La semaine Extra au Nest, Les Imposteurs

La semaine Extra au Nest

Initiée en 2015 par Jean Boilot, directeur du Nest, Centre Dramatique National transfrontalier de Thionville-Lorraine, et Cécile Arthus, « La Semaine Extra, festival transgénérationnel dédié à l’adolescence, rassemble des spectacles professionnels ou collaboratifs, et de nombreux ateliers de découverte. La Semaine Extra vise à donner la parole aux jeunes, tout en leur transmettant une expérience: jeu d’acteur, création sonore, découverte des techniques du spectacle, critique, communication. » En amont et pendant le festival, les jeunes participent aussi à l’organisation: buvette, accueil, etc. Il y a eu vingt-quatre représentations du 3 au 7 avril, un match d’improvisation et onze ateliers-découvertes, encadrés par des professionnels, sur les  métiers du théâtre. Nous avons pu assister à trois des spectacles : Les Imposteurs, House in Asia, et Longueur d’ondes.

 

8E7AFB93-3990-4A40-B0DD-E52F257BEEF3Les Imposteurs, dramaturgie d’Alexandre Koutchevsky, mise en scène de Jean Boilot

 «Et si les moins imposteurs d’entre nous tous, étaient les acteurs? Nous tous qui passons notre vie à jouer des rôles, mais sans rideau, sans annoncer ni début ni fin à nos représentations.Nous qui faisons semblant de croire que nous ne racontons plus d’histoires car nous avons grandi». Dans une salle qui n’a rien  d’un théâtre, sans scène où le public est assis en U, face à un grand écran où l’on peut voir une photo de classe datant d’une vingtaine d’années, les artistes associés du Nest, Isabelle Ronayette et Régis Laroche et aimeraient bien savoir ce qu’est devenue Alice Molina, la petite brune qu’on voit en haut sur cette photo de classe. Bien sûr, on pense à l’œuvre imaginée par Christian Boltanski Portrait des élèves du C.E.S. des Lentillères (Côte d’Or) en 1973, avec toute ce qu’elle peut susciter d’interrogations sur le Temps. Que sont nos copains devenus, ceux du collège ou du lycée, avec qui on a vécu une, deux voire trois années : tous disparus. Vivants ou déjà morts, on ne sait trop ?

Mais cette photo qui reste longtemps projetée avec cette figure envoûtante d’Alice Molina qu’on  discerne mal, ce qui donne encore plus de mystère à la chose, donne un sacré coup de fouet au spectacle: « Là, c’est moi, commente Isabelle Ronayette. En 1986, j’ai quinze ans. Je suis pas mal, non? Et là, c’est Bernard Touiller. À l’époque, il y avait encore des gens de quinze ans qui pouvaient s’appeler Bernard. Après, ça a disparu. Ça a bien disparu, non ? Là, c’est Alice Molina… et là, c’est Sophie Bichon. Régis Laroche : Ils avaient tous des noms comme ça dans ta classe ? » Vrai? Pas vrai? On ne saura jamais? Et les deux acteurs baladent le public avec une grande sincérité et une élégante virtuosité

Pourquoi la jeune fille qu’elle était, s’inscrit-elle à un atelier-théâtre, et pourquoi en fera-t-elle plus tard son métier? Pourquoi Régis en conflit avec son père, oublie-t-il son rôle de  Sigismond quand il doit parler à son père, le roi Basile de La Vie est un songe de Calderon? Merci, docteur Sigmund Freud… Isabelle Ronayette et Régis Laroche, se revoient adolescents. Isabelle : « Et je me suis tapé Touiller. C’était ma première fois et c’était grâce au théâtre. On est sortis ensemble parce qu’il m’avait vu joui, jouer. Régis : Bravo. Option théâtre et première fois. Et le circonflexe ? Isabelle : Envolé. Tout léger qu’il était devenu en quelques séances de théâtre. On n’était plus au théâââtre, on se sentait vivre. Joyeux, troublés, en larmes aussi, giflés par le sentiment d’exister.

On parle aussi de la mythique Classe morte du grand Polonais Tadeusz Kantor (1915-1990). Régis : « Il me faudrait un ou une volontaire, le ou la plus jeune si possible, encore mieux si c’est quelqu’un qui me ressemble, ce n’est rien, je vous assure, ça dure trente secondes. Merci, il faut que vous imaginiez que je suis vieux, et que cette jeune personne représente l’enfant que j’étais. Je vais te prendre sur mon dos, comme quand tu étais enfant, t’inquiète pas je suis costaud, dans la pièce, tu es un pantin en fait, pas un acteur vivant, donc sois mou/molle voilà, c’est ça la pièce de Tadeusz Kantor, on peut dire que tout est là, tout tient dans cette image : les vieux ont tué les enfants qu’ils étaient, ils les portent sur leur dos, ils portent leur enfance assassinée sur leur dos. Comment donner mieux la curiosité d’aller voir ce qu’il reste du spectacle mythique que nous avons vu une bonne douzaine de fois créé par cet artiste rencontré il y a déjà quarante-quatre ans et devenu lui-même un mythe. Mais il vaut mieux en voir surtout des extraits vidéo comme ceux filmés par Denis et Jackie Bablet.

Bref, on l’aura compris, une bonne occasion de faire réfléchir à ce qu’est l’identité, entre l’enfant qu’on est encore un peu, et l’adulte que l’on n’est pas encore tout à fait mais que l’on deviendra à coup sûr, tout en gardant encore un peu d’enfance. Mais aussi sur le réel et la fiction mais aussi sur ce grand mystère que sont une scène et un public. Et chose rare au théâtre, ici on parle chiffres en main: « Isabelle:  170 euros la représentation, ça dure une heure, donc la minute ça fait? 2 euros 83. Et la seconde ? À peu près 5 centimes. Là-tu-vois-je-viens-de-me-faire-cin-quante-cen-times. Et, pire que ça : je suis payée pour faire des silences aussi! »

Un jour, dit Isabelle Ronayaette, le proviseur du lycée est entré dans la salle de classe et a annoncé: « Votre camarade Alice a perdu ses parents samedi soir, ses parents sont morts dans un accident de voiture, samedi soir, ils sont morts, un accident de voiture. Et ensuite Alice fuguera… Mais on ne vous dévoilera pas la belle fin de cette courte histoire.

Joué devant en majorité de jeunes lycéens très partants quand les comédiens les sollicitent, le  texte aussi drôle qu’intelligent peut donc évoluer selon la participation du public; pourrait-il se jouer devant un autre public? Sans doute mais en le développant: malgré la chaleur de la salle, on en reprendrait bien une petite louche. La très fine dramaturgie qui va bien heureusement au-delà du théâtre dans le théâtre, et l’excellence de la mise en scène et des acteurs  autant d’atouts pour ces Imposteurs qui devraient lui permettre de tourner un peu partout en France, d’autant qu’il est visiblement joué dans des conditions légères. Avis aux amateurs.

Le compte-rendu des autres spectacles de la Semaine Extra d’ici quelques jours…

Philippe du Vignal

Spectacle vu le 14 avril au NEST, Centre Dramatique National transfrontalier de Thionville-Lorraine, 15 route de Manom Thionville (Moselle). T. : 03 82 82 14 92.

Le spectacle se jouera le 2 juin à la Médiathèque de Florange, le 14 septembre à la Médiathèque de Nilvange, puis en tournée à la rentrée.

 

 


Archive pour 20 avril, 2018

La semaine Extra au Nest, Les Imposteurs

La semaine Extra au Nest

Initiée en 2015 par Jean Boilot, directeur du Nest, Centre Dramatique National transfrontalier de Thionville-Lorraine, et Cécile Arthus, « La Semaine Extra, festival transgénérationnel dédié à l’adolescence, rassemble des spectacles professionnels ou collaboratifs, et de nombreux ateliers de découverte. La Semaine Extra vise à donner la parole aux jeunes, tout en leur transmettant une expérience: jeu d’acteur, création sonore, découverte des techniques du spectacle, critique, communication. » En amont et pendant le festival, les jeunes participent aussi à l’organisation: buvette, accueil, etc. Il y a eu vingt-quatre représentations du 3 au 7 avril, un match d’improvisation et onze ateliers-découvertes, encadrés par des professionnels, sur les  métiers du théâtre. Nous avons pu assister à trois des spectacles : Les Imposteurs, House in Asia, et Longueur d’ondes.

 

8E7AFB93-3990-4A40-B0DD-E52F257BEEF3Les Imposteurs, dramaturgie d’Alexandre Koutchevsky, mise en scène de Jean Boilot

 «Et si les moins imposteurs d’entre nous tous, étaient les acteurs? Nous tous qui passons notre vie à jouer des rôles, mais sans rideau, sans annoncer ni début ni fin à nos représentations.Nous qui faisons semblant de croire que nous ne racontons plus d’histoires car nous avons grandi». Dans une salle qui n’a rien  d’un théâtre, sans scène où le public est assis en U, face à un grand écran où l’on peut voir une photo de classe datant d’une vingtaine d’années, les artistes associés du Nest, Isabelle Ronayette et Régis Laroche et aimeraient bien savoir ce qu’est devenue Alice Molina, la petite brune qu’on voit en haut sur cette photo de classe. Bien sûr, on pense à l’œuvre imaginée par Christian Boltanski Portrait des élèves du C.E.S. des Lentillères (Côte d’Or) en 1973, avec toute ce qu’elle peut susciter d’interrogations sur le Temps. Que sont nos copains devenus, ceux du collège ou du lycée, avec qui on a vécu une, deux voire trois années : tous disparus. Vivants ou déjà morts, on ne sait trop ?

Mais cette photo qui reste longtemps projetée avec cette figure envoûtante d’Alice Molina qu’on  discerne mal, ce qui donne encore plus de mystère à la chose, donne un sacré coup de fouet au spectacle: « Là, c’est moi, commente Isabelle Ronayette. En 1986, j’ai quinze ans. Je suis pas mal, non? Et là, c’est Bernard Touiller. À l’époque, il y avait encore des gens de quinze ans qui pouvaient s’appeler Bernard. Après, ça a disparu. Ça a bien disparu, non ? Là, c’est Alice Molina… et là, c’est Sophie Bichon. Régis Laroche : Ils avaient tous des noms comme ça dans ta classe ? » Vrai? Pas vrai? On ne saura jamais? Et les deux acteurs baladent le public avec une grande sincérité et une élégante virtuosité

Pourquoi la jeune fille qu’elle était, s’inscrit-elle à un atelier-théâtre, et pourquoi en fera-t-elle plus tard son métier? Pourquoi Régis en conflit avec son père, oublie-t-il son rôle de  Sigismond quand il doit parler à son père, le roi Basile de La Vie est un songe de Calderon? Merci, docteur Sigmund Freud… Isabelle Ronayette et Régis Laroche, se revoient adolescents. Isabelle : « Et je me suis tapé Touiller. C’était ma première fois et c’était grâce au théâtre. On est sortis ensemble parce qu’il m’avait vu joui, jouer. Régis : Bravo. Option théâtre et première fois. Et le circonflexe ? Isabelle : Envolé. Tout léger qu’il était devenu en quelques séances de théâtre. On n’était plus au théâââtre, on se sentait vivre. Joyeux, troublés, en larmes aussi, giflés par le sentiment d’exister.

On parle aussi de la mythique Classe morte du grand Polonais Tadeusz Kantor (1915-1990). Régis : « Il me faudrait un ou une volontaire, le ou la plus jeune si possible, encore mieux si c’est quelqu’un qui me ressemble, ce n’est rien, je vous assure, ça dure trente secondes. Merci, il faut que vous imaginiez que je suis vieux, et que cette jeune personne représente l’enfant que j’étais. Je vais te prendre sur mon dos, comme quand tu étais enfant, t’inquiète pas je suis costaud, dans la pièce, tu es un pantin en fait, pas un acteur vivant, donc sois mou/molle voilà, c’est ça la pièce de Tadeusz Kantor, on peut dire que tout est là, tout tient dans cette image : les vieux ont tué les enfants qu’ils étaient, ils les portent sur leur dos, ils portent leur enfance assassinée sur leur dos. Comment donner mieux la curiosité d’aller voir ce qu’il reste du spectacle mythique que nous avons vu une bonne douzaine de fois créé par cet artiste rencontré il y a déjà quarante-quatre ans et devenu lui-même un mythe. Mais il vaut mieux en voir surtout des extraits vidéo comme ceux filmés par Denis et Jackie Bablet.

Bref, on l’aura compris, une bonne occasion de faire réfléchir à ce qu’est l’identité, entre l’enfant qu’on est encore un peu, et l’adulte que l’on n’est pas encore tout à fait mais que l’on deviendra à coup sûr, tout en gardant encore un peu d’enfance. Mais aussi sur le réel et la fiction mais aussi sur ce grand mystère que sont une scène et un public. Et chose rare au théâtre, ici on parle chiffres en main: « Isabelle:  170 euros la représentation, ça dure une heure, donc la minute ça fait? 2 euros 83. Et la seconde ? À peu près 5 centimes. Là-tu-vois-je-viens-de-me-faire-cin-quante-cen-times. Et, pire que ça : je suis payée pour faire des silences aussi! »

Un jour, dit Isabelle Ronayaette, le proviseur du lycée est entré dans la salle de classe et a annoncé: « Votre camarade Alice a perdu ses parents samedi soir, ses parents sont morts dans un accident de voiture, samedi soir, ils sont morts, un accident de voiture. Et ensuite Alice fuguera… Mais on ne vous dévoilera pas la belle fin de cette courte histoire.

Joué devant en majorité de jeunes lycéens très partants quand les comédiens les sollicitent, le  texte aussi drôle qu’intelligent peut donc évoluer selon la participation du public; pourrait-il se jouer devant un autre public? Sans doute mais en le développant: malgré la chaleur de la salle, on en reprendrait bien une petite louche. La très fine dramaturgie qui va bien heureusement au-delà du théâtre dans le théâtre, et l’excellence de la mise en scène et des acteurs  autant d’atouts pour ces Imposteurs qui devraient lui permettre de tourner un peu partout en France, d’autant qu’il est visiblement joué dans des conditions légères. Avis aux amateurs.

Le compte-rendu des autres spectacles de la Semaine Extra d’ici quelques jours…

Philippe du Vignal

Spectacle vu le 14 avril au NEST, Centre Dramatique National transfrontalier de Thionville-Lorraine, 15 route de Manom Thionville (Moselle). T. : 03 82 82 14 92.

Le spectacle se jouera le 2 juin à la Médiathèque de Florange, le 14 septembre à la Médiathèque de Nilvange, puis en tournée à la rentrée.

 

 

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