Faust de Goethe, adaptation, magie et mise en scène de Valentine Losseau et Raphaël Navarro
Faust de Goethe, adaptation, magie et mise en scène de Valentine Losseau et Raphaël Navarro
Il fallait la masse d’ennui et de lassitude chez un savant qui a tout lu, tout vu, étouffé par les livres et la vanité de son propre savoir, pour qu’une fissure se creuse et qu’un tout petit désir naisse et grandisse : et s’il existait autre chose que la science, la gloire, et une vertu abstraite ? Un désir de vie, par exemple ? Par la brèche ainsi ouverte, entre ainsi Méphisto. L’oblique, celui que, plus tard, Henrik Ibsen appellera « le grand courbe », n’a d’autre puissance que celle qu’on lui accorde. Aux désirs sans objet, il donne l’illusion d’une consistance. En échange de son âme-peu de chose-, ce qu’il offre à Faust ne serait pas grand-chose non plus, un peu de débauche dans un cabaret, les mirages d’un sabbat chez les sorcières, s’il n’y avait l’amour pour Marguerite et la tragédie qu’il entraîne.
Entre la magie du théâtre et le théâtre de la magie, Eric Ruf, son administrateur Général, a voulu que la Comédie-Française franchisse le pas. Il a invité les artistes les plus savants (où l’on voit qu’être savant n’éteint pas nécessairement le désir), les plus profonds dans ce qu’on appelle la magie nouvelle : « une vision artistique nourrie d’anthropologie et de magie ». Valentine Losseau et Raphaël Navarro parcourent les festivals du monde entier explorant diverses magies, et sont artistes associés à l’ENSATT (École Nationale Supérieure des Arts et Techniques du Théâtre, à Lyon), et auteurs associés au Théâtre du Rond-point à Paris il s’agit donc d’une affaire sérieuse.
Et leur sérieux, c’est ici la légèreté. Sous nos yeux, Méphisto lévite un peu, cabriole en apesanteur, sans insister, reçoit la décharge électrique d’un symbole religieux. L’âme de Faust s’évapore à vue, les sorcières de la nuit de Walpurgis dansent et disparaissent, les diablotins trottinent sur la scène, Marguerite apparaît à travers un miroir… La mise en scène recourt à tout un éventail de trucages avec images projetées, hologrammes sans doute, allez savoir! Marionnettes et manipulations : la virtuosité, d’autant plus étonnante que pudique, mène tout droit à la poésie. Véronique Vella, Laurent Natrella, Christian Hecq, Eliott Janicot, Benjamin Lavernhe, Anna Cervinka, Yoann Gasiorowski, et aussi Marco Bataille-Testu et Thierry Desvignes, ont tous passé avec leurs metteurs en scène le pacte du secret des magiciens. Dès lors, ils entrent dans un tout autre rapport au public. Il ne s’agit plus d’être raisonnablement crédible, mais d’entraîner le spectateur dans une féerie.
Ce Faust réinvente un genre théâtral qui avait disparu, absorbé par les effets spéciaux du cinéma. De tableau en tableau-c’est le fonctionnement de la féérie-le décor d’Eric Ruf et Vincent Wüthrich se transforme, riche de ces objets malicieux qui détournent l’attention et permettent le tour de magie, ou d’images en couleur et en volume de fantômes de bonne volonté. L’intrusion, parfois, d’un personnage jouant le directeur de théâtre fait un autre clin d’œil au théâtre de foire.
Et l’on sourit, une fois de plus, à ce spectacle plein d’humour, avec, entre autres, Dieu en jeune sportif, face au vieux Méphisto, et toute la Comédie-Française en effigie mouvante. Les charmes opèrent : et si tout se passait dans le cabinet du docteur Faust ? S’il avait tout rêvé ? Pour nous, la fantasmagorie n’efface pas la tragédie : le cachot de Marguerite reste triste et nu, et le jeune dieu négligent de la première scène censé la racheter, n’arrive pas. Mais, avouons-le, le triste sort de la jeune fille séduite et abandonnée s’embrume, et nous restons attachés à la féérie…
Le spectacle affiche complet jusqu’à la fin, le 6 mai ! On peut espérer qu’il y ait une reprise…
Christine Friedel
Comédie Française-Théâtre du Vieux Colombier, 21 rue du Vieux-Colombier, Paris VIème T. : 01 44 39 87 00/01