Barokko de Marion Coutris, mise en scène de Serge Noyelle

© Cordula Treml

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Barokko, texte et livret de Marion Coutris, musique de Marco Quesada, mise en scène de Serge Noyelle

Un projet ambitieux dans un espace bi-frontal d’une trentaine de mètres, pour quelque quatre cent spectateurs. Rien ou presque sur la scène, sauf à une extrémité derrière un très grand cadre doré assez chargé: un batteur, un clarinettiste, et, à l’autre bout, assis sur une longue poutre en plexiglass, un homme immobile, comme une sculpture vivante, juste vêtu d’un slip noir, avant même que le spectacle ne commence. Référence christique, comme sortie tout droit de chez Jerzy Grotowski…

Cordula Treml

Cordula Treml

Le spectacle participe d’une sorte d’opéra-poème qui rappelle parfois dans la forme le célébrissime Einstein on the beach  (1976) de Phil Glass et Bob Wilson, et deux ans avant la création de La Classe morte, puis les autres très fameuses pièces de Tadeusz Kantor (1915-1990) et les spectacles baroques et délirants de l’américain John Vaccaro. Epoque bénie du théâtre
Bref, Serge Noyelle a placé la barre assez haut, avec un spectacle à la fois parlé et muet, dansé et/ou chanté en chœur en français comme en russe,  ou par seulement deux remarquables contre-ténors français et une superbe basse russe. Accompagné par un batteur, un clarinettiste et un accordéoniste en direct, et par une musique enregistrée du grand orchestre du Théâtre académique de Perm (Oural), une ville dont était issu le fameux Serge de Diaghilev (1872-1929). C’est un des coproducteurs importants de ce spectacle et les sept artistes russes de cette série de représentations ont été pris en charge par leur pays. Mais tous les musiciens étaient pris par leur répertoire,  car le théâtre de Perm doit fournir trente six spectacles par mois! Comme tout théâtre national  en Russie.

Barokko est donc, élémentaire mon cher Wilson, bien entendu baroque, avec des personnages qui se succèdent comme dans un rêve éveillé: il y a ici une imagerie simple mais très efficace pour traduire le dramatique de la condition humaine, comme l’ont fait les artistes européens de cette grande période artistique, architectes, compositeurs, peintres ou sculpteurs. Il y a ici  nombre de somptueuses références à la peinture baroque mais surtout aux clairs-obscurs du Caravage. Et la mort est omniprésente mais sublimée, et comme sous forme d’exorcisme. Avec une sorte de curieux  mouvement permanent, et un excès voulu. A charge pour le texte de dire mais aussi de renforcer quelque fois les images par hypotypose, mot savant pour signifier une description réaliste de la scène dont on veut donner une image. Si on a bien compris, le poème de Marion Coutris a aussi pour fonction scénique d’accompagner verbalement le langage gestuel, vocal et musical de l’ensemble des quelque trente participants, en accord avec sa sensibilité de comédienne.

Il y a d’abord cette femme discrète mais très impressionnante, en grande robe noire. Très mince sur de hauts talons, bien jouée avec une grande discrétion et une belle présence par Marion Coutris, cette fois actrice, bien plus jeune mais parente si l’on peut dire du personnage de La Classe morte, une image muette mais très inquiétante de la Mort: “Les yeux du dedans Dessinent des formes Inexpliquées Qu’on poursuit Avec des tâtonnements De bienheureux. » Et elle s’adresse à l’Homme nu): “ Toi, quel maudit croisement De planètes A marqué  ton destin? La Rage et le Désir Sont nés de la même mère Avec la même nourriture Ils ont grandi Et toi Tu te souviens de la trace Brûlante De leur morsure Toi Tu traces Avec ton talon Blessé Un sillon Dans la poussière Un sillon déjà creusé Avant toi”.
DSC_0728On n’entend pas toujours bien, à cause sans doute d’une mauvaise acoustique et malgré un micro HF ce texte poétique, et c’est dommage. Mort, sexe, religion, amour  et parfum d’érotisme discret sont ici convoqués pour accompagner cette danse macabre avec, sublimes de beauté et d’efficacité scénique, de longues et lentes processions d’une quinzaine de danseuses (beaux costumes de Catherine Oliveira) habillées de  belles robes anciennes à dentelles blanches ou noires selon les moments. Elles marchent, avec quelques acteurs travestis, à pas rythmés sur la musique de Marco Quesada, aux thèmes parfois proches de celle d’Henry Purcell. Avec oui, par moments quelque chose qui fait penser au ballet de cour qui, a rappellé Philippe Beaussant, fera partie de l’opéra français que Mazarin l’Italien s’évertuera à imposer en France. On pense alors aux célèbres vers de L’Enfer de La Divine comédie de Dante : «Je vis alors une bannière qui claquait si vite en filant qu’elle refusait tout repos. Elle était suivie d’une file en nombre si grand que la mort ne me semblait pouvoir la prendre. Je reconnus certains d’entre eux. Surtout l’ombre de celui qui abandonna la papauté ».  Tous  les acteurs chanteurs-danseurs font entrer une longue table d’une dizaine de mètres nappée de blanc, là aussi tout à fait kantorienne,  où à un bout, la Mort foudroiera l’Homme seul du début, assis à l’autre bout. Fascinant…

Il y a ici une galerie insensée de personnages remarquablement mise en scène par Serge Noyelle : l’Ange noir, un Prophète, un Roi déchu, un Devin prophétique, une triade d’hommes vêtus de grands manteaux et par ailleurs excellents chanteurs, ou travestis en femmes avec escarpins et bas noirs, de vieux petits jumeaux, ridicules en pourpoint blanc avec fraise-comme de vieilles poupées venues des Ménines de Velasquez, et aussi bien entendu comme les jumeaux, ces faux frères Dupont en costume noir de Tadeusz Kantor où ils étaient de tous ses spectacles…
Soit donc une sorte de Requiem baroque, aussi insolite que  carnavalesque, mais dont les images appartiennent aussi bien au monde de la peinture classique et des arts plastiques,  qu’à celui  du théâtre. Mais avec le sens du temps mais aussi et surtout de l’espace baroque. Dans une mise en scène des plus rigoureuses qui soient, avec quelque trente personnes sur le plateau ! Ce qui n’a rien d’évident et exige de longues mises au point pour arriver à une telle maîtrise du temps et de l’espace. Au chapitre des bémols : un son qui demanderait à être revu, une identification de tous ces personnages parfois difficile, et une dramaturgie un peu chaotique sur la fin, avec deux inutiles rebondissements. Mais tout cela peut vite être remis d’équerre.

Que demande le peuple? Longue ovation debout, en particulier des lycéens marseillais qui, visiblement, n’ont pas boudé leur plaisir. On peut espérer qu’un théâtre de Paris ou de sa banlieue accueillera Barokko quelques jours au cours de la saison 2020-2021. Nombre de lieux comme les Ateliers Berthier-Odéon, Nanterre-Amandiers, Ivry, Créteil, ou les festivals d’Avignon ou d’Aurillac-oui, pourquoi pas?-ont des espaces suffisants pour accueillir cette création avec  sa scénographie bi-frontale, qui mériterait bien une tournée.

Philippe du Vignal

Spectacle vu le 10 avril au Théâtre Nono, 35 Traverse de Carthage,  Marseille VIIIème. T. : 04 91 75 64 59.

 


Archive pour 16 avril, 2018

Rodin et la danse

Rodin et la danse

s.5831_numjm001La danse, et plus largement le mouvement, ont depuis toujours fasciné les sculpteurs, rien n’est plus évident : de Myron et son Discobole (Vème siècle avant J.C.),  à Antoine Bourdelle, à Edgar Degas ou Emile Carpeaux, nombreux sont  les  artistes qui ont cherché à saisir le corps en mouvement. L’exposition qui vient de s’ouvrir au musée Rodin,  s’attache au cas particulier de ce sculpteur qui a fait des recherches sur l’équilibre dynamique entre des forces contraires Et le danseur aura été son meilleur modèle.

Mais plutôt qu’à la danse elle-même, Auguste Rodin s’intéresse surtout à ce qu’elle implique d’effort, de rythme, d’engagement et maîtrise physiques. Et les interprètes de ballet classique lui serviront rarement de modèle. Sa recherche obstinée des possibilités expressives du corps l’amène en revanche à fréquenter artistes et acrobates mais aussi les personnalités les plus extraordinaires du monde de la danse moderne ou exotique, pour qui la gravité, loin d’être camouflée comme dans le ballet, devient au contraire un partenaire.Il connaîtra et fréquentera ainsi Loïe Fuller, la danseuse japonaise Hanako qui était proche d’elle, et Isadora Duncan. Et il assistera aussi  aux représentations des Ballets Russes où il y admirera Vaslav Nijinsky dans L’Après-midi d’un faune. Selon Romola Nijinska,  son épouse, Serge Diaghilev, l’autoritaire directeur des Ballets Russes, aurait surpris Auguste Rodin auprès de Vaslav Nijinsky nu, tous deux endormis dans l’atelier du sculpteur. Anecdote qui s’est avérée  inventée…

Selon l’historien Philippe de Lustrac qui a consulté les archives de l’époque et cite le Journal du comte Kessler, grand ami d’Auguste Rodin, Vaslav Nijinsky n’aurait posé qu’une seule fois pour lui, et ce fut un fiasco. En effet, après un copieux déjeuner très arrosé en compagnie du sculpteur, la séance de pose s’interrompt rapidement : il s’était presque aussitôt endormi. C’était en 1902, et  il avait déjà soixante-deux ans.

 Il trouve une nouvelle inspiration peu de temps après, grâce au Ballet royal du Cambodge venu à Paris en 1906 avec le roi Sisowath en visite officielle, et il fait de nombreux croquis des danseuses chez qui il admire particulièrement la souplesse des bras, des poignets et la courbure des doigts. A leur départ, il dira qu’ «elles emportèrent avec elles, la beauté du monde».

 Sont exposées ici les Mouvements de danse-ce nom avait été donné par une conservatrice du Musée dans les années 1950 à treize statuettes en terre cuite de l’atelier d’Auguste Rodin-et dont le seul modèle fut l’acrobate et danseuse Alda Moreno. Elles avaient été montrées en 2016 à la Courtauld Gallery de Londres.
 Il y a aussi dans cette exposition, une centaine de dessins dont le fameux corpus des danseuses cambodgiennes, des photos appartenant à la collection privée du sculpteur et des fiches biographiques sur la plupart des danseurs avec lesquels il a travaillé, parcourant ainsi l’ensemble des recherches et expériences d’Auguste Rodin avec ces artistes du geste.

Sonia Schoonejans

Musée Rodin, 79 rue de Varenne, Paris VII ème, T. : 01.44.18.61.10, jusqu’au 22 juillet.

Voici mon Cœur, c’est un bon cœur, d’après Vent sacré, spectacle d’Anne Alvaro, Nicolas Daussy, et Thierry Thieû Niang

Voici mon Cœur, c’est un bon cœur, d’après Vent sacré, anthologie de la poésie féminine contemporaine amérindienne, spectacle d’Anne Alvaro, Nicolas Daussy, et Thierry Thieû Niang

© © Pascal Victor

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© Pascal Victor

Des lumières chaudes, tout paraît calme, en attente… Pour unique décor, un banc, quelques instruments de musique et un tissu violet jeté au sol. Côté jardin, Anne Alvaro s’avance lentement puis s’arrête face public, et de sa voix singulière, lance:«Bien sûr, vous pouvez me poser une question personnelle! »  Question personnelle en prologue comme une adresse directe, légèrement teintée d’ironie, au public. Un texte de Diane Burns ouvre le bal ! Et,  nous sommes conviés à une cérémonie avec une grâce sans pareille, une simplicité et une intensité dans les thèmes abordés, pleine de poésie, et politique, en l’honneur des femmes amérindiennes d’hier et d’aujourd’hui.

Le spectacle participe d’un bouquet de poèmes chorégraphié et d’une parole dramatique proférée par Anne Alvaro, dansés par Thierry Thieû Niang et mis en musique par Nicolas Daussy.  Ecrits pour la plupart par des autrices amérindiennes, ces poèmes nous bouleversent, et nous emmènent  au pays des lointains: «Quand nous faisons l’amour dans le monde-fleur, mon cœur est suffisamment près pour chanter au tien dans une langue qui n’a pas cours chez les mots humains maladroits ». (Joy Harjo). Et, à cette profonde émotion, s’ajoute une dimension esthétique et éthique. C’est là aussi la force et la beauté de ce spectacle : au moment où cette parole venue d’une autre culture, évoque de plein fouet et met en résonance le monde des traditions et des savoirs archaïques ou/et ancestraux,  avec notre monde, celui de la consommation, du simulacre, et du capitalisme qui a sauvagement tout uniformisé : «Helen ne peut pas croire qu’elle est belle.
 (…) Que ses cheveux épais dansent comme la rivière.
 Que son corps épais parle une langue qu’on lui a volée. (…) Elle n’embrasse pas. Parle peu. Se prend en photo pour s’assurer qu’elle existe. Se prend en photo pour se prouver qu’elle est vivante. Helen se prend en photo.» (Beth Brant).

Intelligence et délicatesse dans le choix des textes et mise en scène sobre: le public écoute avec attention cette écriture diversifiée. Sont ici évoquées des traditions poétiques féministes et de justice sociale, comme la lutte d’Annette Arkeketa pour les droits des autochtones  selon laquelle «La poésie et la beauté de la vie sur terre tout simplement sont ce qui guide mes pas vers un monde meilleur». Ou selon Joy Harjo: «Je crois fermement que j’ai une responsabilité envers toutes les sources que je suis: à tous les ancêtres passés et futurs, à mon pays d’origine, à tous les endroits où je m’aborde et à moi-même, à toutes les voix ».

 Le spectacle de ces artistes et poètes que sont Anne Alvaro, Nicolas Daussy, et Thierry Thieû Niang, est aussi un hymne à la puissance et à la beauté du langage. Une création, riche sur les plans artistique et socio-politique, qui nous fait rêver, réfléchir et nous libère, et qui rappelle aussi notre besoin de mémoire, de transcendance et de mystère…

Elisabeth Naud

Spectacle vu le 8 avril, au Théâtre Gérard Philipe, 59 boulevard Jules Guesde, Saint-Denis (Seine-Saint-Denis). T. : 01 48 13 70 00.

Festival d’Avignon du 9 au 20 juillet à La Parenthèse, dans le cadre de la Belle Scène Saint-Denis.

 

 

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