En Acte(s) : quatrième édition

En Acte(s) : quatrième édition

 «Une sorte de laboratoire, indissociable de la création et de la représentation  et dont le texte est le cœur» : Maxime Mansion définit ainsi ce festival fondé en 2014 par sa compagnie En Acte(s). Il part du principe que les auteurs, comme les acteurs et metteurs en scène, ont besoin d’un espace de travail pour affiner leur recherche dramatique.

Règle du jeu, immuable et imposée: une commande passée à de jeunes écrivains (mais aussi à certains plus expérimentés) d’un texte, d’une heure au plus, pour cinq comédiens maximum. Un metteur en scène accompagne chaque auteur pendant l’écriture (deux ou trois mois) puis dispose de douze jours pour mettre la pièce en jeu, avec des acteurs de son choix. Plateau nu, texte su, sans régie technique : son et lumière, si nécessaires, sont pris en charge par les comédiens. Vingt-six pièces ont déjà vu le jour, lors des précédentes éditions. En Acte(s), reçu cette année au T.N.P. à Villeurbanne, en présente dix-sept, en alternance et regroupées sur trois samedis. La troisième semaine, ont été invités des textes venus de pays africains, des départements et territoires français d’Outre-Mer, de Belgique et du Québec… et un spectacle bilingue, en créole réunionnais et en français.

 En ce premier samedi de mars, un spectateur assidu aura ainsi pu voir cinq pièces d’affilée, prises en charge par cinq équipes différentes. Une plongée dans le vif des préoccupations d’aujourd’hui, les textes devant «faire écho à l’actualité » qui ne manque pas de thèmes préoccupants !  Par exemple, le chômage et la difficulté pour les jeunes d’entrer dans la vie active et de s’insérer dans notre société,  comme dans Un coin tranquille de Thibault Fayner. Y rôde le fantôme d’une grand-mère à la mémoire qui flanche…La  mise en scène d’Anne-Laure Sanchez peine à rassembler les monologues épars de ce corpus, quoique très bien écrits, suscités par la mort de l’aïeule.

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cheznous ©michelcavalca

 Dans la pièce de Julie Ménard, Ouvreuse, l’intolérable présence des sans-abri et la maladie mentale d’un frère nourrissent la révolte d’une jeune femme, ouvreuse à l’occasion mais surtout pilier de bar. L’inertie du monde lui semble intenable, et elle va se laisser déborder -trop de rancœur et trop d’alcool- et à la fin, personnage et pièce partiront à la dérive… Malgré l’interprétation vigoureuse de Valentine Vittoz, mise en scène par Lucie Rébéré.

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les morts intranquilles_©michel Cavalca

 

L’actualité, vécue en direct -la visite de président de la République française au Burkina Faso- a conduit Aristide Tarnagda à convoquer des figures historiques dans Les Morts intranquilles. Dans un bar de Ouagadougou, tenue par une femme à poigne, la télévision diffuse l’intervention d’Emmanuel Macron à l’université  et l’humiliation scandaleuse que le Français infligea à son homologue burkinabé, Roc Marc Christian Kaboré. La bière aidant, les langues vont bon train entre les clients du débit de boisson. La tenancière (Alizée Bingöllü), elle aussi ne mâche pas ses mots quant aux dirigeants de la soit disant « patrie des hommes intègres ». Quand arrive l’heure de la fermeture, la conversation de bistrot glisse progressivement vers la tragédie. Un personnage jusque là resté muet dans un coin vient confesser son crime. Il s’agit du président déchu, Blaise Compaoré, revenu d’exil à l’appel d’un fantôme : son presque frère, Thomas Sankara, dont il a le sang sur les mains. Assassiné en 1987, il hante la conscience du fratricide… Comme il hante la mémoire de ses compatriotes, portée par les belles envolées lyriques d’Aristide Tarnagda. Les comédiens, dirigés par Sylvie Mongin-Algan donnent une couleur surprenante à cette langue effervescente, autrement que le feraient des interprètes africains, ce qui ne manque pas d’intérêt. L’auteur propose ici une suite à Sank ou la Patience des morts, centré sur le personnage de Thomas Sankara. On entre ici dans un tout autre registre que celui des œuvres précédentes et on entend, dans cette écriture, l’urgence de la révolte.

 

irrépressible ©Michel cavalca

irrépressible ©Michel cavalca

Les commandes gagnent parfois à être un peu détournées, comme l’a fait Kevin Keiss qui, avec Irrépressible, convoque un trio de cœurs brisés. Des jeunes gens se cherchent à travers leurs manques : d’amour, de perspective sociale et de lendemains qui chantent… Marine, Antoine et Gaspard disent leur peine à vivre et leur désir de combler une béance de sens. Sous la direction de  Baptiste Guiton, Juliette Savary s’engage à fond dans l’incarnation d’une personnalité complexe, autour de laquelle se structure une action dramatique bien menée.

Dans la plupart de ces textes, les personnages féminins, qu’ils émanent d’auteurs ou d’autrices, offrent de beaux rôles aux actrices. Dans l’ensemble, cette brochette d’une vingtaine de comédiens, relativement jeunes pour la plupart, défend avec conviction ces textes à l’encre parfois encore fraîche…. Les organisateurs d’En Acte(s) et les compagnies assument ici avec générosité les risques de toute commande d’écriture. Un véritable marathon s’engage alors chaque semaine pour les acteurs et, malgré la fragilité de ces textes vite troussés, le travail de plateau, sans régie ni décor, reste rigoureux.

 Chantier ouvert au public, ce festival met en présence et en valeur comédiens et auteurs. Que deviendront ces spectacles embryonnaires et ces textes tous édités dans un recueil publié pour l’occasion ? L’avenir le dira. Mais cela aura été un moment de rencontres pour plusieurs compagnies théâtrales et un possible tremplin pour les auteurs …

 Mireille Davidovici

Spectacles vus le 3 mars au Théâtre National Populaire, 8 place Lazare-Goujon, Villeurbanne (Rhône). T. : 04 78 03 30 00

 Du  6 au 10 mars : Bokono d’Antonin Fadinard, mise en scène d’Olivier Borle; La Disparition de Guillaume Cayet, mise en scène de Michel Raskine ; Et après de Marilyn Mattei, mise en scène de Julie Guichard ; On dit que Josépha de Gwendoline Soublin, mise en scène de Philippe Mangenot ; Il faut sauver Amour/Anna de Judith Zins, mise en scène de Maïanne Barthès.

Du 14 au 17 mars Kisa mi le de Daniel Léocadie et un spectacle sonore avec les textes de Maxime Brillon (Canada) Jeanne Diama (Mali), Iuvan (Belgique) Aïssa- Boucary Maïga (Mali), Kostadis Mizaras(Grèce), Kibsa-Anthony Ouedraogo (Burkina Faso) Kiswinsida Ali Ouedraogo (Mali)

Un recueil des dix-sept pièces présentées est publié à l’occasion de la manifestation par l’édition EN ACTE(S).

 

 


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