La Truite de Baptiste Amann, mise en scène de Rémy Barché
La Truite de Baptiste Amann, mise en scène de Rémy Barché
La pièce créée à la Comédie de Reims l’an passé, participe d’une banale histoire de famille, ou plutôt de l’histoire de la banalité d’une famille. C’est l’anniversaire du père, la mère prépare sa blanquette, lui « son » gâteau et leurs enfants sont là avec leurs conjoints et leurs bébés. Eh ! Oui, le temps a passé. Les parents essayent d’avoir une vie nouvelle en accord avec la retraite et vont donc ouvrir une boulangerie bio… Un grain de sable va révéler les tensions cachées: La truite! Suzanne devenue en effet «lacto-pesco-végétarienne», ne mange pas de viande… Ça n’a l’air de rien mais cette révélation va ébranler tout le système familial. À la mère, revient en pleine figure qu’elle n’est qu’une mère: et la femme, et elle-même, où est-elle ? Aux sœurs, les rivalités d’enfance. Dans les couples, l’amour fait de détestation du conjoint pour toutes sortes d’agacements quotidiens mais l’amour quand même. Et le père ? Ce jour-là ( encore un fois l’unité de temps de la tragédie classique a ses raisons d’être) il doit annoncer à sa famille qu’il va mourir, mais personne n’est en état de l’écouter, jusqu’au moment où…
La Truite débute comme une comédie puis tout un feuilletage de vérités vient enrichir et modifier le regard qu’on peut porter sur chacun, défaire et refaire la construction des différents personnages. Dialogues, apartés, monologues intérieurs, adresses au public, poésie, réflexions… Donc une pièce faite pour Suzanne Aubert, Marion Barché, Christine Brücher, Daniel Delabesse, Julien Masson, Thalia Otmanetelba, Samuel Réhault et Blanche Ripoche. Ils en sont aussi les coauteurs, par ce qu’ils ont prêté chacun d’eux-mêmes. Baptiste Amann, dont on a vu Nous sifflerons la Marseillaise et Des territoires (…D’une prison l’autre…), dit qu’avec La Truite, il a voulu «parler de ceux qu’on ne remarque pas, à qui on ne s’intéresse pas. (…) Tout simplement par omission, par manque d’intérêt». En cela, il est le successeur de Jean-Luc Lagarce avec des pièces comme Le Pays lointain.
Mais ici se révèle davantage, avec cette truite incongrue, à quel point une famille de la classe moyenne fonctionne comme un microcosme de la société avec ses conflits. Et il y a place ici pour toutes les conditions sociales: artistes, analyste financier, «commercial», « femme au foyer ». Et il y a ici toutes les réussites qui ne tiennent pas, devant le retour des frustrations d’enfance. Cela ne fait en rien de la pièce, une romance, et la question n’est pas d’être ou ne pas être», mais d’être aimé, et même préféré. Ce qui ferait plutôt de La Truite, un riche roman familial et social.
Déclaration d’amour à ce spectacle, donc. À ses comédiens et à la mise en scène directe de Rémy Barché. Avec une réserve: la deuxième partie s’étire. Avec un discours… qui ne nous est pas adressé. Mais on entend la voix de Daniel Delabesse et elle se laisse écouter.
Cela se passe à Théâtre Ouvert, Centre National des Dramaturgies Contemporaine qui doit quitter la cité Véron, cette impasse où plane le souvenir de Jacques Prévert et de Boris Vian. Le Moulin Rouge, propriétaire de cette salle, ne veut pas renouveler son bail. Le ministère de la Culture va donc reloger Théâtre Ouvert dans un bâtiment appartenant à l’État, avenue Gambetta à Paris (XX ème), ancien Théâtre de l’Est Parisien dirigé par Guy Rétoré, puis par Catherine Anne. Il abrite aujourd’hui Le Tarmac-Scène consacrée à la francophonie. La mission de Théâtre Ouvert a été de faire connaître et mettre en valeur les écritures francophones et il continuera. Mais enfin… un seul théâtre en remplace deux : une situation toujours problématique! À Théâtre Ouvert de relever le défi.
Christine Friedel
Jusqu’au 14 avril, Théâtre Ouvert, Cité Véron, Paris (XVIII ème). T. : 01 42 55 55 50.