La double Inconstance (ou presque) de Marivaux, adaptation et mise en scène de Jean-Michel Rabeux

La double Inconstance (ou presque) de Pierre Carlet de Chamblain de Marivaux, adaptation et mise en scène de Jean-Michel Rabeux

 

© Ronan Thenadey

© Ronan Thenadey

Après La Fausse Suivante (1981) et Arlequin poli par l’amour (2001), Jean-Michel Rabeux retrouve Marivaux. Mais, cette fois avec une adaptation: d’où cet énigmatique (ou presque). Quatrième comédie de l’auteur, aux couleurs romanesques: «Sylvia aime Arlequin, qui l’aime en retour. Mais le Prince tombe amoureux de Sylvia ; il l’enlève et l’enferme dans son palais. Puis il envoie Flaminia à la conquête d’Arlequin. Les jeunes amants se laissent subjuguer par leurs nobles séducteurs… ».

Jean-Michel Rabeux n’a en rien altéré l’essence même de la pièce, et exprime bien la modernité de la pensée de Marivaux qui fut visionnaire dans sa conception de l’amour et des rapports de pouvoir entre hommes et femmes, qu’ils soient sentimentaux ou/et politiques. Nous connaissons tous le mot marivaudage. Chez lui, l’action dramatique et les conflits résident dans les mots et la parole, elle-même «action» pour reprendre le terme de Michel Vinaver.
Comme le remarque Marmontel, cité par François Deloffre dans Une préciosité nouvelle: Marivaux et le marivaudage : «C’est sur le mot qu’on réplique, et non sur la chose ».  Et l’adaptation  comme la mise en scène de Jean-Michel Rabeux ne perturbent en rien le climat enchanteur  de la pièce. En effet, il a su alléger le texte en réagençant la construction des phrases. La pièce prend ainsi une respiration, un rythme dramatique, plus épurés et plus directs. Et il a imaginé un prologue, ouvrant le spectacle avec humour: «Bonsoir. Je voudrais dire un petit mot (…) Pour être clair : vous êtes là, vous n’y êtes pas.
 Vous êtes venu voir La double Inconstance de Marivaux. Vous ne la verrez pas. Et voilà. Même la simple, vous ne la verrez pas.
» La cadence poétique et physique ne cesse d’habiter le jeu des acteurs et la langue de Marivaux.

Dans cette création, tous les comédiens rendent sensuelle et véritablement sous tension dramatique, cette conception moderne du langage et du dialogue. Sans oublier aussi cette nouveauté qui singularise la comédie chez Marivaux, au regard de la comédie classique: l’intériorisation du conflit. Le sentiment amoureux de Sylvia et d’Arlequin, n’est plus confronté avec une loi qui l’opprime, mais avec lui-même. Chez Marivaux, l’amour n’a plus rien d’une fatalité. Il y a dans cette pièce, dit Jean-Michel Rabeux, «derrière les attendus, une noirceur inattendue, terrible d’être drôle». En effet, le rire (souvent tragique), l’érotisme, la séduction, tout cela à double tranchant et tantôt délicieux, tantôt cruel, est ici merveilleusement mis en éveil. Entre ombre et légère clarté, les rapports complexes entre pouvoir et désir se dévoilent sous nos yeux éblouis.

La double Inconstance, à l’écriture parfois qualifiée de précieuse et légère, arrive jusqu’à nous en 2018, avec à la fois, humour et gravité : ainsi des costumes noirs pour les gens de la Cour, et colorés pour les villageois, semblent annoncer la chute de la royauté et la Révolution de 1789… Cette création est toute en finesse et très contemporaine, grâce à l’énergie et à l’intelligence de cette mise en scène. Grâce aussi à la scénographie de Noémie Goudal: belle et subtile idée que ces trompe-l’œil Renaissance de palais aux arches labyrinthiques, en parfaite résonance avec le cache-cache entre vérité et mensonge, oppression et liberté, auquel jouent les personnages qui, dit Jean Michel Rabeux, «semblent sortir à l’aube, d’une boîte de nuit branchée, mélange de trash, sexy, contemporain et de XVIII ème siècle. » Claude Degliame (Le Prince) est impressionnante de justesse et d’ambiguïté.

Le public entend parfaitement le texte et ses variations-impeccable diction des comédiens-et en perçoit ainsi les subtilités et traits d’esprit chers à l’auteur, avec la force et le pouvoir des mots qui possèdent véritablement les personnages et qui les entraînent, sans qu’ils ne sachent bien où. Par exemple, à propos de Sylvia, lors de leurs premières rencontres: «Ensuite elle me donnait, dit Arlequin, des regards pour des paroles, et puis des paroles qu’elle laissait aller sans y songer, parce que son cœur allait plus vite qu’elle». Ou encore par exemple, la fin  qu’il  a  modifiée en un vrai coup de théâtre. Tragique ou/et humour noir? A nous de choisir… Jean-Michel Rabeux et toute sa troupe nous offrent une adaptation exceptionnelle et à ne pas manquer, de cette double Inconstance.

 Elisabeth Naud

Théâtre Gérard Philipe, 59 boulevard Jules Guesde Saint-Denis (Seine-Saint-Denis). T. : 01 48 13 70 00, jusqu’au 25 mars.


Archive pour mars, 2018

Hunter, le chant nocturne des chiens texte et mise en scène de Marc Lainé

Hunter, le Chant nocturne des chiens, texte et mise en scène de Marc Lainé

 

 

© Simon Gosselin

© Simon Gosselin

Sur le plateau, des châssis en contreplaqué brut laissent entrevoir  par une grande baie vitrée-miroir  le salon et une chambre d’une maison. A jardin, un fond vert pour faire jouer un  acteur  en incruste dans l’image filmée en nuit américaine, d’un lotissement avec des rangées de maison cossues. A milieu du plateau,  des rails de travelling  avec une caméra.  Un technicien  manipule à vue une machine à fumée, des comédiens passent, le musicien s’installe, des aboiements résonnent…

 Comme avec Vanishing Point, Marc Lainé mêle habilement vidéo en direct  et jeu face public, avec une histoire inspirée des séries B et des films d’horreur. Claire (Bénédicte Cerutti) et David (David Migeot), un couple de petits bourgeois sans histoire que l’on peut voir buvant un verre, découvrent un soir une jeune fille, Irina, cachée dans leur jardin, pourtant fermé par un portail cadenassé. Terrorisée, elle raconte qu’elle s’est échappée et elle mord David quand il tente de s’ approcher d’elle.
 Le père d’Irina, un vieux monsieur à l’accent anglais (Geoffrey Carey) appuyé sur sa canne, la retrouve et la ramène, sans s’éterniser.  Le couple se demande s’il doit porter plainte car cette affaire ne leur semble pas nette. On découvrira que la jeune fille et son frère sont séquestrés par le père et qu’un terrible secret pèse sur la famille.

©Jean Couturier

©Jean Couturier

 Pour son auteur, Marc Lainé, cette pièce est une «métaphore de la sauvagerie contenue en chacun de nous, et littéralement liée au sexe masculin» et son originalité réside dans le fait «d’interroger cette sauvagerie au féminin». Il traite ainsi de la monstruosité du désir, et de l’amour dévorateur. Contrairement aux films d’horreur, la mise en scène n’impose pas d’images insupportables et la métamorphose se fait sur scène et en direct dans une esthétique faite maison, par exemple, en faisant maquiller à vue les personnages et en révélant les trucages. Ainsi, on  ne peut avoir peur et  Marc lainé essaye de jouer le second degré avec des clins d’œil aux films de série B. Mais avec une technique bien maîtrisée: quand les comédiens sont dans le salon ou dans leur chambre, un grand écran au-dessus du plateau diffuse leurs faits et gestes.

 Le montage en direct, saccadé, juxtapose plusieurs plans et on voit simultanément les différents endroits de la maison. Avec une scénographie astucieuse:  une penderie dans une chambre avec fond ouvrant sur l’extérieur, un tableau qui laisse apparaître le visage d’Irina comme en plein cauchemar, ou un grande baie vitrée se transformant en miroir! La musique de Gabriel Legeleux (alias Superpoze), interprétée en direct avec sons électro, airs de piano, et chansons, apporte une ambiance à la David Lynch. Marie-Sophie Ferdane, déjà rayonnante dans Vanishing Point, se métamorphose ici en créature inquiétante, à la fois faible et forte, humaine et animale. Mais, malgré le talent des comédiens, l’histoire, malheureusement, reste bien creuse et les raccourcis vers le rêve, bien faciles. En fait, onirisme et émotion font ici défaut, et à cause d’une étrangeté forcée et d’un second degré mal assumé, on ne sait comment recevoir ce spectacle. Avec une forme brillante parfois même virtuose, Hunter reste donc un exercice de style… Dommage !

Julien Barsan

Spectacle vu au Théâtre National de la danse de Chaillot, 1 Place du Trocadéro, Paris XVI ème.
Le 30 mars, à L’Avant-Seine 88 rue Saint-Denis, Colombes (Hauts-de Seine). T. : 01 56 05 00 76.

 

Délestage, de et par David-Minor Ilunga, mise en scène de Roland Mahauden

©Yves Kerstius

©Yves Kerstius

Délestage, de et par David-Minor Ilunga, mise en scène de Roland Mahauden

 L’humour déferle dans ce solo à la congolaise.  «Ce que je raconte, dit David-Minor Ilunga, ce sont des “kinoiseries“, un mélange d’observations et de blagues; les questions que je me pose sont celles de mes compatriotes qui découvrent l’Europe. » Venu de Kinshasa (Zaïre), il navigue entre les planches et la plume et a signé plusieurs pièces. Il a conçu Délestage pendant une résidence en Belgique, juste après les attentats de Maelbeek et Zaventem,  et  a été ému par celui de Nice, le 14 juillet 2016.  Seul en scène, il joue un personnage confronté, comme bien d’autres clandestins, à la police et à la justice des Blancs, en cette période où la peur infuse la société européenne.

Devant une avocate du centre de rétention, et en passe d’être expulsé,  il entreprend le récit de son arrestation, de l’interrogatoire mené par deux flics qui le prennent pour un terroriste jusqu’au match de foot endiablé qu’il a joué avec ses geôliers… L’avocate a du mal à endiguer cette parole abondante et truffée d’anecdotes sur le Congo d’aujourd’hui et les relations Nord-Sud. Empreint d’une fausse naïveté, le  personnage évoque petits et grands drames quotidiens de son pays, et dresse un portait hilarant de l’Europe vue par un Africain.  » -C’est une maladie chez vous, improviser ? Vous n’avez jamais de plan? lui reproche l’avocate.  -Comment ça pas de plan ? On a toujours un plan, m’dame. Seulement, c’est pas des plans de cinquante ans, comme vous autres. Ça se résume à l’instant: survie, survie et survie. C’est comme ça, quand on vit dans une société de délestage, m’dame. (…) Ça veut dire que tout est discontinu. Sans aucune garantie.(…) Aujourd’hui, ce sont les enfants qui mangent, demain ce sont les parents ; cette année, les garçons vont à l’école, l’année prochaine,  ce sera le tour des filles (…).  Délestage, c’est aussi la recherche de solutions. C’est l’article 15 de la Constitution de Mobutu :“Débrouillez-vous“»

 A la fois auteur et interprète, David-Minor Ilunga nous fait goûter, pendant soixante quinze minutes,  sa prose savoureuse, riche en inventions de langage et rythmée, et nous entraîne avec verve dans un récit en zigzags. Mais derrière ces propos parodiques, c’est le désarroi de tout un peuple que l’on entend.  «Le rire dans lequel je me réfugie, dit-il, me protège comme un scaphandre ». On entre d’emblée dans la logique de ce récit à plusieurs voix, dynamique et tout en digressions. Mais dommage, cet excellent comédien n’a pas pris en charge le texte de l’avocate dont la voix off dans la deuxième partie, lui donne la réplique… Elément exogène,  qui surprend et détonne…

Le spectacle, produit et créé au  Théâtre de Poche à Bruxelles, a tenu l’affiche avec succès pendant plus de cinq semaines et semble promis à une importante tournée en Europe et en Afrique. Il n’est malheureusement programmé que trois soirs à Paris.

 Mireille Davidovici

Le Tarmac, 159 avenue Gambetta Paris XXème, jusqu’au 16 mars. T. : 0 43 64 80 80.

Dans le cadre du festival Traversées africaines,  jusqu’au 13 avril,  au Tarmac.

Le 22 novembre, Foyer Culturel de Jupille (Belgique) ;le  27 novembre, Centre Culturel Wolubilis à Bruxelles ; le 28 novembre, Théâtre la Ruche,  Charleroi (Belgique).

Le 7 décembre , Centre Culturel de Perwez  et le 8 décembre, Centre Culturel de Waterloo, en Belgique.

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www.poche.be

 

Le Garçon du dernier rang de Juan Mayorga, mise en scène de Paul Desveaux

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Le Garçon du dernier rang de Juan Mayorga, mise en scène et scénographie  de Paul Desveaux

  Un professeur de littérature, parmi les copies de classe terminale médiocres, décèle une once de talent dans le récit du garçon silencieux assis au dernier rang. Tom raconte comment il a réussi à s’introduire chez les parents de Rapha, son camarade d’école. Le maître, intrigué, voit, dans cette rédaction, une amorce de satire sociale et l’encourage à poursuivre, le conseille, lui prête des livres, le critique. Tom persévère, son écriture progresse et il s’incruste petit dans la famille dont il relate les faits et gestes. Surtout intéressé par la mère :  » la femme qui s’ennuie le plus au monde ».

Maître et élève se piquent au jeu d’un voyeurisme partagé, malgré les mises en garde de la femme du professeur qui commence, elle aussi, à s’intéresser à cette aventure littéraire en gestation, et qui s’y trouvera finalement mêlée. Elle dirige une galerie d’art contemporain qui est en faillite, et  cela occasionne entre elle et son mari, des discussions sur l’esthétique du moment.  

Juan Mayorga, pour ménager la tension dramatique, a découpé sa pièce en séquences, à la manière d’un scénario de film. Il les ponctue avec les commentaires et directives du professeur à Tom, ou avec des dialogues entre l’enseignant et sa femme. Peu à peu, la narration glisse de l’espace de la page, à celui de la scène : action et dialogues se superposent au texte et l’écriture devient alors un jeu théâtral. Pour répondre à cette construction en strates, la scénographie s’ouvre progressivement en profondeur et en hauteur. Les murs de la maison deviennent transparents, et Tom pénètre de plus en plus loin dans l’appartement et l’intimité familiale.

  Comme au cinéma, la mise en scène multiplie plans et cadrages et joue sur la profondeur de champ, sans avoir recours au relais de la vidéo. La notion de « point de vue  » que le professeur veut inculquer à son élève est la clef de cette dramaturgie. Il y a celui qui regarde (Tom), ceux qui regardent l’observateur et les personnages, une famille de cadres moyens supérieur exposés, à leur insu, par la plume quasi-ethnologique de l’écrivain en herbe, aux regards critiques des voyeurs (y compris du public).

Le professeur et sa femme ne sont pas épargnés par Juan Mayorga qui en profite pour se moquer de l’art contemporain et du sabir des textes de présentation dans les catalogues.  La mise en scène épouse la complexité de la dramaturgie avec une précision méticuleuse et privilégie la satire sociale, en par des signes renvoyant à l’esthétique de la moyenne bourgeoisie libérale. La culture adolescente est aussi très présente : projection de plans de skateboard,  séquences d’American Beauty, musiques de Paul Kalkbrenner comme Berlin calling et d’Elliott Smith, avec Between the bars. Clins d’œil aux films américains (grande affiche de Ken Park de Larry Clark au mur de la chambre de Rapha). À l’aune d’une sensibilité adolescente, la représentation du monde adulte devient une caricature.

Reste le portrait en creux d’un jeune homme énigmatique.  Mais le soin apporté à la réalisation rend le spectacle explicite et convenu. On regrette un manque d’ambigüité dans le rapport entre la narration de Tom et la réalité. Quelle est la part d’invention, de fiction dans son récit? La transparence du dispositif scénique nous prive de ce mystère.

Malgré ces quelques réserves, le spectacle nous offre une plongée dans le monde adolescent, confronté à celui des adultes. Il épingle avec humour les conflits générationnels et conjugaux. Sous le regard aigu d’un garçon singulier interprété par Martin Karmann  qui joue ici avec son vrai père… Sam Karman.

Mireille Davidovici  

Théâtre Paris-Villette 11 Avenue Jean Jaurès, Paris XIXème, jusqu’au 24 mars. T. : 01 40 03 72 23.

Les 16 et 17 avril,  Le Tangram , Scène Nationale d’Evreux-Louviers (Eure).

La pièce est éditée  dans la traduction de Dominique Poulange et Jorge Lavelli, chez Les Solitaires Intempestifs.

Camille Claudel, de l’ascension à la chute, écrit et mis en scène de Wendy Beckett,

 

Camille Claudel, de l’ascension à la chute, écrit et mis en scène de Wendy Beckett, chorégraphie de Meryl Tankard

© Christine Coquilleau

© Christine Coquilleau

 La sculptrice Camille Claudel (1864-1943) a fait l’objet de plusieurs films: Camille Claudel de Bruno Nuytten il y a trente ans avec Isabelle Adjani, à partir du livre de Reine-Marie Paris, la petite-fille de Paul Claudel qui fit redécouvrir l’œuvre de sa grande-tante. Puis, entre autres Camille Claudel 1915 de Bruno Dumont, avec Juliette Binoche, et le très beau Rodin de Jacques Doillon l’an passé, avec Izïa Higelin.
Mais aussi de plusieurs ballets et  de spectacles de théâtre, Camille de Sophie Jabès (voir Le Théâtre du Blog) et celui de Charles Gonzales qui reprend actuellement son Camille Claudel au Théâtre de Poche-Montparnasse…

 Cette sœur de l’écrivain, fut très jeune passionnée par la sculpture ; soutenue par son père mais pas du tout par sa mère, qui s’y opposera durement à sa passion. Elle devint vite la collaboratrice et la maîtresse d’Auguste Rodin (mort en 1917) dont elle aurait eu deux enfants. Et elle participera à plusieurs sculptures-entre autres ses très fameux Bourgeois de Calais. Et l’artiste l’admirait beaucoup: «Mademoiselle Claudel est devenue mon praticien le plus extraordinaire, je la consulte en toute chose.»
Mais après une dizaine d’années de passion amoureuse, Rodin qui vivait déjà avec Rose Beuret dont il avait deux enfants, va s’éloigner de Camille et ils se sépareront en 1892.  Paul Claudel dans une lettre évoquera un avortement clandestin de sa sœur la même année, ce qui l’aurait précipité dans la folie. Très connue et appréciée comme sculptrice, elle aura cependant moins de commandes et vivra dans la solitude, la saleté et la misère. Elle sombrera vers 1905 dans la paranoïa, persuadée que son ancien amant la persécutait…  Son vieux père qui la défendait contre sa mère, mourra en 1913 et Camille ne sera même pas prévenue de son décès. Ce qui la bouleversera. Devant son état, son frère et sa famille la feront interner. D’abord à Ville-Evrard en Seine Saint-Denis, où fut aussi hospitalisé Antonin Artaud en 1939. Transférée en 1915 à l’asile d’aliénés de Montdevergues à Montfavet (Vaucluse), elle y restera jusqu’à  sa mort en 43. Sans doute atteinte psychiquement mais surtout seule et malheureuse mais parfois assez lucide pour écrire au médecin: «Ma mère, mon frère et ma sœur n’écoutent que les calomnies dont on m’a couverte. On me reproche (ô crime épouvantable) d’avoir vécu toute seule, de passer ma vie avec des chats, d’avoir la manie de la persécution! C’est sur la foi de ces accusations que je suis incarcérée depuis cinq ans et demi comme une criminelle, privée de liberté, privée de nourriture, de feu, et des plus élémentaires commodités.» Effectivement, ni sa mère qui meurt en 1929, ni sa sœur ne viendront la voir,  et Paul lui rendra visite douze fois… en trente ans.
 Un destin hors du commun, pour la sœur d’un grand écrivain, et laproche collaboratrice et amante d’un immense sculpteur. Devenue elle aussi une  artiste très appréciée qui eut ensuite moins de commandes et qui, malheureusement restera longtemps internée, elle attire toujours la curiosité… Et sa vie a fait l’objet de nombreux livres et passionne le public, mais sans doute pas toujours pour d’excellentes raisons, et son œuvre reste  mal connue.
 Au théâtre, que peut-on faire cette histoire tragique dont s’est aussi emparée l’auteure et metteuse en scène australienne Wendy Beckett dont, nous dit la note d’intention : «Le savoir théorique est aussi grand que son talent de créatrice : ayant étudié la littérature, la psychologie et la science, elle enrichit ses pièces de théâtre de toutes ces connaissances. » (…) Depuis dix ans, elle crée, met en scène et produit ses propres pièces et la qualité de son travail a incité plusieurs artistes australiens éminents à collaborer avec elle.» (sic)
Quant à la chorégraphe Meryl Tankard, elle s’est forgé une brillante carrière internationale (…) Artiste principal du renommé Pina Bausch Wuppertal Danse Theatre, à son retour en Australie dans les années 80, elle a créé des œuvres inoubliables. » (sic) Quand on s’envoie de telles brassées de fleurs sur papier glacé en six pages, cela sent toujours le roussi, comme dit le vieux proverbe cantalien! Pour évoquer cette vie tragique, un texte assez plat-parfois à la limite de la caricature et fait de petites scènes dialoguées qui se succèdent laborieusement, mise en scène aussi plate et sans intérêt, modèles de sculptures vivantes avec trois danseurs nus (mais pas vraiment, embobinés de maillot couleur chair, sans doute par souci de pudeur) et qui prennent la pose … Tous aux abris! Pour donner vie à ce pas grand chose, il y a heureusement et d’abord une jeune actrice, Célia Catalifo, tout à fait crédible avec une belle présence et une excellente diction dans le rôle pas facile de Camille Claudel, Clovis Fouin qui joue avec rigueur le jeune Paul Claudel, Swan Demarsan très juste en Auguste Rodin, et Christine Gagnepain qui réussit à donner une consistance au rôle de la mère.
Malgré ces atouts, cela ne suffit pas, et on reste vraiment sur sa faim. Donc, vous l’aurez compris, au cas où vous seriez tenté, vous pouvez vous épargner sans dommage ce grand moment de théâtre… dont on se demande comment il a pu arriver au Théâtre de l’Athénée, même dans la petite salle. On vous le disait encore l’autre jour:le  spectacle contemporain français reste plein de mystères…

Philippe du Vignal

L’Athénée-Théâtre Louis Jouvet, Paris VIIIème, jusqu’au 24 mars.
Une partie du musée de Nogent-sur-Seine (Aube), inaugurée l’an passé, est consacrée à l’œuvre de Camille Claudel.

Etre là, texte et mise en scène de Vincent Ecrepont

 

Etre là, texte et mise en scène de Vincent Ecrepont

3DDD86A8-03A8-4CE0-9F57-09B023E6B670 Un constat : les termes personnes âgées et  troisième âge remplacent aujourd’hui le mot vieux ; ce sont souvent des actifs en bonne santé, consommateurs, et qui ont une vie associative, ou qui reprennent des études. Que faire, écrivait Louis Aragon, dans Les Voyageurs de l’impériale, du «sentiment encore de la vieillesse qui prend certains jours à la gorge, quand il fait beau, au milieu de la foule, et des manifestations de la force des autres, de leur immense travail qui nous survivra» ?

 Mais à partir de soixante-quinze/quatre-vingt ans,  les mots quatrième âge sont remplacée par ceux de  grand âge: maladies cardio-vasculaires, pulmonaires, ostéo-articulaires, neurologiques, Parkinson, démences séniles, Alzheimer, cancer de la prostate,  troubles urinaires et du sommeil…Hygiène, diététique, prévention et hospitalisation du sénescent s’installent donc peu à peu. La maladie, l’infirmité et la perte d’autonomie entraînent une dépendance et la solitude. Sont heureusement là: aide à domicile, hébergement en petites unités,  appartements d’accueil, maisons de retraite ou E.H.P.A.D. Mais les mots: dépendance, soins palliatifs… ne cachent pas les drames que provoque l’allongement de la vie humaine. Les  personnes très âgées dépendent alors de leurs proches… quand ils sont présents.

 Metteur en scène associé à la Comédie de Picardie, Vincent Ecrepont est aussi l’auteur de  cette  forme ludique sur la question du vieillissement. Véronic Joly, Céline Bellanger  et Sylvain Savard ont une présence pleine d’humanité, une écoute attentive et une gestuelle délicate. Au fil des séquences, face public, le sourire aux lèvres, ils  enlèvent une tenue sobre pour en mettre une autre,  et passent ainsi du personnage vieillissant, à son référent familial : époux, épouse, frère, sœur, fils, fille, ou hospitalier : infirmier, cadre de santé, aide-soignant…

 Avec une interprétation réaliste de ces personnes âgées et de l’aidant, face à l’aidé» Etre là s’inspire des témoignages recueillis durant trois ans au pôle gérontologie du Centre Hospitalier de Beauvais. Trois acteurs pour jouer des gens âgés en perte de mémoire et/ou d’autonomie, et leur référent familial et hospitalier: ils incarnent leur personnage puis arrêtent la scène-une dizaine en tout-pour commenter la situation qui vient d’être jouée, et la mettre à distance. Ils ajoutent aussi parfois quelques phrases personnelles concernant la vieillesse d’un des leurs. Un micro sur pied reçoit les confidences de chacun. Fiction ou réalité, les univers s’interpénètrent, comme leur mémoire devenue fragile, plus à l’aise dans un passé lointain que dans le présent. Traiter de ce thème presque tabou remporte ici un beau succès, grâce au jeu plein d’humilité et très juste des acteurs…

 Véronique Hotte

Maison de la Culture de Nevers, le 16 mars. Théâtre des Tisserands à Lille, le 22 mars. Comédie de Picardie, le 30 mars. Et en tournée à Beauquesne (Somme).
Savignies (Oise) le 12 avril.

Let me try d’après le Journal de Virginia Woolf, adaptation et mise en scène d’Isabelle Lafon

Let me try d’après le Journal (1915-1941) de Virginia Woolf, adaptation et mise en scène d’Isabelle Lafon

 37296939-A95A-448F-BE1B-A6B2CB8D77B1Elles sont trois, sur cette scène qui ressemble à un vaste grenier, chacune sur son tabouret, à trier les piles de papier  du Journal de Virginia Woolf. Tâche urgente : il s’agit de mettre au jour, avec l’excitation de l’archéologue, les milliers de pépites qu’il contient. Une goutte de pluie, de l’amour, une robe qui ne va pas bien, l’incertitude de l’écriture, la peur grandissante, mais écrite avec pudeur, que la folie prenne le pouvoir en elle : disciplinée, au rythme d’une demi-heure par jour après le thé, Virginia Woolf écrit son plus grand roman. Ou plutôt explore «avant qu’ils ne se transforment en œuvre d’art» les milliers d’instants, de sensations, de pensées qui peuplent sa vie, source jaillissante d’autant de romans possibles. Mais non ici, c’est autre chose: le flux de la vie même, physique, sociale, mentale, la sienne, celle des autres, irréductible à aucun roman.

Johanna Korthals, Marie Piemontese et Isabelle Lafon se partagent le texte. Elle se le disputent presque, avide, chacune à son tour, d’en découvrir les étincelles. Elles s’entraident pour restituer la chronologie ou récupérer un feuillet égaré et bouillonnent d’intensité et d’énergie,  avec une belle émulation : ce Journal, elles n’ont pas voulu qu’il soit dit à une seule voix, tant cela risquerait d’en réduire la vitalité et peut-être même d’en fermer quelques portes et fenêtres.

Isabelle Lafon a inscrit Virginia Woolf dans sa trilogie des Insoumises, avec d’abord: Anna Akhmatova puis Monique Wittig. Créée en 2016 (voir Le Théâtre du blog), cette pièce est plus que jamais d’actualité. La parole libre de Virginia Woolf résonne de façon toujours aussi vive et discrète à la fois. Suffragiste, et non « suffragette », terme pour le moins condescendant, elle n’en fait pas toute une histoire, puisque cela devrait aller de soi. Pour toutes les femmes, elle a revendiqué Une Chambre à soi, et pour tous, une écriture libre avec La Chambre de Jacob, par exemple. Avec Let me try, on pense à Samuel Beckett avec, dans Cap au pire, son: «essayer encore, rater encore, rater mieux ». Il faut aller voir cet essai, palpitant de vie, d’humour d’angoisse cachée. La critique abuse souvent de l’adjectif : jubilatoire : ici, il est à sa place.

Christine Friedel

Théâtre Gérard Philipe, Saint-Denis (Seine Saint-Denis) T./ 01 48 13 70 00, jusqu’au 25 mars.

 

The Prisoner, texte et mise en scène de Peter Brook et Marie-Hélène Estienne

 

Crédit photo : Simon Annand

Crédit photo : Simon Annand

 

The Prisoner, texte et mise en scène de Peter Brook et Marie-Hélène Estienne

 Un homme est assis, seul, devant une immense prison dans un paysage désertique. Sur le plateau nu, au sol comme laissé à l’abandon, et aux murs brunis et fissurés par le temps, révélés par les lumières de Philippe Vialatte, des branches sèches, par terre ou posées contre un mur. Un dénuement aussitôt identifiable à l’art de Peter Brook. Côté jardin, une porte qui mène dans le noir incertain et perdu des cellules de cette prison qui, à la fin,  sera détruite. Et un banc en bois, un sac, une écuelle, une boîte d’allumettes. Cette zone pauvre d’Afrique en proie à la sécheresse, marque la  fin du long cheminement personnel de ce prisonnier que guide son oncle.

Avant d’en arriver là, il aura dû passer par maints paysages dont la forêt vivante avec ses chants d’oiseaux et ses animaux. Mais maintenant éloigné des bois et de leurs feuillages, il ne pourra plus jamais la voir ni l’entendre! Il a en effet été arrêté puis jugé, et condamné à la prison pour avoir  plein de colère, tué son père qui couchait avec sa douce sœur… comme lui! En représailles, l’oncle de ce garçon, un sage, lui brisera les jambes et meurtrira à vie ce garçon maintenant emprisonné depuis des années. Mais  il sera secouru par ce même oncle qui demandera aux autorités d’alléger sa peine, en l’extrayant de sa cellule : libéré physiquement, il purgera alors une peine morale, plus lancinante et plus douloureuse

Mais de cette souffrance, il fait un avantage: il agrandit d’autant sa pensée intérieure  et consentira finalement à ce qui lui semblait intolérable. N’est-il pas coupable autant que son père, d’avoir aimé sa sœur qui a laissé son enfant né de ses amours incestueuses, à leur oncle, afin de pouvoir aller étudier à l’étranger ? Cette sœur, elle aussi, est venue rendre visite  à son frère mais refuse encore son amour. Un voisin qui habite près de la prison ira voir celui qui construit sa paix intérieure, et son oncle viendra aussi parler sagement avec son étrange neveu.

 Peter Brook a conçu une mise en scène à la fois sobre et admirablement éloquente  avec le jeu, à la fois intense et plein de réserve, d’Hiran Abeysekera, Ery Nzaramba, Sean O’Callaghan, Omar Silva et Kalieaswari Srinivasan, venus d’Afrique, du Sud de l’Inde, du Sri-Lanka, Belgique, et des Iles britanniques. Un spectacle envoûtant sur l’art de parler avec soi-même.

 Véronique Hotte

Théâtre des Bouffes du Nord, 37 bis boulevard de la Chapelle Paris Xème,  jusqu’au 24 mars. T. : 01 46 07 34 50

Des Roses et du Jasmin, texte et mise en scène d’Adel Hakim

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Des Roses et du jasmin, texte et mise en scène d’Adel Hakim avec le Théâtre National palestinien,  (en arabe, sur-titré en français)

 Nous avons revu avec plaisir et émotion cette saga familiale d’Adel Hakim disparu en août dernier, créée en 2015 à Jérusalem, puis présentée au Théâtre des Quartiers d’Ivry en 2017 (voir Le Théâtre du Blog).  Ce texte important  apporte une dimension humaine et  nous éclaire sur les sources du conflit israélo-palestinien. Le public réserve un accueil chaleureux soir après soir à ce spectacle, populaire sans être didactique. «La tragédie grecque m’a toujours servi de modèle dramaturgique, écrit l’auteur et metteur en scène. Elle met l’intime en rapport avec la société et le monde. La présence du chœur permet une relation directe avec le public». Le destin personnel de ses personnages est indissociable de la tragédie des peuples juif et palestinien qui se déchirent depuis la fin de la deuxième guerre mondiale. En trois épisodes : 1944-1948, 1964-1967, et 1988, la pièce présente une famille déchirée, de génération en génération, par ce trop long conflit.

Tout commence en 1944 quand le pays était encore sous mandat britannique, par une histoire d’amour entre Miriam, une jeune juive rescapée d’Allemagne nazie et un officier anglais mobilisé en Palestine. Leur fille, Léa, ne connaîtra pas son père, mort dans un attentat fomenté par l’Irgoun à l’hôtel King David. Le frère de Miriam avait entraîné sa sœur dans cette action terroriste. Un secret bien gardé qui sera dévoilé bien plus tard à Léa.  A  vingt ans, elle va tomber amoureuse d’un jeune Palestinien, Mohsen. La guerre des Six Jours éclate et leur fille Yasmine sera élevée par son père, à Gaza. Léa, privée de sa fille, donnera naissance à Rose, à l’insu de Mohsen qui apprendrasa paternité  vingt ans plus tard, lors du dénouement tragique de cette histoire mouvementée.
 En 1988, lors de la première intifada (guerre des pierres), les deux petites-filles de Miriam, Yasmine et Rose vont se retrouver face à face, sans savoir qu’elles sont sœurs ! Yasmine, militante de l’intifada est interrogée par Rose, soldate dans la prison israélienne où elle est détenue. Ces deux fleurs seront cueillies par la mort, mettant ainsi fin à la malédiction qui frappe la descendance de Miriam emportée dans le maelström de l’histoire.

 Pour présenter l’action, guider les spectateurs d’une époque à l’autre et replacer l’histoire  de cette famille dans la grande Histoire, Adel Hakim a imaginé un chœur grotesque, joué par deux clowns malicieux dans la première partie et par des entraîneuses un peu coquines dans la deuxième partie. Ces joyeux drilles apportent un brin de fantaisie et la respiration nécessaire, en connivence avec le public. Figures populaires à l’humour un peu forcé, ils deviendront les protagonistes des scènes suivantes… Plus émouvants, des fantômes font office de narrateurs après l’entracte : les grands pères de Yasmine et Rose, l’un anglais et l’autre palestinien, amis en ce bas monde, qui se sont retrouvés dans l’au-delà. Une parole d’outre-tombe, éloignée du bruit et de la fureur qui les ont emportés, eux et leurs petites-filles

 Les comédiens du Théâtre national palestinien, tous excellents, ont participé à l’élaboration du spectacle lors d’un atelier de recherche destiné à alimenter le texte de la pièce. Mais il ne s’agit pas d’une écriture collective, et ce texte, très structuré, est à la fois efficace et d’une grande tenue littéraire. Mais au cours de la création, les discussions ont parfois été houleuses, comme le relate l’écrivain Mohamed Kacimi, dans un Journal tenu pendant les répétitions, alors qu’il assurait la dramaturgie auprès d’Adel Hakim. «Certains se sont posé la question de savoir s’il fallait aborder la tragédie du peuple juif, pour parler du drame palestinien. Kamel El Basha {émouvant le rôle du père, puis du grand-père palestinien) avait tenu tête: « Je tiens à jouer cette pièce pour montrer à nos enfants que nos ennemis ne sont pas des monstres mais des être humains comme nous.» Le dénouement, imaginé lui par Adel Hakim, a aussi fait l’objet de longues discussions: «Les comédiens ont voulu, dit Mohamed Kacimi,  régler eux-mêmes  le sort de leurs personnages: comment faire mourir Rose, comment tuer Yasmine ? Hussam (Abou Eishesh remarquable en oncle sioniste pur et dur} a eu le mot de la fin : “On ne peut pas avoir d’issue heureuse. Nous sommes un peuple défait. Il faut jouer notre défaite sur scène.»

 Il faut souhaiter que les échanges entre la France et le Théâtre national palestinien se poursuivent après plusieurs spectacles présentés avec succès au Théâtre des Quartiers d’Ivry. En effet, la survie de cette troupe talentueuse dépend des seules aides internationales et de ses partenariats avec l’étranger. Basée à Jérusalem, elle ne peut en effet avoir de subventions de l’Autorité palestinienne et elle refuse de faire appel à l’Etat israélien, afin de préserver sa liberté de programmation…

 Mireille Davidovici

Théâtre des Quartiers d’Ivry, Manufacture des Oeillets, 1 place Pierre Gosnat, Ivry-sur-Seine (Val-de-Marne).  T. : 01 43 90 49 49, jusqu’au 16 mars.

Le 20 mars, les Treize Arches, Brive-la-Gaillarde (Corrèze) ; le 23 mars, Théâtre du Passage Neufchâtel (Suisse); le 27 mars, Théâtre du Vésinet (Yvelines) ; le 29 mars, Théâtre de Cachan (Val-de-Marne).
Le 5 avril, Théâtre du Parvis-Tarbes (Hautes-Pyrénées) ; les 13 et 14 avril, Théâtre Liberté, Toulon (Var), et le 21 avril, Théâtre national de Nice (Alpes-Maritimes)

 

 

Du Sable et des playmobil, création menée par Sarah Mouline

Du Sable et des Playmobil,  création menée par Sarah Mouline

©Virginie Ranjalahy

©Virginie Ranjalahy

La guerre d’Algérie, un thème quasi tabou pendant des décennies surtout au cinéma mais aussi au théâtre: tous les gouvernements de droite comme de gauche, ayant préféré esquiver la question. Au nom de l’ordre et de la sécurité publique… Alors que les premiers « évènements » comme on disait alors hypocritement, ont commencé dans ce qui était encore la France, il y a déjà plus de soixante ans! On a aussi, par exemple, longtemps passé sous silence le fait que François Mitterrand, alors garde des Sceaux en 56, avait été solidaire de l’envoi des premiers contingents de soldats appelés en Algérie et avait refusé la grâce de militants du F.L.N. qui furent guillotinés.. et que Maurice Papon, ex-préfet en Algérie puis de Paris en 1958, a été impliqué dans la répression sanglante de la manifestation du F.L.N.,  comme de celle organisée par le Parti Communiste au métro Charonne.

Vous avez dit censure ?  Il y a quand même eu depuis, des spectacles récents sur ce thème, comme entre autres, Revenir ! Quand parlent les cendres, créé et mis en scène, il y a trois ans par Barbara Bouley-Franchitti. Une jeune femme française dialogue avec l’urne funéraire de son père, lequel a subi un grave traumatisme quand il était revenu d’Algérie. Dans La Guerre de mon père, mise en scène par Judith Depaule en 2016, le père, cette fois, est encore en vie. Le spectacle participait d’une évocation de cette guerre, à partir d’entretiens filmés d’anciens appelés français, mais aussi de familles algériennes.
En novembre dernier, Palestro retrace le pire épisode de cette guerre sans nom, quand, en 1956, vingt soldats français tombèrent dans une embuscade dressée par des maquisards algériens. Avec, ensuite une terrible répression sur la population et des centaines de morts. Ce spectacle a été écrit par Aziz Chouaki, auteur algérien et mis en scène par Bruno Boulzaguet, metteur en scène français. Ils  ont voulu dans une sorte de documentaire-fiction, se libérer des nombreux tabous et non-dits familiaux.

Bref, on l’aura compris parler de la guerre d’Algérie, c’est aussi parler de la figure du père, voire du grand-père, et cela n’a rien de simple ni de facile. Sarah Mouline -curieusement la troisième metteuse en scène qui ait traité de ce thème- elle aussi, s’est interrogée: « Pourquoi ne peut-on pas parler de la guerre d’Algérie, de manière apaisée ? Qu’est-ce qui brûle encore? A quel endroit ? » Du Sable et des playmobil ne répond pas vraiment à cette question insoluble et évoque l’histoire d’une jeune femme qui, après la mort de son père, découvre dans des  cartons de papiers qui lui appartenaient, tout son discret passé militant en France du F.L.N.  (Front de Libération Nationale).  Un passé qui n’en finit pas de travailler les esprits, alors que la plupart des protagonistes de cette guerre d’Indépendance ont disparu. «Là où le juge n’a pas fait son travail, dit Pierre Vidal-Naquet, c’est à l’historien de le faire.  » comme le rappelle Sarah Mouline. Et on ajoutera: en partie aussi, aux gens de théâtre…
Il y eut il y a déjà plus d’un demi-siècle une -petite- mobilisation en France des étudiants et surtout des Algériens, le putsch des généraux Salan et autres, le poids de l’extrême droite avec l’O.A.S. à Alger, l’essor du mouvement  indépendantiste et ses répercussions sur toute la société française, avec l’arrivée massive des Pieds noirs dont beaucoup n’avaient jamais vu la métropole, puis la prise du pouvoir du général de Gaulle. qui proclama enfin l’indépendance de l’Algérie en 1961. Tout cela n’a rien de très joli et semble bien lointain aux enfants de 2018, comme à la plupart des adultes français mais qui appartient à l’histoire de  notre pays et mérite toujours une piqûre de rappel… Ce qu’a bien compris Sarah Mouline.

Reste à savoir comment aborder ce thème au théâtre. Sur le petit plateau, un mur de cartons d’emballage empilés -ce qui réduit encore le petit espace scénique!- sont écrits à la bombe : guerre, indépendance, etc. Deux jeunes femmes et deux jeunes hommes reprennent le cours de cette histoire tragique dont les conséquences sont encore là: « La France a envoyé ses jeunes faire la guerre et l’Algérie, ses jeunes construire la France. »  Mais on ne fait pas de théâtre avec de bonnes intentions. Et Sarah Mouline a  bien du mal, quand il lui faut articuler un texte assez faiblard avec une mise en scène sans doute trop vite conçue. Cette suite de petits moments dialogués, sans véritable dramaturgie ni fil rouge, nous a laissé sur notre faim. Et le spectacle se termine, plutôt qu’il ne finit vraiment. Le tout ressemble encore trop à un travail en cours. A suivre donc mais il faudra que Sarah Mouline revoie absolument texte, mise en scène et scénographie… Pas impossible mais il y a du travail….

Philippe du Vignal

Spectacle vu le 11 mars, au Théâtre de l’Opprimé, rue du Charolais, Paris (XII ème).

 

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