Festival Spring :
Poings, texte de Pauline Peyrade, chorégraphie de Justine Berthillot, composition sonore d’Antoine Herniotte, mise en scène collective
© Slimane Brahimi
Dans toute la Normandie, Spring 2018, seul festival de cirque contemporain à l’échelle d’une région française, présente plus de cinquante spectacles dont neuf créations, et cela sur six semaines. Soit plus de cent-sept représentations dans soixante lieux culturels et/ou communes, partenaires dont trois Scènes Nationales, trois centres Dramatiques Nationaux, un Centre Chorégraphique National, deux Scènes conventionnées… Et avec un focus sur des artistes très reconnus, comme le metteur en scène et circassien Mathurin Bolze et le magicien Yann Frisch (voir Le Théâtre du Blog).
« Chaque édition de Spring, dit Yveline Rapeau, sa directrice, est prétexte à raconter des histoires et à mettre en lumière les voies qu’emprunte le cirque contemporain pour se raconter. Avec un regard particulier sur les nouveaux talents et les premiers pas.” Comme ceux de ces deux jeunes femmes qui se sont rencontrées dans Sujets à vif, ce volet un peu parallèle, mais très apprécié, du Festival d’Avignon, avec de petites formes dans un adorable cour du lycée Saint-Joseph, et souvent de belles surprises.
Ce spectacle de Pauline Peyrade autrice, de la voltigeuse Justine Berthillot et du musicien Antoine Herniotte nous raconte cinq moments d’une relation amoureuse avec trois personnages juste indiqués par TOI, MOI, LUI. Quand la violence vient s’en mêler et que, d’un seul coup, rien ne va plus: aliénation, vaine quête de sens, perte de repères, obsessions. Que faire, sinon serrer les poings pour ne pas sombrer, refuser le malheur et résister encore et toujours…
Sur le sol du grand plateau du Préau à Vire, du sable éparpillé, quelques tabourets dans la pénombre, et accrochée aux cintres, une large banquette de voiture. Un dialogue serré, avec très courtes répliques, écrit dans le langage quotidien des ados d’aujourd’hui: MOI. Quoi je me vexe ? T’ouvre ta gueule comme d’habitude t’as même pas essayé. TOI. Je me vexe pas. MOI. Tu parles sans savoir encore et tu crois que tu sais tout. LUI. Je vais pas te mentir. Je vais pas te dire que j’aime ça si je n’aime pas ça. TOI. Je sais. MOI. Tu sais pas tout. LUI. Et j’ai le droit de pas aimer ce que tu fais.MOI. Tu sais rien. TOI. Je sais, merci. LUI. On peut ne pas aimer les mêmes choses, c’est pas grave. MOI. C’est pas grave. TOI. Non, c’est pas grave. LUI. T’as même le droit d’aimer le roller, si tu veux… TOI. Ta gueule. Il rit. Ça la fait sourire. LUI. Ça te dérange pas ?TOI. Non.LUI. Tu seras bien, tu auras la maison pour toi toute seule. MOI. Quoi ? TOI. Quoi ? Je pourrais même pas venir avec vous ?
Et de très belles images, quand entre autres, Justine Berthillot tourne en patins à roulettes, indéfiniment sur le plateau dans un espace-temps qu’elle maîtrise parfaitement, ou quand elle est assise en hauteur sur cette banquette de voiture qui se décroche tout d’un coup: elle se retrouve accrochée dans le vide, belle métaphore d’une vie et d’un amour sans issue, avant de redescendre au sol…
Et il y a des moments d’une poésie forte, avec un texte plus écrit: « Quelqu’un qui t’aime, tu ne tournes pas sept fois la langue dans ta bouche avant de dire quelque chose. Quelqu’un qui t’aime, il ne s’amuse pas à te faire pleurer. Il ne te force pas à faire ce que tu n’as pas envie de faire. Quelqu’un qui t’aime, il ne te fait pas la gueule pendant deux heures parce que tu n’as pas voulu lui tailler une pipe. Quelqu’un qui t’aime, il ne te réveille pas au milieu de la nuit pour te gueuler dessus.»
Et comment ne pas être séduit par les phrases de cette virée en voiture dans Paris: «Quai de Conti. La circulation se raréfie. Quelques véhicules descendent vers la rive à vive allure. Quelque chose bouge en toi. Tu te sens merveilleusement vide. Miraculeusement tendre. Tu ne veux pas rentrer tout de suite. Tu as le temps. Il est encore tôt. Feu vert. Des tambours dans ta poitrine. Le vent contre tes paumes. La tête plongée dans un brouillard multicolore. Tu n’as plus peur. Tu es libre. Rien de plus sûr. Rien de plus définitif. Gauche, droite. Tu danses. Ce n’est pas toi qui trembles. C’est tes jambes. C’est la fatigue. Virage à droite. »
Mais s’il y a de belles images, l’interpénétration gestualité, texte et musique ne se fait pas vraiment. La faute à quoi ? D’abord à une salle à l’acoustique médiocre et qui n’est sûrement pas faite pour cela, la faute aussi à une diction loin d’être irréprochable, et à une direction d’acteurs encore incertaine. Il manque sans doute ici un metteur en scène pour fixer un travail encore en cours et revoir d’urgence la balance texte/musique, et les éclairages… Bref, imposer aussi un fil rouge scénique qui semble avoir ici fait défaut. Le public était partagé : parfois avec des réactions assez dures, mais aussi parfois sensible à une démarche exigeante et d’une grande rigueur, entre cirque et texte, certes pas toujours facile d’accès, mais dont les interprètes ont eu raison de prendre des risques : il faudra les suivre.
Philippe du Vignal
Spectacle vu au Préau de Vire-Centre Dramatique, le 15 mars. Le festival Spring continue jusqu’au 18 avril.
Les Subsistances à Lyon, les 22, 23, et 24 mars.
Le texte est édité aux Solitaires Intempestifs.