Le Garçon du dernier rang de Juan Mayorga, mise en scène de Paul Desveaux

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Le Garçon du dernier rang de Juan Mayorga, mise en scène et scénographie  de Paul Desveaux

  Un professeur de littérature, parmi les copies de classe terminale médiocres, décèle une once de talent dans le récit du garçon silencieux assis au dernier rang. Tom raconte comment il a réussi à s’introduire chez les parents de Rapha, son camarade d’école. Le maître, intrigué, voit, dans cette rédaction, une amorce de satire sociale et l’encourage à poursuivre, le conseille, lui prête des livres, le critique. Tom persévère, son écriture progresse et il s’incruste petit dans la famille dont il relate les faits et gestes. Surtout intéressé par la mère :  » la femme qui s’ennuie le plus au monde ».

Maître et élève se piquent au jeu d’un voyeurisme partagé, malgré les mises en garde de la femme du professeur qui commence, elle aussi, à s’intéresser à cette aventure littéraire en gestation, et qui s’y trouvera finalement mêlée. Elle dirige une galerie d’art contemporain qui est en faillite, et  cela occasionne entre elle et son mari, des discussions sur l’esthétique du moment.  

Juan Mayorga, pour ménager la tension dramatique, a découpé sa pièce en séquences, à la manière d’un scénario de film. Il les ponctue avec les commentaires et directives du professeur à Tom, ou avec des dialogues entre l’enseignant et sa femme. Peu à peu, la narration glisse de l’espace de la page, à celui de la scène : action et dialogues se superposent au texte et l’écriture devient alors un jeu théâtral. Pour répondre à cette construction en strates, la scénographie s’ouvre progressivement en profondeur et en hauteur. Les murs de la maison deviennent transparents, et Tom pénètre de plus en plus loin dans l’appartement et l’intimité familiale.

  Comme au cinéma, la mise en scène multiplie plans et cadrages et joue sur la profondeur de champ, sans avoir recours au relais de la vidéo. La notion de « point de vue  » que le professeur veut inculquer à son élève est la clef de cette dramaturgie. Il y a celui qui regarde (Tom), ceux qui regardent l’observateur et les personnages, une famille de cadres moyens supérieur exposés, à leur insu, par la plume quasi-ethnologique de l’écrivain en herbe, aux regards critiques des voyeurs (y compris du public).

Le professeur et sa femme ne sont pas épargnés par Juan Mayorga qui en profite pour se moquer de l’art contemporain et du sabir des textes de présentation dans les catalogues.  La mise en scène épouse la complexité de la dramaturgie avec une précision méticuleuse et privilégie la satire sociale, en par des signes renvoyant à l’esthétique de la moyenne bourgeoisie libérale. La culture adolescente est aussi très présente : projection de plans de skateboard,  séquences d’American Beauty, musiques de Paul Kalkbrenner comme Berlin calling et d’Elliott Smith, avec Between the bars. Clins d’œil aux films américains (grande affiche de Ken Park de Larry Clark au mur de la chambre de Rapha). À l’aune d’une sensibilité adolescente, la représentation du monde adulte devient une caricature.

Reste le portrait en creux d’un jeune homme énigmatique.  Mais le soin apporté à la réalisation rend le spectacle explicite et convenu. On regrette un manque d’ambigüité dans le rapport entre la narration de Tom et la réalité. Quelle est la part d’invention, de fiction dans son récit? La transparence du dispositif scénique nous prive de ce mystère.

Malgré ces quelques réserves, le spectacle nous offre une plongée dans le monde adolescent, confronté à celui des adultes. Il épingle avec humour les conflits générationnels et conjugaux. Sous le regard aigu d’un garçon singulier interprété par Martin Karmann  qui joue ici avec son vrai père… Sam Karman.

Mireille Davidovici  

Théâtre Paris-Villette 11 Avenue Jean Jaurès, Paris XIXème, jusqu’au 24 mars. T. : 01 40 03 72 23.

Les 16 et 17 avril,  Le Tangram , Scène Nationale d’Evreux-Louviers (Eure).

La pièce est éditée  dans la traduction de Dominique Poulange et Jorge Lavelli, chez Les Solitaires Intempestifs.


Archive pour 14 mars, 2018

Camille Claudel, de l’ascension à la chute, écrit et mis en scène de Wendy Beckett,

 

Camille Claudel, de l’ascension à la chute, écrit et mis en scène de Wendy Beckett, chorégraphie de Meryl Tankard

© Christine Coquilleau

© Christine Coquilleau

 La sculptrice Camille Claudel (1864-1943) a fait l’objet de plusieurs films: Camille Claudel de Bruno Nuytten il y a trente ans avec Isabelle Adjani, à partir du livre de Reine-Marie Paris, la petite-fille de Paul Claudel qui fit redécouvrir l’œuvre de sa grande-tante. Puis, entre autres Camille Claudel 1915 de Bruno Dumont, avec Juliette Binoche, et le très beau Rodin de Jacques Doillon l’an passé, avec Izïa Higelin.
Mais aussi de plusieurs ballets et  de spectacles de théâtre, Camille de Sophie Jabès (voir Le Théâtre du Blog) et celui de Charles Gonzales qui reprend actuellement son Camille Claudel au Théâtre de Poche-Montparnasse…

 Cette sœur de l’écrivain, fut très jeune passionnée par la sculpture ; soutenue par son père mais pas du tout par sa mère, qui s’y opposera durement à sa passion. Elle devint vite la collaboratrice et la maîtresse d’Auguste Rodin (mort en 1917) dont elle aurait eu deux enfants. Et elle participera à plusieurs sculptures-entre autres ses très fameux Bourgeois de Calais. Et l’artiste l’admirait beaucoup: «Mademoiselle Claudel est devenue mon praticien le plus extraordinaire, je la consulte en toute chose.»
Mais après une dizaine d’années de passion amoureuse, Rodin qui vivait déjà avec Rose Beuret dont il avait deux enfants, va s’éloigner de Camille et ils se sépareront en 1892.  Paul Claudel dans une lettre évoquera un avortement clandestin de sa sœur la même année, ce qui l’aurait précipité dans la folie. Très connue et appréciée comme sculptrice, elle aura cependant moins de commandes et vivra dans la solitude, la saleté et la misère. Elle sombrera vers 1905 dans la paranoïa, persuadée que son ancien amant la persécutait…  Son vieux père qui la défendait contre sa mère, mourra en 1913 et Camille ne sera même pas prévenue de son décès. Ce qui la bouleversera. Devant son état, son frère et sa famille la feront interner. D’abord à Ville-Evrard en Seine Saint-Denis, où fut aussi hospitalisé Antonin Artaud en 1939. Transférée en 1915 à l’asile d’aliénés de Montdevergues à Montfavet (Vaucluse), elle y restera jusqu’à  sa mort en 43. Sans doute atteinte psychiquement mais surtout seule et malheureuse mais parfois assez lucide pour écrire au médecin: «Ma mère, mon frère et ma sœur n’écoutent que les calomnies dont on m’a couverte. On me reproche (ô crime épouvantable) d’avoir vécu toute seule, de passer ma vie avec des chats, d’avoir la manie de la persécution! C’est sur la foi de ces accusations que je suis incarcérée depuis cinq ans et demi comme une criminelle, privée de liberté, privée de nourriture, de feu, et des plus élémentaires commodités.» Effectivement, ni sa mère qui meurt en 1929, ni sa sœur ne viendront la voir,  et Paul lui rendra visite douze fois… en trente ans.
 Un destin hors du commun, pour la sœur d’un grand écrivain, et laproche collaboratrice et amante d’un immense sculpteur. Devenue elle aussi une  artiste très appréciée qui eut ensuite moins de commandes et qui, malheureusement restera longtemps internée, elle attire toujours la curiosité… Et sa vie a fait l’objet de nombreux livres et passionne le public, mais sans doute pas toujours pour d’excellentes raisons, et son œuvre reste  mal connue.
 Au théâtre, que peut-on faire cette histoire tragique dont s’est aussi emparée l’auteure et metteuse en scène australienne Wendy Beckett dont, nous dit la note d’intention : «Le savoir théorique est aussi grand que son talent de créatrice : ayant étudié la littérature, la psychologie et la science, elle enrichit ses pièces de théâtre de toutes ces connaissances. » (…) Depuis dix ans, elle crée, met en scène et produit ses propres pièces et la qualité de son travail a incité plusieurs artistes australiens éminents à collaborer avec elle.» (sic)
Quant à la chorégraphe Meryl Tankard, elle s’est forgé une brillante carrière internationale (…) Artiste principal du renommé Pina Bausch Wuppertal Danse Theatre, à son retour en Australie dans les années 80, elle a créé des œuvres inoubliables. » (sic) Quand on s’envoie de telles brassées de fleurs sur papier glacé en six pages, cela sent toujours le roussi, comme dit le vieux proverbe cantalien! Pour évoquer cette vie tragique, un texte assez plat-parfois à la limite de la caricature et fait de petites scènes dialoguées qui se succèdent laborieusement, mise en scène aussi plate et sans intérêt, modèles de sculptures vivantes avec trois danseurs nus (mais pas vraiment, embobinés de maillot couleur chair, sans doute par souci de pudeur) et qui prennent la pose … Tous aux abris! Pour donner vie à ce pas grand chose, il y a heureusement et d’abord une jeune actrice, Célia Catalifo, tout à fait crédible avec une belle présence et une excellente diction dans le rôle pas facile de Camille Claudel, Clovis Fouin qui joue avec rigueur le jeune Paul Claudel, Swan Demarsan très juste en Auguste Rodin, et Christine Gagnepain qui réussit à donner une consistance au rôle de la mère.
Malgré ces atouts, cela ne suffit pas, et on reste vraiment sur sa faim. Donc, vous l’aurez compris, au cas où vous seriez tenté, vous pouvez vous épargner sans dommage ce grand moment de théâtre… dont on se demande comment il a pu arriver au Théâtre de l’Athénée, même dans la petite salle. On vous le disait encore l’autre jour:le  spectacle contemporain français reste plein de mystères…

Philippe du Vignal

L’Athénée-Théâtre Louis Jouvet, Paris VIIIème, jusqu’au 24 mars.
Une partie du musée de Nogent-sur-Seine (Aube), inaugurée l’an passé, est consacrée à l’œuvre de Camille Claudel.

Etre là, texte et mise en scène de Vincent Ecrepont

 

Etre là, texte et mise en scène de Vincent Ecrepont

3DDD86A8-03A8-4CE0-9F57-09B023E6B670 Un constat : les termes personnes âgées et  troisième âge remplacent aujourd’hui le mot vieux ; ce sont souvent des actifs en bonne santé, consommateurs, et qui ont une vie associative, ou qui reprennent des études. Que faire, écrivait Louis Aragon, dans Les Voyageurs de l’impériale, du «sentiment encore de la vieillesse qui prend certains jours à la gorge, quand il fait beau, au milieu de la foule, et des manifestations de la force des autres, de leur immense travail qui nous survivra» ?

 Mais à partir de soixante-quinze/quatre-vingt ans,  les mots quatrième âge sont remplacée par ceux de  grand âge: maladies cardio-vasculaires, pulmonaires, ostéo-articulaires, neurologiques, Parkinson, démences séniles, Alzheimer, cancer de la prostate,  troubles urinaires et du sommeil…Hygiène, diététique, prévention et hospitalisation du sénescent s’installent donc peu à peu. La maladie, l’infirmité et la perte d’autonomie entraînent une dépendance et la solitude. Sont heureusement là: aide à domicile, hébergement en petites unités,  appartements d’accueil, maisons de retraite ou E.H.P.A.D. Mais les mots: dépendance, soins palliatifs… ne cachent pas les drames que provoque l’allongement de la vie humaine. Les  personnes très âgées dépendent alors de leurs proches… quand ils sont présents.

 Metteur en scène associé à la Comédie de Picardie, Vincent Ecrepont est aussi l’auteur de  cette  forme ludique sur la question du vieillissement. Véronic Joly, Céline Bellanger  et Sylvain Savard ont une présence pleine d’humanité, une écoute attentive et une gestuelle délicate. Au fil des séquences, face public, le sourire aux lèvres, ils  enlèvent une tenue sobre pour en mettre une autre,  et passent ainsi du personnage vieillissant, à son référent familial : époux, épouse, frère, sœur, fils, fille, ou hospitalier : infirmier, cadre de santé, aide-soignant…

 Avec une interprétation réaliste de ces personnes âgées et de l’aidant, face à l’aidé» Etre là s’inspire des témoignages recueillis durant trois ans au pôle gérontologie du Centre Hospitalier de Beauvais. Trois acteurs pour jouer des gens âgés en perte de mémoire et/ou d’autonomie, et leur référent familial et hospitalier: ils incarnent leur personnage puis arrêtent la scène-une dizaine en tout-pour commenter la situation qui vient d’être jouée, et la mettre à distance. Ils ajoutent aussi parfois quelques phrases personnelles concernant la vieillesse d’un des leurs. Un micro sur pied reçoit les confidences de chacun. Fiction ou réalité, les univers s’interpénètrent, comme leur mémoire devenue fragile, plus à l’aise dans un passé lointain que dans le présent. Traiter de ce thème presque tabou remporte ici un beau succès, grâce au jeu plein d’humilité et très juste des acteurs…

 Véronique Hotte

Maison de la Culture de Nevers, le 16 mars. Théâtre des Tisserands à Lille, le 22 mars. Comédie de Picardie, le 30 mars. Et en tournée à Beauquesne (Somme).
Savignies (Oise) le 12 avril.

Let me try d’après le Journal de Virginia Woolf, adaptation et mise en scène d’Isabelle Lafon

Let me try d’après le Journal (1915-1941) de Virginia Woolf, adaptation et mise en scène d’Isabelle Lafon

 37296939-A95A-448F-BE1B-A6B2CB8D77B1Elles sont trois, sur cette scène qui ressemble à un vaste grenier, chacune sur son tabouret, à trier les piles de papier  du Journal de Virginia Woolf. Tâche urgente : il s’agit de mettre au jour, avec l’excitation de l’archéologue, les milliers de pépites qu’il contient. Une goutte de pluie, de l’amour, une robe qui ne va pas bien, l’incertitude de l’écriture, la peur grandissante, mais écrite avec pudeur, que la folie prenne le pouvoir en elle : disciplinée, au rythme d’une demi-heure par jour après le thé, Virginia Woolf écrit son plus grand roman. Ou plutôt explore «avant qu’ils ne se transforment en œuvre d’art» les milliers d’instants, de sensations, de pensées qui peuplent sa vie, source jaillissante d’autant de romans possibles. Mais non ici, c’est autre chose: le flux de la vie même, physique, sociale, mentale, la sienne, celle des autres, irréductible à aucun roman.

Johanna Korthals, Marie Piemontese et Isabelle Lafon se partagent le texte. Elle se le disputent presque, avide, chacune à son tour, d’en découvrir les étincelles. Elles s’entraident pour restituer la chronologie ou récupérer un feuillet égaré et bouillonnent d’intensité et d’énergie,  avec une belle émulation : ce Journal, elles n’ont pas voulu qu’il soit dit à une seule voix, tant cela risquerait d’en réduire la vitalité et peut-être même d’en fermer quelques portes et fenêtres.

Isabelle Lafon a inscrit Virginia Woolf dans sa trilogie des Insoumises, avec d’abord: Anna Akhmatova puis Monique Wittig. Créée en 2016 (voir Le Théâtre du blog), cette pièce est plus que jamais d’actualité. La parole libre de Virginia Woolf résonne de façon toujours aussi vive et discrète à la fois. Suffragiste, et non « suffragette », terme pour le moins condescendant, elle n’en fait pas toute une histoire, puisque cela devrait aller de soi. Pour toutes les femmes, elle a revendiqué Une Chambre à soi, et pour tous, une écriture libre avec La Chambre de Jacob, par exemple. Avec Let me try, on pense à Samuel Beckett avec, dans Cap au pire, son: «essayer encore, rater encore, rater mieux ». Il faut aller voir cet essai, palpitant de vie, d’humour d’angoisse cachée. La critique abuse souvent de l’adjectif : jubilatoire : ici, il est à sa place.

Christine Friedel

Théâtre Gérard Philipe, Saint-Denis (Seine Saint-Denis) T./ 01 48 13 70 00, jusqu’au 25 mars.

 

The Prisoner, texte et mise en scène de Peter Brook et Marie-Hélène Estienne

 

Crédit photo : Simon Annand

Crédit photo : Simon Annand

 

The Prisoner, texte et mise en scène de Peter Brook et Marie-Hélène Estienne

 Un homme est assis, seul, devant une immense prison dans un paysage désertique. Sur le plateau nu, au sol comme laissé à l’abandon, et aux murs brunis et fissurés par le temps, révélés par les lumières de Philippe Vialatte, des branches sèches, par terre ou posées contre un mur. Un dénuement aussitôt identifiable à l’art de Peter Brook. Côté jardin, une porte qui mène dans le noir incertain et perdu des cellules de cette prison qui, à la fin,  sera détruite. Et un banc en bois, un sac, une écuelle, une boîte d’allumettes. Cette zone pauvre d’Afrique en proie à la sécheresse, marque la  fin du long cheminement personnel de ce prisonnier que guide son oncle.

Avant d’en arriver là, il aura dû passer par maints paysages dont la forêt vivante avec ses chants d’oiseaux et ses animaux. Mais maintenant éloigné des bois et de leurs feuillages, il ne pourra plus jamais la voir ni l’entendre! Il a en effet été arrêté puis jugé, et condamné à la prison pour avoir  plein de colère, tué son père qui couchait avec sa douce sœur… comme lui! En représailles, l’oncle de ce garçon, un sage, lui brisera les jambes et meurtrira à vie ce garçon maintenant emprisonné depuis des années. Mais  il sera secouru par ce même oncle qui demandera aux autorités d’alléger sa peine, en l’extrayant de sa cellule : libéré physiquement, il purgera alors une peine morale, plus lancinante et plus douloureuse

Mais de cette souffrance, il fait un avantage: il agrandit d’autant sa pensée intérieure  et consentira finalement à ce qui lui semblait intolérable. N’est-il pas coupable autant que son père, d’avoir aimé sa sœur qui a laissé son enfant né de ses amours incestueuses, à leur oncle, afin de pouvoir aller étudier à l’étranger ? Cette sœur, elle aussi, est venue rendre visite  à son frère mais refuse encore son amour. Un voisin qui habite près de la prison ira voir celui qui construit sa paix intérieure, et son oncle viendra aussi parler sagement avec son étrange neveu.

 Peter Brook a conçu une mise en scène à la fois sobre et admirablement éloquente  avec le jeu, à la fois intense et plein de réserve, d’Hiran Abeysekera, Ery Nzaramba, Sean O’Callaghan, Omar Silva et Kalieaswari Srinivasan, venus d’Afrique, du Sud de l’Inde, du Sri-Lanka, Belgique, et des Iles britanniques. Un spectacle envoûtant sur l’art de parler avec soi-même.

 Véronique Hotte

Théâtre des Bouffes du Nord, 37 bis boulevard de la Chapelle Paris Xème,  jusqu’au 24 mars. T. : 01 46 07 34 50

Des Roses et du Jasmin, texte et mise en scène d’Adel Hakim

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Des Roses et du jasmin, texte et mise en scène d’Adel Hakim avec le Théâtre National palestinien,  (en arabe, sur-titré en français)

 Nous avons revu avec plaisir et émotion cette saga familiale d’Adel Hakim disparu en août dernier, créée en 2015 à Jérusalem, puis présentée au Théâtre des Quartiers d’Ivry en 2017 (voir Le Théâtre du Blog).  Ce texte important  apporte une dimension humaine et  nous éclaire sur les sources du conflit israélo-palestinien. Le public réserve un accueil chaleureux soir après soir à ce spectacle, populaire sans être didactique. «La tragédie grecque m’a toujours servi de modèle dramaturgique, écrit l’auteur et metteur en scène. Elle met l’intime en rapport avec la société et le monde. La présence du chœur permet une relation directe avec le public». Le destin personnel de ses personnages est indissociable de la tragédie des peuples juif et palestinien qui se déchirent depuis la fin de la deuxième guerre mondiale. En trois épisodes : 1944-1948, 1964-1967, et 1988, la pièce présente une famille déchirée, de génération en génération, par ce trop long conflit.

Tout commence en 1944 quand le pays était encore sous mandat britannique, par une histoire d’amour entre Miriam, une jeune juive rescapée d’Allemagne nazie et un officier anglais mobilisé en Palestine. Leur fille, Léa, ne connaîtra pas son père, mort dans un attentat fomenté par l’Irgoun à l’hôtel King David. Le frère de Miriam avait entraîné sa sœur dans cette action terroriste. Un secret bien gardé qui sera dévoilé bien plus tard à Léa.  A  vingt ans, elle va tomber amoureuse d’un jeune Palestinien, Mohsen. La guerre des Six Jours éclate et leur fille Yasmine sera élevée par son père, à Gaza. Léa, privée de sa fille, donnera naissance à Rose, à l’insu de Mohsen qui apprendrasa paternité  vingt ans plus tard, lors du dénouement tragique de cette histoire mouvementée.
 En 1988, lors de la première intifada (guerre des pierres), les deux petites-filles de Miriam, Yasmine et Rose vont se retrouver face à face, sans savoir qu’elles sont sœurs ! Yasmine, militante de l’intifada est interrogée par Rose, soldate dans la prison israélienne où elle est détenue. Ces deux fleurs seront cueillies par la mort, mettant ainsi fin à la malédiction qui frappe la descendance de Miriam emportée dans le maelström de l’histoire.

 Pour présenter l’action, guider les spectateurs d’une époque à l’autre et replacer l’histoire  de cette famille dans la grande Histoire, Adel Hakim a imaginé un chœur grotesque, joué par deux clowns malicieux dans la première partie et par des entraîneuses un peu coquines dans la deuxième partie. Ces joyeux drilles apportent un brin de fantaisie et la respiration nécessaire, en connivence avec le public. Figures populaires à l’humour un peu forcé, ils deviendront les protagonistes des scènes suivantes… Plus émouvants, des fantômes font office de narrateurs après l’entracte : les grands pères de Yasmine et Rose, l’un anglais et l’autre palestinien, amis en ce bas monde, qui se sont retrouvés dans l’au-delà. Une parole d’outre-tombe, éloignée du bruit et de la fureur qui les ont emportés, eux et leurs petites-filles

 Les comédiens du Théâtre national palestinien, tous excellents, ont participé à l’élaboration du spectacle lors d’un atelier de recherche destiné à alimenter le texte de la pièce. Mais il ne s’agit pas d’une écriture collective, et ce texte, très structuré, est à la fois efficace et d’une grande tenue littéraire. Mais au cours de la création, les discussions ont parfois été houleuses, comme le relate l’écrivain Mohamed Kacimi, dans un Journal tenu pendant les répétitions, alors qu’il assurait la dramaturgie auprès d’Adel Hakim. «Certains se sont posé la question de savoir s’il fallait aborder la tragédie du peuple juif, pour parler du drame palestinien. Kamel El Basha {émouvant le rôle du père, puis du grand-père palestinien) avait tenu tête: « Je tiens à jouer cette pièce pour montrer à nos enfants que nos ennemis ne sont pas des monstres mais des être humains comme nous.» Le dénouement, imaginé lui par Adel Hakim, a aussi fait l’objet de longues discussions: «Les comédiens ont voulu, dit Mohamed Kacimi,  régler eux-mêmes  le sort de leurs personnages: comment faire mourir Rose, comment tuer Yasmine ? Hussam (Abou Eishesh remarquable en oncle sioniste pur et dur} a eu le mot de la fin : “On ne peut pas avoir d’issue heureuse. Nous sommes un peuple défait. Il faut jouer notre défaite sur scène.»

 Il faut souhaiter que les échanges entre la France et le Théâtre national palestinien se poursuivent après plusieurs spectacles présentés avec succès au Théâtre des Quartiers d’Ivry. En effet, la survie de cette troupe talentueuse dépend des seules aides internationales et de ses partenariats avec l’étranger. Basée à Jérusalem, elle ne peut en effet avoir de subventions de l’Autorité palestinienne et elle refuse de faire appel à l’Etat israélien, afin de préserver sa liberté de programmation…

 Mireille Davidovici

Théâtre des Quartiers d’Ivry, Manufacture des Oeillets, 1 place Pierre Gosnat, Ivry-sur-Seine (Val-de-Marne).  T. : 01 43 90 49 49, jusqu’au 16 mars.

Le 20 mars, les Treize Arches, Brive-la-Gaillarde (Corrèze) ; le 23 mars, Théâtre du Passage Neufchâtel (Suisse); le 27 mars, Théâtre du Vésinet (Yvelines) ; le 29 mars, Théâtre de Cachan (Val-de-Marne).
Le 5 avril, Théâtre du Parvis-Tarbes (Hautes-Pyrénées) ; les 13 et 14 avril, Théâtre Liberté, Toulon (Var), et le 21 avril, Théâtre national de Nice (Alpes-Maritimes)

 

 

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