La Semaine extra au Nest: Longueur d’ondes
La Semaine extra au Nest (suite et fin)
Longueur d’ondes
Notre amie Edith Rappoprt vous avait déjà parlé de ce spectacle créé cet hiver au Studio-Théâtre de Vitry-sur-Seine, et qui retrace la réjouissante et incroyable histoire de cette radio: Lorraine-Cœur d’acier à Longwy. On est en 1979-presque quarante ans et un tout autre monde! mais qui contient en germes le nôtre: Sadam Hussein devient président de l’Irak, L’Union soviétique intervient en Afghanistan; c’est le début du deuxième choc pétrolier, et la sidérurgie française entame un long et irréversible déclin. Bref, que du bonheur!
Dans un esprit d’insoumission et de résistance, une volonté de parole issue de mai 68 se fait jour, et ce sera la création par la C.G.T. d’une des premières Radio libres. Ce qui plait beaucoup à l’autoritaire Président de la République Valéry Giscard d’Estaing et à son premier ministre Raymond Barre qui s’empresse de faire brouiller toutes les radios libres! Mais son gouvernement où Maurice Papon-était le ministre du Budget!-perdra le procès qu’il leur avait intenté. Bien fait. Mais des peines de prison pleuvent alors sur les fondateurs de ces radios, et des stations locales d’Etat exprès créées, envahiront alors la bande FM et étoufferont donc les autres. Lorraine-Cœur d’acier, elle, sera protégée par toute la population très déterminée à défendre son trésor où la parole est enfin équitablement répartie, et ce sera le clocher de l’église qui abritera l’antenne… Même les émigrés pourront s’y faire entendre.
C’est la naissance de cette Radio sous forme d’un théâtre-documentaire que Longueur d’ondes met en scène avec juste deux acteurs. Marie-France Roland et Hugues de la Salle, en quarante-cinq minutes, content et jouent à la fois cette aventure exemplaire de communication démocratique. Bérangère Ventusso a imaginé une sorte de lien visuel avec un ensemble de beaux dessins sur cartons que l’on fait glisser comme dans le théâtre populaire Kamishibaï japonais. Paul Cox, leur auteur, s’est inspiré de ceux créés par l’Atelier des Beaux-Arts en mai 68 et ce mariage fonctionne bien sur le plan théâtral. Même si, visuellement, ces dessins et leur maniement monopolisent parfois un peu trop l’attention.
Avec les limites du théâtre-documentaire, beaucoup du charme de ce spectacle vient d’extraits d’émissions d’époque… Très bien dirigé par Bérengère Ventusso, il semble plutôt axé sur l’histoire politique de cette radio qui réussit un temps à fédérer un groupe de personnes, loin des intrigues parisiennes. Avant que la C.G.T. ne licencie ses deux journalistes professionnels. Cette piqûre de rappel concernant la fragilité de la communication n’est pas inutile, quand on sait que la majeure partie de la presse écrite et audio-visuelle appartient actuellement à des groupes privés.
Un message peut-être un peu difficile à faire passer à des ados peu au courant de la vie occulte de journaux qu’ils ouvrent, de moins en moins surtout les éditions papier. Comment faire paraître un quotidien-papier ou électronique-sans publicité, sans subventions, sans mécénat déguisé ou pas, et être, puis rester-ce qui est encore bien plus dur!-un média indépendant de l’Etat, du capitalisme des banques internationales, voire même d’un parti ou d’une quelconque organisation politique? Et sans jamais pratiquer, pour continuer à vivre, une quelconque forme d’auto-censure….
Quelles sont les liaisons souterraines entre la presse et le Pouvoir ? Ce n’était sans doute pas le but recherché par Bérangère Ventusso, mais on aurait bien aimé que le spectacle soit, comment dire? un peu plus politique, qu’historique, dans la lignée de ceux de Nicolas Lambert (voir Le Théâtre du Blog). Mais ce Longueur d’ondes transmet une incontestable soif de liberté : ce n’est déjà pas si mal et peut faire prendre conscience aux ados qu’une fois adultes, et électeurs dans quelques années, ils verront vite que rien ne s’obtient sans luttes. Mais ce n’est ni M. Emmanuel Macron et ses énarques, ni Madame Françoise Nyssen, ministre de la Culture qui le leur rappelleront! A bon entendeur, salut, Léontine, Axel, Lola, Victor, Margot, Abel, Chloé, Hugo et Garance qui ont cette année quatorze ou quinze ans…
House in Asia par la compagnie Agrupación Señor Serrano, d’après une idée originale d’Alex Serrano, Pau Palacios et Ferran Dordal
Sur scène, plusieurs maquettes de la maison-en fait un véritable complexe fortifié-d’Oussama Ben Laden: l’originale, celle d’Abbottabad au Pakistan, et deux fidèles répliques: celle de la base militaire où s’entraînent les commandos des Forces spéciales américaines qui ont pour mission de l’éliminer. Ce qui sera fait le 2 mai 2011, jour où après un raid de quarante minutes, un commando réussit à tuer le leader d’Al Quaïda recherché par le Département d’Etat et le FBI pour sa responsabilité dans plusieurs attentats, notamment ceux du 11 septembre 2001. Et enfin, la maison construite en Jordanie qui a servi pour tourner le film Zero Dark Thirty (2012) de Kathryn Bigelow qui a, pour scénario, l’histoire de cette traque.
En en ouvrant les murs, l’Agrupación Señor Serrano, grâce à une petite caméra, en montre l’intérieur et, avec des soldats miniature (pas très réussis !) déplacés manuellement, recrée la traque d’Oussama Ben Laden, dit Géronimo, du nom de code utilisé pour cette opération. Les trois complices nous montrent aussi l’entraînement des marines et le tournage du film. Et il y a aussi des images projetées d’abord au début,celles que l’on connaît par cœur de l’incendie puis de l’écroulement des Tours Jumelles à New York. Toujours aussi glaçantes de vérité. Et celles d’un western où on voit l’Indien Géronimo et ses hommes poursuivis par le septième régiment de cavalerie. Ou encore à celle, de Moby Dick par le capitaine Achab.
Soit un patchwork habilement cousu d’actes artistiques qui n’ont rien à voir entre eux,ou si peu. Où est la vérité historique dans tout cela, se demande sans doute l’Agrupación Señor Serrano… Les images très habilement réalisées séduisent vite le public et rien n’est laissé au hasard dans ce spectacle très maîtrisé. Et que ce soit: les voix, avec James Philipps et Joe Lewis, la création-lumière et la programmation vidéo d’Alberto Barberá, la bande-son de Roger Costa Vendrell, et, bien sûr, les maquettes très réussies de Nuria Manzano, tout ici est d’une grande virtuosité technique et le spectacle a été joué un peu partout en Europe.
Oui, mais voilà, passé, disons les dix premières minutes, cette House in Asia ne fonctionne pas du tout, et ne fait plus illusion. On est en effet vite déçu par un mélange de roublardise artistique, et de leçon politique digne de conversations au bistrot. Que veulent nous dire exactement les trois complices de l’Agrupación Señor Serrano? On ne le saura jamais… Manquent en effet une véritable dramaturgie : ici on mélange tout, on secoue de temps en temps et débrouillez-vous les copains-pourquoi tant de répétitions d’images? Rien ou si peu d’analyse politique d’un événement capital dans la récente histoire des Etats-Unis sous le règne de Barak Obama: il ne nous souvient pas en effet avoir entendu dans ce spectacle que les Amérindiens avaient protesté contre l’utilisation-pas très futée-du nom de Geronimo considéré comme ennemi! Et rien non plus, à propos de l’exécution d’un ennemi sur un territoire-le Pakistan-n’appartenant pas aux Etats-Unis. En France, un des rares à avoir fait preuve de réserve, aura été François Bayrou: « On ne fait pas la fête pour la mort de quelqu’un, fût-il le plus horrible […] Et puis, au fond, c’est la civilisation du western. Cela pousse à regarder la vie comme cela, avec les bons et les méchants, qui gagnent, dégainent, tirent et sont abattus.”
Si cette chose est jouée près de chez vous, inutile donc de vous y précipiter, à moins de n’être pas trop difficile. Ah! On oubliait la cerise sur le gâteau: il y a en intermède six dames d’un certain âge habillées en cow-girls avec grand chapeau qui poussent quelques chansonnettes! Comprenne qui pourra! Le public adulte semblait sceptique devant ces grosses ficelles mais les ados eux se laissaient prendre…
Philippe du Vignal
Spectacles vus le 14 avril au NEST, Centre Dramatique National transfrontalier de Thionville-Lorraine, 15 route de Manom, Thionville (Moselle). T. : 03 82 82 14 92.