Le Fils de Jon Fosse, traduction de Terje Sinding, mise en scène d’Etienne Pommeret
Le Fils de Jon Fosse, traduction de Terje Sinding, mise en scène d’Etienne Pommeret
La dureté s’impose aussitôt. Obscurité ou manque de lumière, solitude de ceux qui restent quand tous les autres s’en vont de ce hameau. Des propos anodins mais éprouvés à l’extrême par un père et une mère qui, au seuil de l’hiver dans un pays nordique, sont rivés à leur fenêtre, seule ouverture au monde, attendant le passage du bus du soir…Le seul moment de vie sociale qui leur soit offert dans les environs!
Scénographie soignée de Jean-Pierre Larroche : côté jardin une route sinueuse, tel les rails de train d’une jolie maquette où la route semble grimper vers le lointain, bordée de petites maisons, éclairées ou non dans la nuit. «Et on dirait que c’est de plus en plus sombre d’année en année. Il n’y a plus de lumière nulle part. Il y a tant de maisons vides maintenant. Autrefois, il y avait de la lumière dans toutes les maisons. Alors que maintenant…» constate le père (Sharif Andoura) qui se réfugie souvent près de la fenêtre-suivi par la mère à la belle sagesse intérieure (Sophie Rodrigues) qui amenuise toujours la gravité des propos de son mari.
Tous deux aspirés par le paysage de la route, avec un regard qui leur est propre, entre plaisir, émotion et méditation. Sobre tristesse et solitude des cœurs, dans une région économiquement fragile et face à l’hostilité du monde extérieur où l’hiver est le temps du repli sur soi mais aussi métaphore de la mort. Dans une nature sombre et froide, tous les encombrements de la vie sociale disparaissent et l’être reste face à lui-même et à sa prochaine disparition. Un thème fréquent chez cet auteur norvégien de cinquante-huit ans, maintenant bien connu dans toute l’Europe et au-delà, et dont Etienne Pommeret avait déjà monté à l’Echangeur Dors mon Petit enfant et Kant. Jacques Lassalle avait, lui, mis en scène Matin et soir et Patrice Chéreau, Je suis le vent…(voir Le Théâtre du Blog).
Très attendus sont les jours où la lumière revient progressivement. Mais les vieux meurent : une règle du temps, et les jeunes, privés d’avenir, partent. Les parents n’ont guère de nouvelles de leur fils, sinon par un seul et proche voisin, un veuf alcoolique qui leur a appris sans plaisir, l’emprisonnement du jeune homme, musicien dans un groupe rock. Mais, ce soir-là, le bus laisse descendre à l’arrêt près de leur fenêtre, ce voisin dont on savait qu’il était parti en ville et… ce fils qu’ils n’attendaient pas. Dans le salon, près de la cuisine attenante, le jeune homme (Karim Marmet) reste près de passions qu’il ne partage pas avec ses parents qui ne sauront jamais s’il est allé en prison ou non.
Le voisin, bavard, hâbleur et malicieux (Etienne Pommeret) surgit malgré des difficultés à respirer. Ici, pas de règlements de compte mais une impossibilité toujours de communiquer entre les êtres, de se comprendre par-delà les générations et les choix de vie. Et pourtant, l’attente du renouveau n’en apparaît pas moins: «Oui, il fait noir et froid en ce moment, dit le père, j’ai hâte que ce soit le printemps, qu’on puisse sortir le bateau, aller à la pêche. Que les journées soient plus longues. On se sent mieux, quand les journées sont plus longues».
La prose poétique de Jon Fosse, à la fois, sobre et ouvragée avec des mots forts, est scandée de répétitions et variations à l’infini. Toujours sur le point de se révéler, la lumière, celle des maisons et des voitures, celle de l’âme aussi ne diffuse plus sa tristesse mais, au-delà des songes et des illusions perdues, répand son éclat. Un spectacle poétique sur le temps et la vie qui passent…
Véronique Hotte
Théâtre de L’Echangeur, 59 avenue du Général de Gaulle, Bagnolet (Seine-Saint-Denis), jusqu’au 13 avril. T. : 01 43 62 71 20.
Le texte est publié l’Arche éditeur.