Parfois le vide, texte et mise en scène de Jean-Luc Raharimanana
Parfois le vide, texte et mise en scène de Jean-Luc Raharimanana
« J’écris avec la musique, les mots portent une part de rythme que les musiciens peuvent relayer» le romancier, dramaturge et poète Jean-Luc Raharimanana se met en scène, accompagné d’une chanteuse lyrique, Géraldine Keller, du percussionniste Jean-Christophe Feldlander et, à la mandoline, guitare, valiha et au kabosyle,Tao Ravao son complice de longue date, créateur du blues malgache.
Dans le noir, surgit une voix qui vient relayer un solo de percussions doux et chuintant. Les mots se bousculent, puissants mais sans violence, : «Tout cadavre laissé au sort a succulence de carcasse (…) macéré à nos malheurs (…) amas d’impuissance». Une colère sourde bout dans les paroles de l’auteur malgache qui dénonce : «L’aujourd’hui où nous pataugeons (…) Tout rumine en mes ruines (…) Nous vivons dans un monde scandaleux.» Ainsi commence cet étonnant poème dramatique adressé à un certain Momo et à nous tous.
Lumière sur le plateau : Jean-Luc Raharimanana entame une partition plus joyeuse et ironise sur le thème de la mondialisation. «Il ne suffit plus que tes gouvernants t’égorgent, il t’en faut d’autres. Mondialisation ! ( …) » Les musiciens lui emboîtent le pas sur un rythme plus vif… En contrepoint, derrière une forêt de micros, on devine la silhouette rouge de Géraldine Keller qui entame un long lamento. Elle se définit elle-même, comme «pneumo-facturière de matière sonore volatile», et donne une couleur plus dramatique au texte qu’elle partage avec Jean-Luc Raharimanana.
Il sera ici question de départ: «Rien ne peut m’empêcher d’aller où je veux. (…) Je nage (…) On s’envole Momo… Le texte devient épique avec un voyage vers «un Eldorado sans or ni conquistador.» Parfois le vide est né pendant l’écriture de son dernier roman, Revenir, dit l’écrivain. Dans ce poème dramatique en prose, dense, imagé et rageur, les allitérations, répétitions et assonances constituent une musique qui, au-delà des mots, est prolongée par Jean-Christophe Feldlander et Tao Ravao.
« La voix devient chant, dit Raharimanana, et le chant redevient voix. » Il y a quelque chose de cathartique dans ce texte qui lui a été inspiré par le tromba malgache: «Une cérémonie de temps de crise, collective ou personnelle, et seulement, quand les moyens de guérison classiques ont échoué. On convoque alors le tromba, l’esprit d’un ancêtre connu pour la puissance de son verbe. L’esprit possède le vivant et sa parole guérit. »
Ce quatuor remarquable nous embarque pendant une heure dans une diatribe sulfureuse et bouillonnante contre le monde tel qu’il va, avec ses migrants fuyant la guerre, la dictature et la pauvreté: «Nous étions des oiseaux qui marchions contre des créatures de fer. (…) » Mais l’atterrissage est difficile : «Tu auras été un oiseau magnifique, mon ami… tu pars, ton passeport s’appelle oubli, Momo.(…) » Et advient «parfois le vide sur la parole vaine ».
L’auteur nous confiait, à l’issue d’une lecture organisée par RFI au Festival d’Avignon 2016 : «Je regarde le monde, je ne peux pas fermer les yeux. C’est la parole qui me tient debout ; avec les mots, je vole.» Et ce texte fait aussi décoller le public. Telle est la force mystérieuse de la poésie. Avis aux programmateurs…
Mireille Davidovici
Théâtre Antoine Vitez, 1 Rue Simon Dereure, Ivry-sur-Seine (Val-de-Marne). T.: 01 46 70 21 55, jusqu’au 31 mars.
Théâtre Studio d’Alfortville, les 20 et 21 avril.
La Pyramide de Romorantin, dans le cadre des soixante ans de la MAJO.Festival des Francophonies en Limousin, Limoges du 1er au 6 octobre.
Plumes d’Afrique à Saint-Pierre-des-corps, Le 9 novembre,.
Revenir. Editions Rivages, 2018.