Fondu au noir de Pierre Henry, interprétation de Thierry Balasse

Fondu au noir de Pierre Henry interprétation de Thierry Balasse

Piere henryC’est avec émotion qu’on découvre, dans la salle de l’ancien Conservatoire de musique, l’ultime œuvre de Pierre Henry, décédé en juillet 2017, à quatre vingt-neuf ans. Ce lieu, dévolu aujourd’hui au Conservatoire National Supérieur d’art dramatique, a été édifié  en 1811 par l’architecte François-Joseph Delanoy pour accueillir de prestigieux concerts. De par son acoustique inégalée, on le qualifie de  Stradivarius des salles de concerts.   Hector Berlioz y créa sa Symphonie Fantastique en 1830 et Pierre Henry en 1952, y donna Symphonie pour un homme seul, composée avec Pierre Schaeffer: il revint en 1976 présenter douze œuvres, pour marquer ses vingt-cinq ans de carrière. Il rêvait d’y jouer sa dernière partition, Fondu au noir

La Muse en Circuit, Centre national de création musicale, qui accompagne les formes nouvelles, a permis d’exaucer son vœu. Thierry Balasse,  très proche collaborateur  de Pierre Henry, a pu  mettre en place l’orchestre de haut-parleurs nécessaire à l’exécution de ce morceau d’une heure vingt. Il a fallu deux jours d’installation et réglages pour ce concert exceptionnel. Thierry Balasse connaît bien son œuvre pour avoir, ces dernières années, installé avec lui les orchestres de haut-parleurs du studio Son/Ré, et parfois interprété ses musiques. A l’aise, quand il travaille sur l’énorme console analogique multi-pistes du pionnier de la musique concrète, il fait circuler les sons, tous issus d’un piano arrangé (et souvent malmené), dans les quelque cinquante enceintes, grand orchestre immobile et imposant, dont les membres disposés sur scène et dans la salle, manifestent leur entrée en jeu par des signaux lumineux verts, bleus et rouges…

Dès les premiers sons, nous voilà happés et transportés dans un voyage hypnotique: aux périodes graves, succèdent des séquences plus légères. Naissent alors des images, couleurs, événements, situations et personnages d’une grande concrétude. La musique convoque les éléments : eau, air, terre, et chaque auditeur trace son itinéraire dans cette forêt sonore et peut imaginer sa propre fiction. On tombe dans des gouffres, pour en ressortir vers des espaces lumineux. La pièce dessine six mouvements principaux où alternent graves et aigus, sombres et clairs. Non avec des notes, mais avec des entités porteuses de sensations. «Les compositeurs travaillent avec des sons à tout faire, l’équivalent de notes de musique, écrivait Pierre Henry. Moi, je n’ai pas de notes. Je n’ai jamais aimé les notes. Il me faut des qualités, des rapports, des formes, des actions, des personnages, des matières, des unités, des mouvements.»*

Terminée peu avant sa disparition, cette œuvre nous entraîne dans des souterrains obscurs et des abysses marins d’où l’on sort pour y replonger. «J’explore, avec ce Fondu au noir, une recherche sonore et musicale des abîmes, dit Pierre Henry. Uniquement pianistique, c’est une tentative  pour pénétrer l’univers sonore intérieur de l’expérience de la mort.» Une lutte s’établit entre ombre et lumière et, pour finir, émane de cette aventure, une certaine sérénité voire, parfois quelques moments de gaieté. Et, bien sûr, tout l’humour que l’on connaît, du pape de la musique électro- acoustique. «Je ressens le besoin impérieux de mettre en musique les sensations qui m’habitent »,  disait -il. Et c’est dans tous les états émotionnels qu’il nous transporte.

Avec la destruction de la « Maison de sons » où Pierre Henry composait et donnait des concerts, des pans entiers de notre patrimoine musical s’envolent. Le père de Messe pour le temps présent, simple locataire de ce pavillon dans le 12 e arrondissement de Paris, en avait fait son instrument: «Il créait des sons dans la salle de bains, dans la cuisine, avec différents appareils, des pierres, des ressorts, des plaques, des couvercles: tout lui servait», se souvient son assistante Bernadette Mangin.  Artiste talentueux, il y exposait aussi ses “peintures concrètes », des natures mortes  faites de clous, ampoules, anciennes bobines et touches de pianos… Mais pétitions et appels aux politiques n’auront rien fait pour  éviter que cette maison disparaisse, rasée pour une opération immobilière.. Pour ne pas perdre toute trace de cet antre de création, des projets sont à l’étude, comme des photos en 3 D ou la reconstruction, à l’identique, de cet environnement. La Bibliothèque Nationale, à laquelle le compositeur avait confié il y a dix ans la conservation de son œuvre, a entrepris la numérisation des bandes analogiques et magnétiques (environ 15.000) …

Plusieurs compositeurs, dont Thierry Balasse (compagnie Inouïe) et Vincent Laubeuf (compagnie Motus) ont à cœur de créer un lieu pour faire vivre ce fonds novateur et passionnant.  En attendant, les trois dernières œuvres du compositeur ont été créées par France-Musique en décembre dernier. Et ce concert à la Maison de la Radio était initialement prévu pour son anniversaire de quatre-vingt dix ans, avec la complicité de son propre studio, Son/Ré de la compagnie Inouïe de Thierry Balasse et du Groupe de Recherches Musicales. La quatrième pièce, jouée ce soir pour la première fois, résonne donc comme un ultime adieu à ce grand artiste.

Mireille Davidovici

*Journal de mes sons de Pierre Henry https://fr.wikipedia.org/wiki/Actes-Sud
Actes Sud collection Un endroit où aller, 2004

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