Ithaque, Notre Odyssée 1, spectacle de Christiane Jatahy, inspiré d’Homère

 

Ithaque, Notre Odyssée 1, spectacle de Christiane Jatahy, inspiré d’Homère, (en français et portugais, surtitré en français et portugais)

 

© Elizabeth Carecchio

© Elizabeth Carecchio

Les soirs se suivent mais ne se ressemblent pas. Après cette très belle Orestie à Bobigny, douche froide… Artiste associée au Théâtre de l’Odéon, la brésilienne Christiane Jatahy veut « convoquer théâtre, cinéma et performance pour lancer des passerelles d’une pratique artistique à l’autre et offrir à leurs publics une expérience inédite ». (sic) Après A Floresta que anda (2016) et La Règle du jeu (voir Le Théâtre du blog), elle  a pris  comme prétexte  la fin de l’Odyssée. Avec une référence à Ithaque, la petite île chère à Ulysse et dont Homère parle  à la fin de cette grande épopée.  Quand son célèbre héros, après la longue guerre de Troie, et après de nombreuses aventures notamment avec la belle Calypso qui sera sa compagne pendant sept ans, il rentrera à Ithaque… Où l’attend sa femme Pénélope qui, depuis des années, ne sait même pas s’il est encore vivant. 

Le public est invité à entrer par les deux portes de la salle mais successivement. On comprend qu’il s’agit d’un espace bi-frontal avec deux salles et scènes, juste séparées de part et d’autre par un grand rideau de fil blanc. Comme dans le formidable Lapin-Chasseur de Macha Makeieff et Jérôme Deschamps à Chaillot en 1989, avec salle de restaurant et cuisine séparées par une cloison et des portes battantes. Une scénographie dont Christiane Jatahy s’est sûrement inspirée…On ne voit pas ce qui se passe de l’autre côté mais on entend des bribes de conversation. Mobilier des années 60 : table basse, guéridon, canapé,  lampadaires, tables de chevet, et une grande table avec des verres. Décor similaire ou presque de l’autre côté que l’on découvre après une pause. On demande en effet au public, par le bais de consignes projetées sur le rideau, de bien vouloir descendre les gradins en commençant depuis le rang le plus élevé, pour regagner en file l’autre côté  et rejoindre la place numérotée identique qu’avait chaque spectateur! Résultat:  il faut être patient et on se croirait en voyage organisé, et il faut dix bonnes minutes pour réaliser l’opération car il y a un certain cafouillage, à cause d’un manque de places… malgré celles libérées par des spectateurs exaspérés qui en ont profité-les heureux lâches!-pour s’enfuir.

Il ne se passe en effet pas grand chose et on a droit à quelques paroles banales et tiédasses. Un acteur invite un spectateur à boire un verre. Un couple s’embrasse.  Derrière le rideau de fils, on aperçoit une autre femme, le torse nu qui se  douche avec une carafe d’eau sur la tête sans dire un mot. Un jeune homme lit quelques phrases dans un carnet.  On se raconte des rêves. Un autre couple fait l’amour (mais en vidéo sur le rideau). Et il ne se passe toujours rien ou si peu!  Passionnant! Cela tient d’une performance mais sur ce grand et beau plateau, avec surtout nombre de régisseurs très efficaces en coulisse, et bien entendu, avec de gros moyens  techniques… donc financiers!

Arrivés de l’autre côté, nous assistons à peu de choses près, au même genre de texte sur le thème: exil et aventure personnelle, et aux mêmes projections de corps à moitié nus. Dans un immense ennui. Karim Bel Kacem, Cédric Eeckhout, Matthieu Sampeur,  trois garçons francophones et trois Brésiliennes, Julia Bernat, Isabel Teixeira  et Stella Rabello sont sympathiques et font le boulot. Mais le spectacle tourne à vide…
Il parait qu’on découvre, soit le point de vue de Pénélope, soit celui d’Ulysse. “Véritable voyage sur place, scène et publics, réalité et fiction se verront confondus en un seul et même espace.” ( sic).  Effectivement, les deux rideaux  se relèvent et on voit l’autre partie du public en face! Ah! Ah! Ah! Quelle découverte intéressante! Et l’eau- celle de la Méditerranée?-va envahir le parquet à larges lattes.

Les comédiens vont donc patauger jusqu’à la fin- là aussi c’est très inédit!!!- et, avec deux caméras,ils vont se filmer et bien entendu-c’est aussi inédit!!! mais madame Jatahy adore cela-on verra donc de très gros plans de visages sur les écrans placés au-dessus des rideaux qui  replongeront dans l’eau. Et cela n’en finit plus, malgré la lecture d’un extrait de James Joyce, et il y aura deux fausses fins! Plastiquement,  c’est assez beau, on peut accorder cela à Christiane Jatahy  mais quelle absence de dramaturgie et quelle prétention! Quelle lamentable débauche de moyens techniques, quel argent dépensé pour quelques images de qualité sans doute, mais qui ne font jamais sens ou si peu!  Ce qui aurait pu être une performance de quarante minutes maximum, semble ici bien inutile et à la limite du scandale. Cette plaisanterie snobinarde dure deux heures, dans un un immense ennui…  Pourquoi Stéphane Braunschweig  a-t-il programmé une pareille chose?

Selon la metteuse en scène: “L’imagination est ce qu’il y a de l’autre côté”. “Elle pratique un art des mélanges et des confrontations qui fait bouger les lignes et franchir les frontière (sic). Non désolé, ce genre de choses ne fait absolument rien bouger  sinon des centaines de litres d’eau..
A quelques heures d’avion, à Moscou, pour dénoncer l’Etat policier, un artiste russe Piotr Pavlenski avait  fait il y a cinq ans une sacrée performance sur la Place Rouge en se clouant les testicules sur le sol. Et, en 2017, il a commencé à incendier une agence de la Banque de France, place de la Bastille à Paris… (voir l’émission récente d’Arte).  Cela  n’a rien à voir, nous direz-vous sans doute mais cela a une autre classe, que cette pièce aux vagues allures de performance avec quelques propos sur l’immigration et l’exil.

C’est le premier volet de ce qui s’annonce comme un diptyque! Vous l’aurez compris, tous aux abris: le masochisme a des limites, et conseil d’ami: vraiment, abstenez-vous!

Philippe du Vignal

Odéon-Ateliers Berthier, rue Georges Suarès, Paris XVII ème jusqu’au 21 avril.

São Luiz Teatro Municipal de Lisbonne du 7 au 10 juin.

 


Archive pour 19 mars, 2018

L’Orestie, opéra hip hop texte de D’ de Kabal, mis en scène d’Arnaud Churin et D’ de Kabal, d’après Eschyle

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©Christophe Raynaud de Lage

 

L’Orestie, opéra hip hop, texte de D’ de Kabal, mise en scène d’Arnaud Churin et D’ de Kabal, d’après Eschyle

La trilogie de cet immense dramaturge, comprenant: Agamemnon, Les Choéphores, Les Euménides-et un drame satyrique Protée aujourd’hui perdu-fut créée en 458 avant J.C. aux grandes Dionysies d’Athènes où elle remporta le premier prix. Comme les autres pièces d’Eschyle,  encore inconnue chez nous au XVII ème siècle, c’est donc une œuvre récente dans l’histoire du théâtre européen… Agamemnon et Les Choéphores ont été adaptées par D’ de Kabal, et il a entièrement réécrit Les Euménides. Soit quatre ans de travail avec une vingtaine d’acteurs pour  « cette  aventure qui a été une vraie utopie artistique et qui a permis de créer des ponts entre différentes disciplines pour parler, comprendre et avancer ensemble».

L’Orestie a toujours fasciné, parfois pour le meilleur mais souvent pour le vraiment pas très bon, les metteurs en scène et non des moindres des XX et XXI èmes siècles qui en ont tous fait des adaptations plus ou moins fidèles avec tout ou partie des trois pièces: d’abord, Alexandre Dumas fils en 1856 au Théâtre de la Porte Saint-Martin à Paris, avec un grand succès. Puis Maurice Jacquemont avec Agamemnon en 1947 pour le Groupe de Théâtre Antique de la Sorbonne, Jean-Louis Barrault (1955), André Steiger (Les Choéphores et Les Euménides en 1961), et Philippe Lagard (Agamemnon  deux ans plus tard) de nouveau pour le Groupe de Théâtre Antique de la Sorbonne, Peter Stein (1980), puis Ariane Mnouchkine, (1990-91-92), Georges Lavaudant (1999), Jean-Pierre Vincent, (2007), et Olivier Py, (2008), ou encore Romeo Castellucci, (1995 et 2015),  et Krystoff Warlikowski en 2009 avec certains dialogues pour A(p)olonia (voir pour ces trois dernières créations, Le Théâtre du Blog).

Agamemnon, roi d’Argos, revient victorieux de la guerre de Troie, accompagné de sa captive et amante Cassandre, fille de Priam, roi de Troie. Clytemnestre, son épouse veut le tuer pour venger le sacrifice de leur fille Iphigénie,  qu’Agamemnon avait ordonné pour obtenir des dieux les vents nécessaires au départ de la flotte pour Troie. Cassandre prophétise sa propre mort et celle du roi, puis la vengeance d’Oreste, leur fils. Agamemnon et Cassandre seront tués par Clytemnestre, avec l’aide d’Egisthe, son amant et cousin qui voulait se venger du roi car son père Atrée avait banni son frère Thyeste, le père d’Égisthe. Thyeste lui avait servi en festin, la chair de douze de ses propres enfants; le seul à avoir survécu est Egisthe, avec lequel Clytemnestre dirigera donc le royaume d’Argos… Quant à Oreste, sa mère avait dit à Agamemnon qu’elle l’avait envoyé chez un ami, Strophios de Phocide, pour le protéger des rumeurs quand il était à la guerre. Agamemnon, le roi orgueilleux et criminel aurait pu ne pas obéir à l’oracle sacrilège, ne pas se livrer à la loi du talion et épargner ainsi le sang de sa fille innocente. A son retour au palais, il marchera sur le tapis de pourpre, grand honneur réservé aux statues des dieux dans les processions, et il payera la très grave faute qu’il a commise. Aveuglé par la gloire de sa victoire à Troie, il va ainsi, seul responsable de son malheur, au devant de son tragique destin. Grande leçon…

Dans Les Choéphores, le jeune Oreste, revient en effet à Argos avec son ami Pylade, le fils de Strophios. L’oracle de Delphes, Apollon lui a donné l’ordre de punir les assassins de son père. Électre, la sœur d’Oreste vient apporter des libations sur la tombe d’Agamemnon, car sa mère Clytemnestre l’a envoyée apaiser son âme. Il arrive alors, et se fait reconnaître de sa sœur. Méconnaissable sous un déguisement, il annonce au palais royal qu’Oreste est mort. Clytemnestre est accablée. Pressé d’agir par le chœur qui appelle à la vengeance, il tuera d’abord Égisthe puis Clytemnestre…

©Christophe Raynaud de Lage

©Christophe Raynaud de Lage

Dans Les Euménides, Oreste est poursuivi par les Erinyes, déesses des enfers, sans pitié et toutes puissantes auxquelles Zeus lui-même doit  obéir. Elles punissent tous les crimes  et pourchassent sans répit leur victime. Oreste arrive au sanctuaire d’Apollon pour se purifier de son acte; ce  grand dieu prendra la défense du meurtrier de cette femme qui a égorgé son mari mais les Erinyes ne le lâchent pas… Apollon l’emportera; il conseillera tout de même à Oreste d’aller voir la déesse Athéna qui crée alors un tribunal pour le juger; elle annonce qu’en cas d’égalité des voix-ce qui se produira-elle lui donnera la sienne. Oreste sera bien reconnu coupable du double meurtre mais la justice l’acquittera. Athéna apaisera la colère des Érinyes furieuses, en les instituant Euménides, déesses bienveillantes d’Athènes… Quelle  sensibilité poétique, quel sens du scénario et du dialogue! Que l’on retrouvera aussi chez Sophocle et Euripide. Victor Hugo, qui admirait beaucoup Eschyle, disait que l’on pouvait tester les intelligences sur ses textes…

 Avec Les Euménides, Eschyle refuse clairement la loi du talion et fait dépendre la vie d’Oreste, d’un vrai tribunal et non de la vengeance. Dans un souci de justice, sereine et équilibrée. En considérant pour la première fois, la notion de responsabilité personnelle et « la violence engendrant la violence », en adaptant le châtiment à chaque individu, après mûre réflexion et sans automatisme. Et contre «ce penchant inné chez les mortels de piétiner, celui qui est tombé” comme il est dit dans Agamemnon

d-de-kabal-creditD’ de Kabal, poète, musicien et metteur en scène, mais aussi rappeur, il s’est lui aussi intéressé à ce texte génial mais pas toujours facile d’accès avec pour thème essentiel: le conflit d’un individu avec la société, quand il s’agit de juger le meurtrier avec le maximum de justice, en le rendant responsable de ses actes. Il s‘agit visiblement pour D’ de Kabal de réactiver la tragédie antique et de faire entrer en résonance l’opéra, la tragédie, et le hip-hop. Ce qui est tout à fait novateur et intelligent dans le traitement  que l’on peut faire d’une tragédie antique comme L’Orestie. «En même temps, dit-il, on a voulu que ça reste exigeant au niveau littéraire et poétique. (…) Le rapport entre opéra et hip hop, il est aussi de faire un spectacle total : scène, rythmes, la voix la gestuelle du coryphée, comme une marionnette protéiforme, et évidemment le chœur». ( …) «Nous avons découvert à travers ce texte, quelque chose qui nous connecte à une sorte de sacré comme une espèce de transe vécue à vingt ! Comme un sentiment d’appartenance à l’humanité, juste avec une volonté de faire corps et de raconter une histoire.»

Et  cela fonctionne ? Oui, et le plus souvent de façon remarquable. D’ de Kabal et Arnaud Churin ont réussi comme personne-sauf sans doute Peter Stein-à trouver une solution pour que le chœur ait une véritable existence scénique, avec une belle union entre musique et théâtre. Ce qui est des plus rares dans toutes les mises en scène de tragédies antiques, et les Dieux savent combien nous avons pu en voir! Il y a ainsi quelques moments très forts dans celle des Perses d’Eschyle montée par Maurice Jacquemont, avec la musique de Jacques Chailley pour ondes Martenot, un clavier électronique, ancêtre du synthé, imaginé en 1928 par son inventeur du même nom. Réalisée pour le Groupe de Théâtre Antique créé en 1936 par Roland Barthes et Jacques Veil, cette mise en scène fut ensuite sans cesse reprise pendant une trentaine d’années, avec un succès jamais démenti, même si les acteurs étaient étudiants, et donc théâtralement peu expérimentés! Les  comédiens-chanteurs, ici sur quelques marches d’un vaste escalier et souvent face public, font entendre le texte, une sorte de rap aux belles sonorités, avec une gestuelle qui met singulièrement en valeur la poésie d’Eschyle, mais aussi le travail scénique, notamment oral et gestuel d’une communauté. Et on ne décroche pas un instant pendant ces deux heures. «Cette aventure, dit D’ de kabal, a été une vraie utopie artistique, et on a créé des ponts entre différentes disciplines pour que les gens parlent, comprennent et avancent ensemble.” 

En général, dans les mises en scènes contemporaines, le chœur est mal traité, avec de simples figurants ou quelques acteurs, alors que, très présent dans la pièce, il doit être absolument moteur. Ce que D’ de Kabal et Arnaud Churin ont très bien compris. Avec un résultat magnifique d’unité scénique et de vérité, comme on en voit rarement, et nous pesons nos mots. Venu de l’opéra, un surtitrage en français sur les côtés de la scène permet de ne rien perdre des phrases dites par le chœur. Bien vu!

Pour Les Euménides, D’ de Kabal  a écrit en fait un texte court mais fort, une sorte de poème avec très peu de dialogues, inspiré de celui d’Eschyle où il reprend en gros l’histoire d’ Oreste mais où il écarte la présence d’Athéna et insiste beaucoup sur la notion de justice dans des sortes de versets:  « Pour parler ce de qui nous oppresse, utilisons la langue qui nous oppresse » ou « La justice consiste avant tout à éviter l »injustice. Comment nous y prendre si les individus ne sont pas égaux. »

Et l’auteur précise  que: « La pièce dit: sans égalité, il n’y a pas de justice (…) Tout le monde veut de la justice, mais tout le monde le veut pas de l’égalité ». » L’impartialité, dit-il, est à questionner, le fait est de savoir, si la justice est du côté du peuple. » Et à Bobigny où siège un très gros tribunal et où vivent de nombreuses communautés étrangères, parler de justice a encore plus de sens; bref, D’ de Kabal a politiquement visé juste… Aux chapitres des réserves, les dialogues d’Agamemnon et des Choéphores sont pénalisés par une très médiocre adaptation, bourrée de “ce qui”, “ce que”  et de dentales en rafale, etc. : bonjour la cacophonie! Alors que le texte en grec ancien reste, vingt-cinq siècles après, d’une étonnante et magistrale fluidité et d’une incomparable poésie, comme dans les traductions en français de Paul Mazon ou d’Emile Chambry. Dommage!  Mais que cela ne vous  dissuade surtout pas d’aller voir ce très beau spectacle, aux frontières de la tragédie grecque, de l’opéra et du rap. Comment sauver la Cité des guerres mais aussi des crimes perpétrés au sein des familles? Vingt-cinq siècles plus tard la question posé par Eschyle reste  d’actualité. Comme le rappelait la grande helléniste Jacqueline de Romilly, cela vaut encore pour notre époque « où toutes les sortes de violences semblent avoir pris une forme exacerbée et où nous cherchons désespérément un remède « .

A la fin, de très nombreux jeunes gens ont longuement applaudi debout! Chose rare dans les théâtres parisiens! Et on peut dire un grand merci à Hortense Archambault, directrice de la MC 93, d’avoir permis à cette création de voir le jour… Et qui aurait toute sa place dans un festival d’Avignon enfin plus populaire.

Philippe du Vignal

Spectacle créé le 13 mars à la MC 93 de Bobigny (Seine-Saint-Denis). Le 22 mars, à l’Avant-Seine de Colombes, et le 30 mars, au Pôle Culturel d’Alfortville.

 

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