Ville, Espace Cardin, avenue Gabriel, Paris VIIIème, jusqu’au 23 février.  

Le texte est publié aux éditions de l’Arche.

 

 

Ubu roi d’Alfred Jarry, mise en scène de Manos Vavadakis

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Ubu roi d’Alfred Jarry, traduction d’Achilleas Kyriakidis, mise en scène de Manos Vavadakis

 Une intrigue simple: Ancien roi d’Aragon, Ubu renverse le roi de Pologne, son bienfaiteur et fait lâchement massacrer tous ceux qui lui font obstacle quand il veut régner. Cette réécriture parodique du Macbeth de Shakespeare, fait penser au Caligula d’Albert Camus, mais aussi à Œdipe-roi de Sophocle… Alfred Jarry fait de l’absurde, un instrument d’introspection  mais aussi de contestation sociale.

Symbole de la cruauté, Ubu, despote haï aux instincts les plus bas, incarne l’arbitraire du pouvoir et tue aveuglément ses adversaires. Un personnage de farce aux gestes démesurés qui nous  fait goûter à la puissance de subversion et à l’insolence des jeunes potaches du lycée de Rennes où l’auteur était élève. Alfred Jarry s’amusait avec ses camarades à railler M. Hébert, leur professeur de physique.  Ainsi naîtra le personnage d’Ubu, déclenchant un beau scandale à la première en 1896, au Théâtre de l’Œuvre. Aucun doute: l’auteur est bien le précurseur du théâtre de l’absurde mais aussi et surtout du dadaïsme et du surréalisme dont les écrivains et artistes ont vu dans la pièce l’expression de l’inconscient. Le jeune écrivain aura ouvert la voie à de nombreux dramaturges et en son honneur, Antonin Artaud et Roger Vitrac créeront vingt ans plus tard le Théâtre Alfred Jarry.

La traduction d’Achilleas Kyriakidis garde intact son esprit railleur, tout en soulignant le caractère grossier d’une expression comique, disons aristophanienne, comme le baroque de l’écriture avec toute la vulgarité des paroles et le paradoxe des situations. Manos Vavadakis  a imaginé une mise en scène qui nous plonge dans le scepticisme et la mélancolie jusqu’à la fin du spectacle. Rappelant qu’aucun changement politique n’apporte en effet quelque chose vraiment de nouveau et que la crise économique ne prend jamais fin. Rappelant aussi  que ceux  exerçant le pouvoir sont toujours d’une grande avidité, et donc nuisibles au peuple, las des promesses mais toujours piégé par un bon orateur qui rêve de satisfaire ses ambitions personnelles.

Et la mise en scène fait de jolis clins d’œil à l’actualité grecque. Manos Vavadakis, Stella Voyiatzaki, Chara-Mata Giannatou, Panaghiotis Exaerheas, Katerina Zissoudi, Aris Laskos, Maria Moschouri, Giannis Niarros jouent sur un mode expressionniste, avec toute la vivacité indispensable ici.
Côté scénographie, Manos Vavadakis a imaginé avec deux mondes: un écran vidéo et une sorte de boîte de nuit. Avec des costumes de Giorgina Germanou assez kitch. Cette esthétique burlesque est renforcée par les lumières rouges de Stella Kaltsou et par la musique de Giannis Niarros et Christos Mastroyiannidis qui donne un caractère encore plus comique à la pièce. Tandis que la vidéo de Giorgos Tsirogianni, le décor et les costumes renvoient à la fameuse série Stars wars

Nektarios-Georgios Konstantinidis

Théâtre National de Grèce, 48 rue Panepistimiou, T. : 0030 210 33 01 881

1 heure 23’ 14’’ et 7 centièmes de Jacques Gamblin et Bastien Lefèvre


1 heure 23’ 14’’ et 7 centièmes de Jacques Gamblin et Bastien Lefèvre

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©Giovanni Cittadini Cesi

 Habitué à écrire ses monologues et à les interpréter, souvent accompagné de musiciens, ici le comédien écrit, joue et met en scène le spectacle, en dialogue avec Bastien Lefèvre, un jeune danseur, de la compagnie Fattoumi-Lamoureux, depuis 2013. «C’est lui qui m’a proposé ce thème de la transmission, dit-il. Et nous avons construit ensemble 1 heure 23’ 14’’ et 7 centièmes, à partir de nos expériences dans le milieu sportif mais aussi dans nos propres milieux professionnels de la danse et du théâtre, où la transmission est présente en permanence.»

 Jacques Gamblin, très rodé au jeu physique dans ses précédents spectacles, bouge avec aisance  et son partenaire compose, lui, un personnage, maladroit à cause de son impatience. Le professeur intervient pour corriger l’apprenti-sportif et lui enseigner à mettre un pied devant l’autre, à rechercher patiemment un équilibre parfait: «A chaque pas que tu fais, tu veux gagner. Mais gagner quoi là, maintenant? Attention, grand, tu peux tout perdre du trop de désir de tout gagner. Tu peux tout perdre de la peur de tout perdre.» On retrouve la plume précise de l’auteur. Pas un mot de trop.

Et le rapport maître/élève s’instaure peu à peu : autorité de l’un, confiance de l’autre. Cela passe aussi par un rapport entre leurs corps, dans l’espace. «Il faut que l’homme au poids léger que tu deviens, soit beau à voir. » Le jeune homme acquiert alors peu à peu ses points d’ancrage, et ses gestes deviennent harmonieux. Mûr à prendre son envol. Le professeur peut se reposer.«Quand on veut transmettre quelque chose d’important.(…) On veut être compris, dit Jacques Gamblin. Et on sait qu’on l’est, quand ça passe dans le corps. Parce que c’est le corps qui agit au final.(…) Le mouvement, c’est le silence des mots. Tout est bon pour essayer inlassablement de faire ressentir. « 

En une heure vingt, cette élégante démonstration des ressorts de l’apprentissage qui peut s’appliquer à tous les domaines, trouve ici son expression grâce au théâtre, en convoquant à la fois les arts de la comédie et de la danse. Il s’en dégage une philosophie apaisée…

 Mireille Davidovici

Théâtre du Rond-Point, 2 bis avenue Franklin D. Roosevelt, Paris VIIIème. T. 01 44 95 98 00, jusqu’au 18 mars.

 

 

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