Des Roses et du Jasmin, texte et mise en scène d’Adel Hakim
Des Roses et du jasmin, texte et mise en scène d’Adel Hakim avec le Théâtre National palestinien, (en arabe, sur-titré en français)
Nous avons revu avec plaisir et émotion cette saga familiale d’Adel Hakim disparu en août dernier, créée en 2015 à Jérusalem, puis présentée au Théâtre des Quartiers d’Ivry en 2017 (voir Le Théâtre du Blog). Ce texte important apporte une dimension humaine et nous éclaire sur les sources du conflit israélo-palestinien. Le public réserve un accueil chaleureux soir après soir à ce spectacle, populaire sans être didactique. «La tragédie grecque m’a toujours servi de modèle dramaturgique, écrit l’auteur et metteur en scène. Elle met l’intime en rapport avec la société et le monde. La présence du chœur permet une relation directe avec le public». Le destin personnel de ses personnages est indissociable de la tragédie des peuples juif et palestinien qui se déchirent depuis la fin de la deuxième guerre mondiale. En trois épisodes : 1944-1948, 1964-1967, et 1988, la pièce présente une famille déchirée, de génération en génération, par ce trop long conflit.
Tout commence en 1944 quand le pays était encore sous mandat britannique, par une histoire d’amour entre Miriam, une jeune juive rescapée d’Allemagne nazie et un officier anglais mobilisé en Palestine. Leur fille, Léa, ne connaîtra pas son père, mort dans un attentat fomenté par l’Irgoun à l’hôtel King David. Le frère de Miriam avait entraîné sa sœur dans cette action terroriste. Un secret bien gardé qui sera dévoilé bien plus tard à Léa. A vingt ans, elle va tomber amoureuse d’un jeune Palestinien, Mohsen. La guerre des Six Jours éclate et leur fille Yasmine sera élevée par son père, à Gaza. Léa, privée de sa fille, donnera naissance à Rose, à l’insu de Mohsen qui apprendrasa paternité vingt ans plus tard, lors du dénouement tragique de cette histoire mouvementée.
En 1988, lors de la première intifada (guerre des pierres), les deux petites-filles de Miriam, Yasmine et Rose vont se retrouver face à face, sans savoir qu’elles sont sœurs ! Yasmine, militante de l’intifada est interrogée par Rose, soldate dans la prison israélienne où elle est détenue. Ces deux fleurs seront cueillies par la mort, mettant ainsi fin à la malédiction qui frappe la descendance de Miriam emportée dans le maelström de l’histoire.
Pour présenter l’action, guider les spectateurs d’une époque à l’autre et replacer l’histoire de cette famille dans la grande Histoire, Adel Hakim a imaginé un chœur grotesque, joué par deux clowns malicieux dans la première partie et par des entraîneuses un peu coquines dans la deuxième partie. Ces joyeux drilles apportent un brin de fantaisie et la respiration nécessaire, en connivence avec le public. Figures populaires à l’humour un peu forcé, ils deviendront les protagonistes des scènes suivantes… Plus émouvants, des fantômes font office de narrateurs après l’entracte : les grands pères de Yasmine et Rose, l’un anglais et l’autre palestinien, amis en ce bas monde, qui se sont retrouvés dans l’au-delà. Une parole d’outre-tombe, éloignée du bruit et de la fureur qui les ont emportés, eux et leurs petites-filles
Les comédiens du Théâtre national palestinien, tous excellents, ont participé à l’élaboration du spectacle lors d’un atelier de recherche destiné à alimenter le texte de la pièce. Mais il ne s’agit pas d’une écriture collective, et ce texte, très structuré, est à la fois efficace et d’une grande tenue littéraire. Mais au cours de la création, les discussions ont parfois été houleuses, comme le relate l’écrivain Mohamed Kacimi, dans un Journal tenu pendant les répétitions, alors qu’il assurait la dramaturgie auprès d’Adel Hakim. «Certains se sont posé la question de savoir s’il fallait aborder la tragédie du peuple juif, pour parler du drame palestinien. Kamel El Basha {émouvant le rôle du père, puis du grand-père palestinien) avait tenu tête: « Je tiens à jouer cette pièce pour montrer à nos enfants que nos ennemis ne sont pas des monstres mais des être humains comme nous.» Le dénouement, imaginé lui par Adel Hakim, a aussi fait l’objet de longues discussions: «Les comédiens ont voulu, dit Mohamed Kacimi, régler eux-mêmes le sort de leurs personnages: comment faire mourir Rose, comment tuer Yasmine ? Hussam (Abou Eishesh remarquable en oncle sioniste pur et dur} a eu le mot de la fin : “On ne peut pas avoir d’issue heureuse. Nous sommes un peuple défait. Il faut jouer notre défaite sur scène.»
Il faut souhaiter que les échanges entre la France et le Théâtre national palestinien se poursuivent après plusieurs spectacles présentés avec succès au Théâtre des Quartiers d’Ivry. En effet, la survie de cette troupe talentueuse dépend des seules aides internationales et de ses partenariats avec l’étranger. Basée à Jérusalem, elle ne peut en effet avoir de subventions de l’Autorité palestinienne et elle refuse de faire appel à l’Etat israélien, afin de préserver sa liberté de programmation…
Mireille Davidovici
Théâtre des Quartiers d’Ivry, Manufacture des Oeillets, 1 place Pierre Gosnat, Ivry-sur-Seine (Val-de-Marne). T. : 01 43 90 49 49, jusqu’au 16 mars.
Le 20 mars, les Treize Arches, Brive-la-Gaillarde (Corrèze) ; le 23 mars, Théâtre du Passage Neufchâtel (Suisse); le 27 mars, Théâtre du Vésinet (Yvelines) ; le 29 mars, Théâtre de Cachan (Val-de-Marne).
Le 5 avril, Théâtre du Parvis-Tarbes (Hautes-Pyrénées) ; les 13 et 14 avril, Théâtre Liberté, Toulon (Var), et le 21 avril, Théâtre national de Nice (Alpes-Maritimes)