Le Méridien d’après Le Méridien de Paul Celan, mise en scène d’Eric Didry

©Jean-Louis Fernandez

©Jean-Louis Fernandez

Le Méridien, d’après Le Méridien de Paul Celan, traduction de Jean Launay, adaptation de Nicolas Bouchaud, mise en scène d’Eric Didry

Après La Loi du marcheur, d’après les entretiens avec Serge Daney, puis Un Métier idéal, d’après John Berger et le photographe Jean Mohr, Nicolas Bouchaud a adapté pour la scène le magnifique discours prononcé en 1960 par Paul Celan (1920-1970), quand lui a été remis le prix Georg Büchner, en Allemagne.

Le poète juif -né Paul Antschel en 1930 à Cernaüti, en Roumanie à l’époque et aujourd’hui en Ukraine- a choisi d’écrire  en allemand, la langue de ses parents… et de ses bourreaux. Son père et sa mère ont disparu dans les camps nazis, et lui, interné, a côtoyé la mort en Roumanie, son pays. Installé après la guerre à Vienne, il viendra à Paris en 1948, et exercera la fonction de lecteur d’allemand et de traducteur à Normal’ Sup. Paul Celan se jettera dans la Seine en 1970, laissant une œuvre d’une sombre et lumineuse beauté et d’une inquiétante étrangeté. On redécouvre avec émotion dans ce spectacle, le célèbre et bouleversant Todesfüge (Fugue de Mort) et Strette, entre autres poèmes.

Nicolas Bouchaud saisit le Méridien à bras le corps et met bien en valeur l’oralité de ce discours : «Que fais-je là devant vous?» s’interroge-t-il en même temps que Paul Celan. S’appuyant  sur l’œuvre de Georg Büchner pour réfléchir à sa propre pratique de la poésie,  il lui oppose la notion d’art, «avec un accent circonflexe». Le dramaturge allemand s’en prend en effet à l’art officiel: «Tout ceci n’est qu’artifice et mécanique, carton-pâte et horlogerie », dit Valério dans Léonce et Léna. Paul Celan cite aussi la nouvelle restée inachevée, Lenz (1834). Jakob Lenz, le personnage central, arrive le 20 janvier 1778 chez le pasteur Oberlin à la tombée de la nuit, après une traversée à pied de la montagne. « Simplement, il lui était parfois désagréable de ne pouvoir marcher sur la tête», écrit Georg Büchner, à propos de ce cheminement dans les Vosges, et Paul Celan surenchérit : « Celui qui marche sur la tête, a le ciel en abîme sous lui ! ».  Et conçoit ainsi la poésie : « une renverse du souffle ( …) Le poème vient par les chemins du souffle »

Une image de montagnes sous un ciel tourmenté, occupe le fond du plateau  et, au sol, Nicolas Bouchaud dessine à la craie blanche sur le sol noir, les espaces des œuvres de Georg Büchner : un échafaud pour La Mort de Danton, la table du pasteur Oberlin pour Lenz…  Et après qu’une pluie de poussière de craie aura recouvert l’espace, il y inscrit des dates, cette fois en noir sur le sol blanc. S’établit ainsi une topographie et une chronologie visuelles renvoyant à l’architecture complexe de ce discours où le poète opère une mise en abyme des œuvres de Georg Büchner et d’autres écrivains comme Blaise Pascal, Gustav Landauer… Il mène aussi une réflexion sur le temps et la mémoire : «Tout poème, dit-il, garde inscrit en lui son « 20 janvier ».» : allusion au voyage de Lenz mais aussi au 20 janvier 1942 , tenue de la conférence de Wannsee, où sera décidée par Hitler et ses sbires la «solution finale» !

Ces dates, mémorial de la violence qui active la plume de Paul Celan, s’affichent sur le plateau. Pour l’écrivain, le méridien, ligne fictive qui relie d’un pôle à l’autre, des lieux du globe, met aussi en relation tous les événements traumatiques inscrits dans sa chair et plus largement la longue suite meurtrière qui traverse l’Histoire, et dont il se fait le témoin. Réponse scénographique au temps et à l’espace cadastrés: une grande carte d’Europe vient remplacer le paysage montagnard… Mais il constate dans les dernières lignes de son discours: « Ces lieux n’existent plus sur la carte ».

Nicolas Bouchaud intègre ici un ultime poème: Toi aussi parle. Sans pathos, et avec sobriété, il nous fait entendre ce fameux «tournant du souffle», source d’écriture pour Paul Celan: «Regarde alentour, /vois comment ce qui t’entoure, devient vivant/Par la mort ! Vivant !/ Celui dit vrai, qui parle d’ombre. / Mais voici que s’étiole l’endroit où tu es …»

 Après nous avoir tenu en haleine pendant une heure dix, le comédien va serrer la main des spectateurs, pour partager physiquement cette belle leçon de poésie et de théâtre : «Je ne vois pas de différence, concluait Paul Celan dans Le Méridien,  entre la poésie et une poignée de main. » Car, tout comme ce spectacle, «le poème veut aller vers un autre» en «laissant parler son temps ».

Un grand merci à Nicolas Bouchaud et Eric Didry.

Mireille Davidovici

Théâtre du Rond-Point, 2 bis Avenue Franklin D. Roosevelt, Paris VIIIème. T. : 01 44 95 98 21 Jusqu’au 14 avril.

Le Méridien est publié aux éditions du Seuil.

 

 

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