Roméo Castellucci : à propos de Sul concetto di volto nel Figlio di Dio

 

Roméo Castellucci : à propos de Sul concetto di volto nel Figlio di Dio 

Les 10 et 11 avril, la scène finale des  représentations de Sul concetto di volto nel Figlio di Dio  où des enfants jettent des grenades sur le Portrait du Christ d’Antonello di Messina a dû être supprimée en effet le spectacle  programmé par Les Quinconces-L’Espal au Mans, a en effet été censuré  par le préfet de  la Sarthe-fait rarissime en France et le public n’aura donc pas pu voir vu l’intégralité de la pièce. Ce qui est grave, quoi qu’on pense du spectacle…

Décidément l’histoire bégaie ! Il y a presque sept ans, Jean Couturier  avait dans ces colonnes,  fait le compte-rendu de ce même spectacle lequel, on s’en souvient, avait provoqué de lamentables réactions de milieux intégristes. Emmanuel Demarcy-Motta, directeur du Théâtre de la Ville à Paris, avait su garder son sang-froid et avait fait le maximum pour que ce metteur en scène étranger puisse quand même voir son spectacle joué en France, dans des conditions normales d’exploitation. Et l’on ne pouvait que l’en remercier.

Mais déjà à l’époque, de tels faits montraient que l’intolérance  politique et religieuse concernant, entre autres, un spectacle vivant, tendait à gagner du terrain. «Je veux pardonner, disait Roméo Castellucci, à ceux qui ont essayé par la violence d’empêcher le public d’avoir accès au Théâtre de la Ville à Paris. Je leur pardonne, car ils ne savent pas ce qu’ils font. Ils n’ont jamais vu le spectacle; ils ne savent pas qu’il est spirituel et christique, c’est-à-dire porteur de l’image du Christ. Je ne cherche pas de raccourcis et je déteste la provocation. Pour cette raison, je ne peux accepter la caricature et l’effrayante simplification effectuées par ces personnes. (…) En même temps-et je dois le dire avec clarté-il est complètement faux qu’on salisse le visage du Christ avec les excréments dans le spectacle. Ceux qui ont assisté à la représentation ont pu voir la coulée finale d’un voile d’encre noire, descendant sur le tableau, tel un suaire nocturne.

Il y a quelques jours, suite à des plaintes venant sans doute de milieux intégristes locaux, un avis défavorable a été émis par la Direction départementale de la cohésion sociale, et le préfet de la Sarthe s’est donc empressé de refuser la participation d’enfants à la scène finale du spectacle.  François Berreur, directeur des éditions des Solitaires Intempestifs qui en ont publié le texte, a interpellé la Ministre de la Culture: «Est-ce une nouvelle forme de censure républicaine? Ce préfet a-t-il appliqué des consignes de la Présidence? Peut-être souhaitez-vous aussi relire les écrits de Romeo Castellucci pour vérifier s’ils ne menacent pas notre jeunesse?» François Berreur a parfaitement raison, et sauf erreur de notre part, Madame Nyssen n’a pas encore cru bon de s’exprimer…

 

Chers spectateurs du Mans,

Je ne vous montrerai pas ce soir la pièce  Sur le concept du visage du fils de Dieu dans son intégralité. Il y manquera une scène importante dans laquelle interviennent des enfants. Suite à l’avis défavorable émis par la Direction départementale de la cohésion sociale, le Préfet de la Sarthe a refusé la participation des enfants à l’une des scènes de la pièce à laquelle vous allez assister ce soir. Il s’agit d’une séquence d’environ douze minutes, pendant laquelle un groupe d’enfants entre en scène avec des sacs à dos et vide leur contenu composé de jouets en forme de grenade, tout comme le garçon dans la photo de Diane Arbus qui a inspiré cette scène. Ils lancent ces fausses grenades sur le grand portrait du Salvator Mundi d’Antonello de Messine au fond de la scène. Il s’agit d’un passage complexe dont je ne peux que synthétiser le sens : c’est une forme de prière, un geste porté par l’innocence de l’enfance qui symbolise ici l’humanité entière, un geste qui fait référence à la passion du Christ. Pour monter cette scène, dans chaque ville nous organisons régulièrement des rencontres préparatoires avec les enfants, afin de leur faire comprendre «l’homéopathie» de ce geste violent qui appelle des sentiments inverses.

Depuis la première représentation de ce spectacle en 2010, ces rencontres sont  conduites avec beaucoup de soin et délicatesse par mon assistant Silvano Voltolina qui a une longue expérience dans la pédagogie théâtrale, spécifiquement auprès des enfants. Ce moment est l’un des aspects les plus riches et les plus beaux de ce travail : s’offrir le temps de discuter d’enjeux importants avec les enfants, écouter enfin leur voix, critiquer la violence par l’usage paradoxal de sa fiction et partager avec eux un discours sur l’art, la culture et la fragilité humaine. Parler d’éthique, finalement. Je ne partage donc pas du tout les raisons invoquées par la Direction départementale, raisons qui parlent de défense de la moralité et mise en danger de la santé des enfants.

La moralité ici évoquée est un mot vidé de son sens, un stéréotype douloureux et déplacé, qui ne surgit pas de la conscience profonde de l’individu mais plutôt d’une anesthésie de la conscience individuelle. La moralité évoquée ici est ce qu’on appelle le sens commun : une caricature de la véritable éthique, une offense à l’intelligence critique des adultes et des enfants. L’art est une éthique contenue dans une esthétique et cela n’a rien à voir avec le moralisme. La Préfecture a certes le devoir d’œuvrer pour le bien de la société et de la préserver des dangers mais, dans le cas présent, ce type de réponse me semble mieux convenir à un régime théocratique qu’à une république fondée sur la liberté d’expression. Cependant, je suis contraint d’accepter la décision de la Direction départementale et après un premier moment de consternation et d’incrédulité, j’ai pris la décision, avec ma compagnie, de jouer quand même le spectacle dans une version amputée de la scène en question. Je tiens beaucoup à m’en excuser auprès des enfants, de leurs parents et de vous-mêmes, chers spectateurs, car vous êtes venus ici ce soir en vous attendant à voir le spectacle dans son intégralité. Merci de votre compréhension, merci de votre attention.

Romeo Castellucci

 Rappelons-gentiment-au préfet de la Sarthe, qu’en 1968, un de ses collègues, alors préfet du Gard, avait cru bon d’interdire à Villeneuve-lès-Avignon, un spectacle d’un jeune metteur en scène Gérard Gélas, La Paillasse aux seins nus. Mais pas de chance, et mal lui en avait pris! En effet la célèbre troupe du Living Theatre dirigé par Julian Beck et Judith Malina avait protesté contre cette mesure idiote… et cela avait vite mis le feu aux poudres du festival d’Avignon! Le Mans n’est pas Avignon et comparaison n’est pas raison, comme disaient nos grand-mères. Mais on aimerait bien savoir ce qui a motivé pareille connerie et qui, finalement, a pris la décision. « Le lien entre l’Église et l’État s’est abîmé, il nous incombe de le réparer“, a bizarrement dit Emmanuel Macron ce lundi devant la Conférence des évêques. Les paris sont ouverts: vous pouvez nous écrire…

Philippe du Vignal

 

 


Archive pour 13 avril, 2018

Trois Ruptures de Rémi de Voos, mise en scène d’Ivan Herbez et Eurydice El-Etr

Trois Ruptures de Rémi de Voos, mise en scène d’Ivan Herbez et Eurydice El-Etr

 safe_image.phpL’auteur est maintenant bien connu (voir Le Théâtre du blog) notamment avec ces trois pièces très courtes sur le thème de la rupture amoureuse. Jouées par  deux  acteurs qui en sont sont ici les metteurs en scène. D’abord, un dîner où le jeune couple est à table. Lui  dans l’admiration béate de ce qu’elle lui a préparé : «Une expérience gustative absolue. Un avant-goût du paradis.» Les phrases qu’ils échangent sont au degré zéro de l’amour, voire de la simple affection, et les silences deviennent de plus en plus insupportables. En fait, le ver est déjà dans le fruit et, même s’ils vivent encore ensemble, ils n’ont plus grand-chose à se dire. Et tout d’un coup, elle lui annonce la couleur : «Je te quitte». Lui refuse. Feu d’artifices de violentes insultes, à un rythme soutenu. Le texte léger comme une bulle de savon est plutôt bien joué, avec un avantage certain à Eurydice El-Etr qui a une belle gestuelle; Ivan Herbez a un jeu parfois un peu convenu.

La seconde rupture est celle qui survient entre une femme et un homme tout d’un coup ! Mais cette fois, c’est lui qui la quitte pour vivre avec un pompier. Dialogue surréaliste et absurde où le verbe quitter est décliné une trentaine de fois sur fond d’accusations insidieuses de part et d’autre… Comme dans une sorte d’exorcisme quand tout, d’un ancien amour, se met à basculer, s’en va à la dérive…. Et la troisième enfin : sans doute la plus consistante de ces trois piécettes. Ici, un père et une mère tyrannisés par leur enfant de cinq ans, n’en peuvent plus et vont décider de se séparer pour essayer de se sauver chacun de leur côté au lieu de sombrer à deux dans la folie.  Rémi de Voos là aussi analyse cette mort sans doute programmée de l’amour dans un couple, avec en fond de sauce, l’impossibilité pour chacun de conserver la même identité quand le Temps en sape les fondations. « Un amour véritable, dit Alain Badiou dans son Eloge de l’amour, est celui qui triomphe durablement, parfois durement, des obstacles que l’espace, le monde et le temps lui proposent. »

Du dîner d’anthologie, prétexte à une violente rupture, à la scène de jalousie sur fond d’amour homosexuel, puis au cauchemar subi par des parents quand la cause en est leur enfant, résultat concret de leurs amours, le couple ici a quelque chose de maudit. Dès le départ, on sait que, mariage, PACS, concubinage notoire ou pas, liaison durable ou pas, les choses vont, un jour ou l’autre, mal tourner. Constat amer de Rémi de Voos : la mort d’un amour fait toujours au moins deux victimes. Ces petits textes -inégaux- se laissent entendre.
Côté mise en scène, c’est un peu juste et pas très bien dirigé. Ivan Herbez et Eurydice El-Etr auraient pu ainsi nous épargner ces petites courses dans la salle aussi sottes que grenues, et ces intermèdes dansés qui n’apportent rien et cassent le rythme. Le public rit souvent des malheurs de ce couple qui, bien sûr, n’arrivent qu’aux autres et semble y trouver son compte. Désolé mais quelque soixante minutes après, on reste un peu sur sa faim…

 Philippe du Vignal

Le spectacle s’est joué du 26 mars au 2 avril, au Théâtre de Belleville, 94 rue du Faubourg du Temple, Paris (XI ème). T : 01 48 06 72 34.

Sphincterography-La politique du trou du cul de Steven Cohen

 

Sphincterography-La Politique du trou du cul, performance de Steven Cohen, avec la complicité d’Agathe Berman

©Valerie le Guen

©Valerie le Guen

Artiste et performeur, juif gay né en Afrique du Sud, l’auteur vit maintenant en France. Il interroge ses performances filmées que l’on nous projette, dans un township en destruction, dans un concours canin à Johannesburg… Il répond aux questions du public aidé par Agathe Berman. Sa tenue drag queen et les vidéos diffèrent chaque soir. Il entre,  hérissé d’antennes sur son crâne chauve, maquillé en clown étincelant, chaussé d’invraisemblables cothurnes, long sexe dressé… En fond de scène, des robes étonnantes sur des mannequins. «C‘est intéressant d’avoir les pieds contraints, mais avec les mains, c’est plus difficile!»

Il ironise sur la durée du spectacle: «Je travaille seulement avec mon propre corps. » On voit six minutes de projection: face à une vieille femme noire aux seins nus, en tutu, il a le sexe à l’air, étrangement costumé. « Le film est reçu différemment en Europe,  par rapport à l’Afrique du Sud. Il n’y a pas de contrat avec le public, c’est excitant. Je suis attaché depuis l’enfance, je déteste être touché. Mais être touché par l’amour d’une mère est une bénédiction. Vous voyez le monde tel que vous êtes!»
On voit aussi un film de 1998 sur ses débuts, quand il vient de découvrir les Drag Queen en Afrique du Sud. Tout y est politique. « Avoir une caméra là-bas, c’est dangereux!» Ou dans un concours de miss à Durban, pendant un concours hippique : «Je suis intéressé par l’inconfort dans la vie. Je suis la personne la plus ennuyeuse du monde. J’ai peur de ce que je fais; après trente ans, je commence à manquer d’énergie. J’ai quitté l’Afrique du Sud à trente-neuf ans. »
Dans un film au Japon en 2016, deux paires de jambes sans corps s’agitent. «Ce travail le plus simple, c’est en l’honneur de mon frère qui s’est suicidé et qui a demandé à être incinéré. » (… ) J »e suis coupable de l’apartheid pour toute personne blanche ! »  (…) « Je me sers de toutes les parties de mon corps et dans tous les sens que je veux !»
On voit un extrait de L’Abattoir, un  film de 2016. «Quand mon compagnon a perdu tout son sang dans une baignoire. j’ai du nettoyer. Que cette soirée soit dédiée à l’amour!»
 Cette invraisemblable performance se regarde avec plaisir.

Edith Rappoport

Théâtre du Rond-Point, 2 bis avenue Franklin D. Roosevelt, Paris VIII ème T. : l 01 44 95 98 21,   jusqu’au 15 avril.

 

 

Radical Light, chorégraphie de Salva Sanchis

Radical Light, chorégraphie de Salva Sanchis

radicallightL’artiste espagnol, diplômé de la première promotion de la fameuse école de danse blege, P.A.R.T.S, a travaillé dès 2002 pour la compagnie Rosas d’Anne Teresa de Keersmaeker, d’abord comme danseur, puis comme chorégraphe. Il cosigne avec elle  A Love Supreme une pièce magistrale d’après la partition de John Coltrane (voir Le Théâtre du Blog), et a rejoint en 2010 la compagnie flamande Kunst/Werk, dont il partage aujourd’hui la direction .

Dans ce spectacle imaginé en dialogue avec Discodesfinado, une musique disco de Joris Vermeiren et Senjan Jansen, il se plait à croiser une grammaire  chorégraphique contemporaine avec une gestuelle moins contrainte. «Dans le mot danse, au moins deux sens m’intéressent, dit-il. Le premier fait référence aux mouvements que nous utilisons spontanément quand on danse dans une discothèque, le second fait référence à la danse actuelle, quand les mouvements sont construits selon les lois intrinsèques comme le phrasé, l’architecture.  »

Sur une piste de danse, carré orange sur fond noir, les sons pulsés, monotones, entraînent quatre hommes et une femme dans  un mouvement perpétuel. Au départ, on croirait des exercices d’échauffement. Puis chaque interprète, de noir vêtu, développe son propre phrasé, s’exhibant en pleine lumière sur le tapis, ou en dehors, dans l’ombre du plateau nu. Sauts, grands gestes de bras, accroupissements à la fois toniques et légers. Une ligne plus mélodique se développe, rythmée par des percussions, quand les lumières changent et la danse s’affirme. Quelques duos ou trios s’esquissent, éphémères, au sein de figures de groupe de plus en plus rapides. Le son techno monte en puissance et a raison de ce bel ensemble pour susciter des battles, d’un style plus contemporain que hip hop, malgré  un tempo saccadé. Comme la musique, déployée crescendo et en continu, la danse prend de l’ampleur, se libère et ne cesse de s’accélérer. Parfois un danseur se fige, ou se met hors jeu, le temps de récupérer et de rejoindre le groupe : arrêt sur image au milieu du flux permanent.

Sur le plateau et parmi les interprètes, Salva Sanchis orchestre une heure de danse intense fondée sur la musique, avec des variations rigoureuses qui libèrent le mouvement, tout en le contenant, Radical Light conjugue vitalité, et fluidité : les corps sont à l’œuvre, puissants mais harmonieux. Pour le plus grand plaisir du public qui salue chaleureusement cette belle performance.

Mireille Davidovici

Théâtre de la Bastille 76 rue de la Roquette Paris XI ème T. 01 43 57 42 14, jusqu’au 15 avril dans le cadre d’un partenariat avec le Centre de développement chorégraphique national.

Entrée libre, l’Odéon est ouvert, atelier dirigé par Julie Bertin et Jade Herbulot

Entrée libre, l’Odéon est ouvert écriture collective, atelier de travail de troisième année du Conservatoire National, dirigé par Julie Bertin et Jade Herbulot

 le_birgit_ensemble-compBonne idée de commémorer théâtralement les cinquante ans de mai 1968 en mettant en scène l’occupation du Théâtre de l’Odéon. Deux jours après la grève générale, le soir du 15 mai,  il est pris d’assaut par un Comité d’Action révolutionnaire et pendant un mois, étudiants, artistes, travailleurs de tout bord ouvriront une tribune permanente dans les murs de ce vieux théâtre.

Ça cause, ça chante, ça flirte, ça organise des comités en tous genres : gestion, éducation sexuelle, sports et loisirs, théâtre de rue  et un indispensable service d’ordre , dirigé par un policier en grève. La jeunesse s’exprime par tous ses pores pour secouer le vieux monde de l’après-guerre et inventer un monde nouveau, en s’inventant soi-même… Ce à quoi jouent les apprentis-comédiens, en retrouvant l’énergie de ce printemps-là.

Ils se sont plongés dans les archives, ont lu des livres, compulsé des images et  recueilli des témoignages d’anciens combattants. Donc armés pour mettre en acte ces pages d’histoire qui concentrent et résument l’ensemble des événements. «Il est cinq heures le nouveau monde s’éveille/ Il est cinq heures nous n’aurons jamais sommeil », dit une chanson, parodiant celle de Jacques Dutronc. Ou encore Sheila «Donne moi ta main et prends la mienne/ Pour les Enragés ça signifie/ La rue est à nous que la joie vienne/ Mais oui, mais oui, de Gaulle est fini. »

La salle du Conservatoire se trouve deux heures et demi durant transformée en un mini-Odéon, où résonnent les discours des jeunes gens, fleurissent les slogans, et se déploient des banderoles accrochées aux balcons. Le public est appelé à participer, et on fait la quête pour préparer une soupe qui sera distribuée à la sortie. Tout cela commence comme une fête… Bientôt se poseront les questions d’organisation, surgiront les désaccords. Et quand les ouvriers reprennent le  travail après un mois de blocage du pays , et que des élections s’annoncent,  cette fête sera finie. Que restera-t-il de mai 1968 et des chaudes heures de l’Odéon ?

 Le Birgit Ensemble, compagnie à deux têtes, sortie depuis peu du même Conservatoire national, a déjà plusieurs spectacles à son actif : Memories of Sarajevo et Dans les ruines d’Athènes concluent une tétralogie  commencée avec un atelier de fin de cursus Berliner Mauer, suivi de Pour un prélude sur le passage à l’an 2000 (voir Le Théâtre du Blog). Les metteuses en scène ont dirigé un atelier de six semaines avec les seize comédiens pour élaborer cette fresque. Beaucoup de travail à la table pour structurer le texte, et des improvisations, pour que chacun trouve son personnage parmi les matériaux en abondance.  

 La pièce s’articule en trois parties : prise, occupation et expulsion de l’Odéon. L’enthousiasme porte le mouvement : « La révolution est possible !  » Faut-il prendre l’Odéon, un théâtre de gauche, mais un théâtre d’Etat? Malgré l’opposition de certains, Jean –Louis Barrault et Madeleine Renaud sont chassés impitoyablement : une scène jouée par  Caroline Marcadé et Gilles David, tous deux enseignants au Conservatoire. Et  déjà, à ce propos,  s’affrontent radicaux et réformistes. De la horde initiale, déferlant sur le plateau, émergent des personnages  dont chacun a construit, dans cette histoire, un parcours cohérent d’un bout à l’autre : Madeleine, la radicale, ouvrière chez Renault, la timide Nicole qui peine à prendre la parole et consigne les débats, Pierre, fils de bourgeois jusqu’auboutiste et beau parleur, Jacques, le réformiste qui votera Valéry Giscard d’Estaing aux élections présidentielles… La pensée politique s’élabore au fil des jours: pour la révolution culturelle, pour la fin du consumérisme, contre le révisionnisme communiste, le capitalisme et la guerre du Viet nam. On croit à la convergence des luttes: ouvriers, artistes, paysans, étudiants, tous ensemble ! Utopie? La question des femmes, de l’avortement, du machisme annonce le féminisme des années suivantes. Les chrétiens de gauche tentent une percée avec une comédienne issue de la  compagnie Renaud-Barrault. La scène est une tribune pour  les débats, les assemblées générales, et le public qui participe volontiers, est invité à voter des résolutions. Ce sera aussi l’occasion de faire entendre une parodie de Tête d’Or une pièce de Paul Claudel qui fut jouée dans ce même Odéon …

En coulisse, se déroulent réunions préparatoires ou de bilan, ateliers de sérigraphie ou séances de cuisine, filmés en noir et blanc par une caméra pour donner un petit air rétro à ces images, à l’instar des costumes dégotés dans les boutiques vintage. Tout ici est très bien agencé. Avec un petit passage à vide en fin de parcours, quand la parole et les personnages se mettent à tourner en rond, peu avant la défaite. Un petit creux  rapidement comblé car on revit avec plaisir ces moments relatés par des acteurs énergiques et généreux : souvenirs pour les uns, pages d’histoire pour les autres. Mais on s’y retrouve, toutes générations confondues, car bien des sujets sont encore d’actualité et l’on voit que si les mœurs ont été transformés, la société, elle, demeure la même.  Il faut féliciter les comédiens, tous excellents et inventifs, sous la houlette de Julie Bertin et Jade Heburlot.

Mireille Davidovici

Spectacle joué au Conservatoire National Supérieur d’Art Dramatique 2 bis rue du Conservatoire, Paris IX ème. T. : 01 41 42 46 12 91

 

Filiation de Gabriel Garran, conception et mise en espace Laurent Schuh et Liliana Soledad

 

Filiation de  Gabriel Garran, conception et mise en espace Laurent Schuh et  Liliana Soledad

 24BAC00D-5ACB-4417-91CB-074B4A473C98Le metteur en scène  donne vie cet émouvant journal de l’enfance de Gabriel Garran, enfant caché sous la répression nazie, protégé par sa mère qui l’avait envoyé loin d’elle,  dans les montagnes. Laurent Schuh l’incarne pieds nus, parcourant les traces blanches d’un escargot dessiné au sol, au rythme d’un métronome,  à côté d’une paire de chaussures. Le corps maquillé, il jette les feuillets après les avoir lus, en avançant sur les traces. « On raconte tout avec le théâtre, tous ces textes n’ont pas forcément été prémédités, écrire dans la clandestinité est une respiration seconde». Il se tortille autour du lampadaire, s’accroupit sur un tabouret à côté d’un petit cheval de bois.

«L’acteur est muet et le verbe prolixe, il n’y a que la folie qui m’aime ! Pour me quitter, je me suis dévêtu». Il se recroqueville le long de l’escargot. «Au cœur d’un holocauste, je lève au ciel mon poing à la miséricorde (…) le jeu de la vie, de la mort au paroxysme ». Il danse immobile, ouvre une valise et s’assied dedans : «Ne plus mourir est ma dernière ligne de fuite!» Il cite Aimé Césaire: «Ecrire comme une blessure… », psalmodie et danse le texte. «J’ai cru que l’amour, c’était se donner à l’autre…»

Laurent Schuh brame en tapant sur un poteau métallique: «Je pèle comme un oignon que l’on mange», il se peint le visage,  met des lunettes en carton, tourne autour et essaye de l’escalader. «L’homme cherche à boire ce que la vie ne lui donne guère, j’ai fui la mort, comme elle me fuit, il faut la peau de l’autre pour être soi-même, je n’ai appris à mordre que tardivement. (…) Les survivantes ont été les géantes de ce temps ! »

Ce spectacle émouvant, élaboré en trois jours, nous livre des souvenirs de Gabriel Garran, enfant caché privé d’école pendant son enfance, qui ouvrit les portes d’une vraie décentralisation, en fondant le Théâtre de la Commune d’Aubervilliers avec son maire Jack Ralite, à la fin des années 60.

Edith Rappoport
Spectacle vu aux Lilas en Scène le 9 avril. Gabriel Garran dédicace à la sortie son beau livre de poèmes Esquisse pour une préhistoire publié par Archimbaud éditeur en 2013.

7 d’un coup, texte et mise en scène de Catherine Marnas

7 d’un coup texte inspiré du Vaillant petit tailleur des frères Grimm et mise en scène de Catherine Marnas 

©frederic Desmesure

©frederic Desmesure

Ce beau spectacle créé l’an passé à Bordeaux (voir Le Théâtre du Blog) arrive à Paris. Un conteur invite les jeunes spectateurs «à la grande aventure des rêves », avec une histoire « qui commence bien mal». Il était une fois un petit garçon «un peu trop “tout », que l’on appellera Olivier : trop petit, trop malingre, trop maladroit…» Tête de turc de ses camarades, souvent violents à son égard, il se réfugie dans la lecture et l’étude. Un jour, les mouches le harcèlent pendant le goûter mais il réussit à en écraser sept. A partir de cet exploit, sa vie bascule : il arbore fièrement un  tee-shirt où est écrit: 7 d’un coup et part à l’aventure. Ce 7, objet de malentendu, sera interprété de travers et forcera le respect de ses adversaires et interlocuteurs. 

 Le personnage principal (Olivier Pauls) quitte alors son univers quotidien et pénètre dans le monde imaginaire du conte des Grimm, où les épreuves qu’il rencontre et surmonte lui permettront de dissiper ses peurs et de se débarrasser de son rôle de victime.  Olivier, petit, mais malin, vaincra un géant redoutable mais un peu bêta, des fantômes évanescents, et surtout, trois sorcières sanguinaires, dernière épreuve qui lui vaudra la main de la princesse…

 «J’ai eu envie, dit la metteuse en scène et directrice du Centre Dramatique National de Bordeaux,  de m’attaquer à  une adaptation du Vaillant petit tailleur, pour cet âge de l’enfance où l’on se sent toujours plus petit, plus faible ou plus malhabile que les autres. Les peurs, angoisses, désirs,  et sentiment d’impuissance devant le monde des adultes, trouvent dans les personnages ou les situations de ce conte, un soulagement, des consolations, voire une revanche. »

Partant d’une situation réaliste et familière où les enfants évoluent en survêtement, sweat à capuche et baskets, la pièce entre progressivement dans un environnement onirique, et les êtres étranges qui peuplent les forêts revêtent des costumes de conte de fée contrastant avec les uniformes des jeunes d’aujourd’hui. La musique et les sons réverbérés renforcent l’étrangeté de l’ambiance. Un contraste entre réalisme et fantastique, géré par le narrateur, sorte de meneur de jeu, qui, avec deux autres partenaires se partage tous les rôles satellites autour d’Olivier. 

Catherine Marnas aborde ici de manière ludique, à travers ce conte initiatique, le thème du harcèlement. Les enfants présents au débat à l’issue de la représentation, ont d’abord, spontanément, commenté cet aspect de la pièce disant que cela arrive surtout aux filles mais aussi aux garçons. Ils ont ensuite posé des questions aux acteurs et techniciens sur les effets de magie. Preuve que le spectacle est une réussite à la fois esthétique et pédagogique.

Mireille Davidovici

Théâtre Paris-Villette, 211 avenue Jean Jaurès, Paris XIXème.

 

Providence de Neil LaBute, adaptation et mise en scène de Pierre Laville

 

Providence de Neil LaBute, adaptation et mise en scène de Pierre Laville

 DF368238-508C-4A9C-9FB3-288B9D3F2E66Neil LaBute (cinquante-cinq ans),  dramaturge américain bien connu,  avec entre autres, Bash, La Forme des choses(2007), Énorme... Peu joué en France-mais Pierre Laville a monté certaines de ses pièces-Neil LaBute a aussi écrit les scénarios et réalisé une dizaine de films dont En Compagnie des hommes, Entre amis et voisins, Nurse Betty, et Dirty Week-end

 Providence se passe juste après l’attentat du trop fameux 11 septembre 2001 des tours jumelles dans le quartier de Manhattan à New York par Al Quaïda, avec des milliers de victimes et des centaines de disparus. Les deux tours-un peu plus de 415 m de hauteur-s’effondrent en moins de deux heures-provoquant aussi la destruction de deux autres immeubles proches. Certains rapports d’abord tenus secrets ont fait état de disparus, dont aucune trace ne fut retrouvée à la suite de l’attentat, des hommes surtout, qui en auraient profité pour changer de vie…  Ce sur quoi, est fondé l’argument de cette piécette.

Ici, un trentenaire, marié deux petites filles, cadre dans une entreprise installée dans une de ces tours,  est l’amant depuis trois ans de sa supérieure hiérarchique, plus âgée que lui. Ce qu’il lui fait courtoisement remarquer! La veille de l’attentat, il avait rejoint cette dame chez elle pour lui faire l’amour, au lieu d’aller travailler. Ce n’est pas bien du tout mais cela l’a sauvé, et en même temps, l’oblige à reconsidérer sa relation avec elle.  Les répliques sont souvent cinglantes du genre : Elle – Six mille personnes sont mortes, assassinées, certaines d’entre elles étaient nos collègues de travail, et ma seule réaction est de penser à nous tirer aux Bahamas. Ce n’est pas très beau ! Lui – Eh bien, descends les aider à tamiser les débris, ou porte-leur des cierges !Elle- Je ne sais pas. Lui – Merci de ne pas oublier que j’y ai travaillé dans ces bureaux, pendant des années. En ce moment, je revois des tas de visages… Les gens avec qui je discutais, avec qui je buvais un café… Ces types à la réception… Elle – Tu penses à ces gens-là ? Lui – Évidemment ! Elle – Je te croyais en train de penser à nous… Mais quelle idiote, je suis. »

Sa femme l’appelle sans arrêt sur son portable, mais il ne répond jamais. Et elle peut donc penser qu’il a aussi disparu dans cet attentat ! Les deux amoureux, comme dans un rêve, voudraient tous les deux quitter New York à jamais, et aller vivre aux Bahamas. Mais les choses commencent à grincer quant à la réalisation du scénario!  Et ce sera donnant, donnant. Il lui demande de tout quitter et surtout son poste très bien payé, mais elle est réticente et exige d’abord qu’il téléphone enfin à sa femme pour la mettre au courant de la situation et officialiser la rupture. Mais visiblement, lui n’a aucune envie de quitter la femme qu’il aime quand même, et ses deux enfants… Zéro partout la balle au centre. Bref, rien n’est dans l’axe, et amour clandestin et réalités socio-économiques font rarement bon ménage, si on peut dire ! Situation sans issue et le piège va donc vite se refermer. Bien entendu, lui enfin, prendra son téléphone mais pour appeler non pas son épouse mais  son amante, à quelques mètres de lui… pour lui dire que tout est fini entre eux. Fin de cette parenthèse amoureuse. Les lendemains dans l’entreprise ne seront pas d’une franche gaieté, d’autant que tous ou presque sont au courant de leur liaison. Ce qu’elle lui rappellera cyniquement.

« On pourrait parler, dit Pierre Laville-avec quelque générosité !-d’une «tragédie aux yeux secs.» Le mal et le malheur ambiants ont des airs d’absolu. Nul jamais n’aurait imaginé ou conçu une telle catastrophe. Point de compassion, point d’attendrissement ou d’identification possibles. Providence est une pièce noire, sèche, qui dérange et refuse le recours aux sentiments et aux émotions humains ordinaires… Neil LaBute met de côté toute facilité d’attendrissement et d’indulgence pour cet homme et cette femme, couple déjà mal formé et en marge qu’il réunit dans cet appartement voisin du lieu de la catastrophe (….) Le couple se débat pour ne pas succomber. Il ose un projet de fuite, une solution extrême, une de ces tentations qu’on a du mal à croire réalisables, tant la vie au quotidien avait jusque-là incité plus à la lâcheté qu’à l’audace, au conflit et à la dissimulation.(…)

On veut bien mais en fait, cela donne quoi sur le plateau? Autrefois, Providence autrefois, aurait pu-en version plus courte- faire ce qu’on appelait un lever de rideau avant la représentation d’une grande pièce mais en une heure et demi la pièce a le souffle court! Sur le petit plateau baigné de fumigènes, les fumées qui avaient envahi tout New York et que Pierre Laville aurait pu nous épargner, juste un gros canapé sur un tapis rouge sanglant en acrylique.

Le couple est heureusement joué par deux comédiens formidables, tout de suite justes et crédibles: Xavier Gallais qui avait déjà joué de Neil LaBute, Septembre blanc et Marie-Christine Letort qu’on a pu voir récemment dans Hollywood Boulevard  d’après Billy Wilder (voir Le Théâtre du Blog). Et Pierre Laville a bien su les diriger. Mais  cette pièce bien bavarde et souvent laborieuse qui ne mérite pas les quelque quatre-vingt dix minutes qu’elle dure et  le metteur en scène aurait pu réduire la voilure sans aucun inconvénient… Providence fait en effet souvent du surplace avec des scènes qui se répètent ou qui n’apportent pas grand-chose. Bref, malgré certains dialogues assez virulents du genre règlements de comptes sentimentaux, dans la veine de Qui a peur de Virginia Woolf d’Edward Albee, le compte n’y est pas tout à fait. Quant à la fin, bien conventionnelle, on l’avait devinée depuis le début.
Alors à voir? Oui, si vous n’êtes vraiment pas trop exigeant quant à la pièce- en plus, c’est à 21h30 ! Et oui,pour le plaisir de voir un excellent travail d’interprétation mais cela fait-il une soirée de théâtre? A vous de décider.

 Philippe du Vignal

 Théâtre des Déchargeurs, 3 Rue des Déchargeurs, Paris  Ier. T. : 01 42 36 00

 

 

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