Périclès Prince de Tyr de William Shakespeare, mise en scène de Declan Donnellan

© Patrick Baldwin

© Patrick Baldwin

 

Périclès, prince de Tyr de William Shakespeare, mise en scène de Declan Donnellan

 Pourquoi et comment mettre en scène aujourd’hui cette pièce mineure du grand dramaturge?  Rarement montée, elle a pourtant intéressé Declan Donnellan qui y voit «une histoire sur les mystères de l’amour, de la perte et de la redécouverte de l’amour suite à une absence douloureuse et incompréhensible.» Parti en mer pour fuir un terrible secret (l’inceste commis par un roi voisin sur sa fille qu’il lui destinait en mariage), le roi de Tyr erre de pays en pays, et va de tempête en naufrage. En route, il épouse une princesse qui meurt en couches. Et leur fille, confiée à un couple ami, meurt à son tour. Désespéré, complètement perdu, il retrouvera les deux femmes après bien des péripéties : « happy-end » orchestré par la déesse Diane.

Le metteur en scène situe l’action dans une chambre d’hôpital. Plongé dans une sorte de léthargie, Périclès émerge de temps à autre de son hébétude, pour participer à une action mouvementée. Sept acteurs, y compris celui qui joue le héros, se partagent les rôles principaux et périphériques dans ce décor unique et fonctionnel. Avec un minimum d’accessoires, ils esquissent leurs personnages, plus qu’ils ne les habitent. Ces glissements d’une scène à l’autre rendent le début du spectacle confus. Puis, peu à peu, on comprend qui est qui,  et l’intrigue se resserre autour d’une  famille déchirée : le roi, la reine, la princesse.

Leurs aventures rocambolesques  s’enchaînent rapidement, parfois poussées jusqu’à la caricature : tournoi de chevalerie, intrusion des pirates, assassinat manqué puis séquestration de la fille dans un bordel portuaire, résurrection de la reine morte… Le tout rythmée par une bande-son d’ambiance avec tempêtes, bourrasques et déferlements de vagues.  Mais on perd vite tout intérêt pour cette histoire dépouillée ici de l’habillage magique et fantastique dont William Shakespeare l’avait parée. Pourtant, en toile de fond, le poste de radio de l’hôpital essaye de la rattacher à l’actualité, en diffusant un sempiternel et ennuyeux débat sur : émigration, droit d’asile, exode périlleux et souvent mortel des déshérités de la planète, etc.

 Vite fait bien fait, construit autour du voyage immobile, vécu par un pauvre malheureux alité à l’hôpital, ce spectacle d’une heure quarante, riche en rebondissements ne manque pas de cohérence. Mais, au-delà d’un exercice de style, il ne répond à aucune nécessité profonde. On peut donc s’en passer…

 Mireille Davidovici

Les Gémeaux, 49 avenue Georges Clémenceau, Sceaux (Hauts-de-Seine). T. : 01 46 61 36 67, jusqu’au 25 mars. 

Du 28 au 30 mars, Maison des Arts de Créteil.
Du 6 au 12 avril, Barbican Center, Londres. Du 18 au 24 avril, Oxford Playhouse, Oxford.
Les 3 et 4 mai, L’Archipel de Perpignan ; du 15 au 19 mai, Théâtre du Nord, Lille.

Et du 30 mai au 6 juin, Centro Dramatico Nacional, Madrid

 


Archive pour 8 mars, 2018

Calamity/Billy, théâtre musical, direction de Gérard Lecointe, mise en scène de Jean Lacornerie

 

Calamity/Billy, théâtre musical, direction de Gérard Lecointe, mise en scène de Jean Lacornerie (spectacle en anglais surtitré en français)

©Bruno Amsellem Divergence

©Bruno Amsellem Divergence

 Ce diptyque du paradis perdu composé d’un premier volet Calamity Jane, lettres à sa fille, sur un texte attribué à Jean McCormick et sur une musique de Ben Johnston, et d’un second volet Billy the Kid, œuvres complètes de Michael Ondaatje, musique de Gavin Bryars. Gérard Lecointe, avec les Claviers de Lyon (vibraphone, marimba, claviers) et le violon de Lyonel Schmit, dirige Claron McFadden, soprano rayonnante de la musique baroque et contemporaine, et Bertrand Belin, auteur-compositeur et interprète (classique, rock, country)  et  par ailleurs romancier qui incarnent  ces deux héros.

 Jean Lacornerie  mène avec Anne Meillon depuis 2010 au Théâtre de la Croix-Rousse, un projet croisant théâtre et musique,  et a voulu donner une vision à contre-courant, plus intime de ces deux figures de l’Ouest américain. Ainsi, Calamity Jane aurait écrit affectueusement à sa fille, ce qui bouscule sa légende de femme virile dans un monde de rudes pionniers.Ces lettres-plus ou moins  authentiques-sont mises en musique par le maître américain de la musique micro-tonale, Ben Jonston, pour une soprano. Soit un langage contemporain, et nostalgique, via un violon folk, un piano de saloon et une batterie. Gavin Bryars, compositeur post-minimaliste et contrebassiste britannique, a, lui, adapté Billy the Kid, œuvres complètes : poèmes du gaucher de Michael Ondaatje, auteur canadien et poète d’origine sri-lankaise.

Ce héros tragique et énigmatique défie les figures traditionnelles de l’Ouest et les canons du mâle. Bon-ou mauvais-garçon, il garde des traces de son enfance. Le chanteur de blues Bertrand Belin joue les beaux parleurs séduisants quand il médite sur le monde, et avec la lumineuse soprano lyrique Claron McFadden, il forme un couple conjuguant puis alternant leurs voix feutrées, ou cristallines.

 La poésie des textes diffuse ses images secrètes d’ombre et de lumière, avec une lampe-tempête qui éclaire seule le plateau, avec aussi un cadre de fenêtre d’où sort un bras plié, celui sans doute de Billy the Kid, abattu par Pat Garrett, le shérif du comté de Lincoln, qui lui a lâchement tiré dans le dos parce qu’il voulait le tuer à tout prix. Un crâne blanc de bison et les os d’une colonne vertébrale tiennent lieu de boa autour du cou de Billy, dans la sécheresse des paysages désertiques, comme ceux du Nouveau Mexique et de l‘Arizona, où quelques-uns font la guerre pour s’approprier des territoires.

La scénographie de Marc Lainé et de Stephan Zimmerli nous fait pénétrer dans un saloon aux parois de bois chaud; sur l’écran vidéo,  défilent les images des déserts de l’Ouest avec cactus, et un petit cimetière sous un soleil ardent. Non loin des montagnes sacrées des Sioux, les Black Hills de Jane. Les mythiques, Billy The Kid, homme-enfant et Calamity Jane, mère virile ne se sont jamais rencontrés, mais résonnent ici les questions actuelles sur le «genre». Surpris mais consentant, le public voit quelques instants du film Destry Rides Again (Femme ou démon), un western (1939) de George Marshall, avec les intemporels  James Stewart et Marlene Dietrich qui, en Feenchy, une chanteuse de saloon, se bat rageusement avec une rivale, sous le regard des hommes hilares. Le spectacle a ce grain si particulier des visions de l’enfance, entre musique et poésie, voix et images de violence : autrefois, le sang de l’homme et des bêtes ne faisait souvent qu’un, signe d’une existence aléatoire mais aussi du goût prononcé pour la vie.

Véronique Hotte

Spectacle créé au Théâtre de la Croix-Rousse du 6 au 8 mars, et joué au Théâtre de la Renaissance d’Oullins, les 9 et 10 mars. Chambéry-Espace Malraux, Théâtre Charles Dullin, les 13 et 14 mars. Belfort, Le Granit, le 16 mars. Maison de la Culture de Bourges, les 20 et 21 mars. Echirolles, La Rampe, le 23 mars. Théâtre du Parc à Andrézieux-Bouthéon, le 24 mars. Forum Meyrin Genève, le 27 mars. Théâtre de Saint-Quentin-en-Yvelines, le 30 mars. Concertgebouw à Bruges, le 28 avril. Operadagen Rotterdam, le 25 mai. Armel Opera Festival de Budapest, le 5 juillet.

Fin de l’Europe, texte et mise en scène de Rafael Spregelburd

©Tristan Jeanne-Valès

©Tristan Jeanne-Valès


Fin de l’Europe, texte et mise en scène de Rafael Spregelburd

Et, s’il y a quelque chose qui ne finit jamais, c’est le théâtre. On sait bien que la représentation va se terminer, que les morts se relèveront pour venir saluer et que les régisseurs viennent ranger le plateau. On sait le bien: c’est “pour de faux“, mais que ça se passe en direct et « en vrai“, devant nous, et que ce sera remis en jeu demain.

À cela, Rafael Spregelburd excelle. On a pu voir, parmi ses sept péchés capitaux propres au XXIème siècle, La Estupidez (inutile de traduire) et La Paranoïa. De son Argentine d’origine, pays mêlé s’il en est, il regarde la vieille Europe avec pas mal d’ironie, avec ce goût du spectacle et de la provocation que la France a tant aimés chez ses compatriotes : Alfredo Arias et son groupe TSE, Copi, Jérôme Savary… Ici, en Europe il a invité un groupe d’acteurs, dans le cadre de L’École des Maîtres (France, Belgique, Italie), à regarder avec lui, à improviser et à bâtir une série de ce qu’il appelle ses «bonzaïs théâtraux» sur les Fins de…  dont les réactionnaires « déclinistes » tentent de nous accabler pour mieux régner: fin des frontières, fin de l’art, fin de la noblesse, fin de l’histoire, pour interpeller Francis Fukuyama, ce philosophe, économiste et chercheur en sciences politiques américain, très connu pour ses thèses sur la fin de l’histoire.

Cet épisode pourrait avoir pour titre Fin du théâtre : car, en ne réussissant pas à jouer une pièce «que tout le monde joue», la troupe fictive fait encore, sans fin, du théâtre… Fin de la santé, fin de la Réalité, fin de la famille, fin de l’Europe, en l’occurrence une série télé usée. En une longue soirée ou deux courtes, au choix, Rafael Spregelburd et ses comédiens nous renvoient en plein dans le mille de l’actualité. Avec un théâtre politique de par sa nature même: chaque scène travaille sur le processus de sa propre fin, se fait et se défait de manière expérimentale sous nos yeux. Les comédiens mettent tout leur art, tous leurs arts, au service de cette recherche et chantent, dansent, jouent, et cassent le chant, la danse et le jeu, en professionnels assez rigoureux pour pouvoir glorieusement tout défaire.

Le spectacle commence par le chant parfait d’une  interprète, qui s’emmêle précisément la langue avec des questions de langues et de frontière, brouillée par une ménagère indiscrète. Nous aurons droit à la fiction d’une comtesse italienne qui ne sait pas ce qu’est l’argent, à une scène d’hôpital presque réaliste où la gravité de la maladie et la lourdeur des traitements fait gagner des points… Tout est sur le fil : tombera, tombera pas? On rit souvent, la question étant toujours : «de quoi rions-nous », et la réponse toujours la même : des instants de vérité. Parfois, on attend car certains textes n’ont pas une grande intensité. Et puis arrivent des moments de très forte émotion et de pure poésie. Le plus beau, du gestuel et difficile à décrire. Ainsi, un comédien, à 200 kms à l’heure libère mètre par mètre le plateau encombré, pour une danseuse qu’on dirait aveugle. Saisissant geste d’amour : sa liberté à elle reste intacte et vive, et la tension entre les deux, la fois haletante et fluide.

Cette Fin de l’Europe n’analyse évidemment pas une situation politique troublée par les populismes. Mais, en expérimentant les processus de fin,  ce spectacle donne des outils, décapants, étonnants pour y penser, et surtout pour poser les pieds sur une réalité supposée obsolète. Penser collectivement fait partie du  théâtre… En voilà une bonne nouvelle !

Christine Friedel

MC93 Bobigny, 9 boulevard Lénine, Bobigny (Seine-Saint-Denis)  jusqu’au 11 mars. T. 01 41 60 72 72

 

 

Karaflobekatsos et Spyridoula de Lena Kitsopoulou, mise en scène Konstantinos Markellos

 

Karaflobekatsos et Spyridoula de Lena Kitsopoulou, mise en scène de Konstantinos Markellos
 
 251F5CA2-FCEC-4ABD-AEEB-FC4F6E7DE5A1Cette pièce appartient à un répertoire où l’insolite remplace peut-être une esthétique méta-moderne. Mais l’écrivaine grecque emploie ici un grotesque centré sur certains clichés.  Avec ce que l’on appelle le «théâtre dans le théâtre», l’élément expressif accompagne donc ici un acte corporel, à côté d’une thématique associée au faire et au dire.
  Les clichés provocateurs sont légion, dans un texte qui se veut  aussi dénonciateur, visant la médiocrité de la petite bourgeoisie. Ainsi, entre provocations et dénonciations, Lena Kitsopoulou attaque l’ordre établi et prend le spectateur à témoin pour exorciser les forces maléfiques des bienséances, au détriment bien entendu, de la vraisemblance dont on n’aurait, parait-il, pas besoin.

Mais  montrer sur un plateau,  par le biais du  corps du comédien, la trivialité  d’une société qui aurait aussi besoin d’être guérie de ses multiples maladies, ressemble, à vrai dire, à l’effort de Dieu pour purifier les maudits! Lena Kitsopoulou veut choquer le public et l’invite ainsi à voir en face une vérité vulgaire. Pourtant, depuis que la civilisation existe, le théâtre  voudrait corriger les mœurs et cela, sans toujours hurler son désespoir mais rien ne bouge! Ce que  l’auteure écrit, perd ainsi de sa force vitale. Le public en effet perd de vue l’objectif de ce théâtre dont les grandes-et trop nombreuses-thématiques sont ici masquées par la grossièreté du langage. L’esprit soi-disant provocateur reste un faux-semblant cachée sous les apparences d’un « vouloir changer le monde »
Ici, les comédiens jouent avec exactitude leurs rôles, conformes en cela à une mise en scène du vulgaire. En deux volets, avec un Homme (Karaflobekatsos) et une Femme (Spyridoula). L’Homme, un pauvre type (Konstantinos Avarikiotis), ne fait que parler à soi-même et notamment à ses paries génitales mais comme il a tant de choses à leur raconter, il succombe à la fin aux puissances maléfiques de son corps mal foutu… Konstantinos Avarikiotis  donne à son personnage la petite dose de vérité obsessionnelle qui le rend sympathique.
Hélène Stergiou, elle, incarne une espèce de femme fatale, habillée de façon appropriée, qui  parle  aussi toujours d’elle aussi et étale les menus détails de sa vie, cachant  sa vraie nature. L’Homme débite des mots choquants, soi-disant inconnus d’un public considéré ici apparemment comme imbécile,  alors qu’Athènes pullule de petits et grands théâtres d’avant-garde.
 Konstantinos Markellos tombe ainsi dans le piège tendu par le texte mais la scénographie de Giorgos Vafias,  les éclairages de Melina Mascha et la musique de Giorgos Kassavetis permettent d’entrevoir une petite lumière  proche d’une  vérité  et d’une fiction.  Le décor  reflète ainsi désirs et passions intérieures,  et, à mesure que l’action avance, des colonnes dévoilent leur contenu: des objets personnels et des images de villages caractéristiques. Le passage de la métonymie à la métaphore se fait alors sans brusquerie et amplifie la dynamique du spectacle.
 
Nektarios-Georgios Konstantinidis
 
Théâtre Stathmos, 55 rue Victor Hugo, Athènes. T.: 0030 211 40 36 322.

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