Festival d’Avignon: soixante-douzième édition
Festival d’Avignon: soixante-douzième édition
Le festival de théâtre le plus célèbre du monde commencera cette année le 6 juillet, à la même date que le festival off qui, d’année en année, prend de plus en plus d’importance, avec souvent la participation fréquente de centres dramatiques nationaux français. Et le in finira le 19, au lieu du 21 l’an passé. Sa programmation de plus de mille spectacles tous genres confondus (théâtre classique et contemporain, marionnettes, cirque, danses…) aura le monopole du 19 au 26. Soit du jamais vu : presque une semaine, ce qui peut modifier un peu la donne. Reste à savoir-vieux débat-si le off, devenu beaucoup plus populaire et plus riche au fil des années, pourrait vivre en autonomie par rapport au in…
Riche programme dont on ne peut tout citer ! Il y a aura quarante-sept spectacles, dont huit de danse, surtout d’origine étrangère, et pas seulement européenne… Presque la moitié mise en scène par des femmes. La majorité sont le fait de jeunes réalisateurs. Et le fil rouge du programme? Un thème qui court depuis quelques années mais qui n’avait encore jamais été vraiment à la une du plus grand festival français: la question dite du « genre », celle des LGBT (lesbiennes, gays, bi-sexuels) et de la trans-identité, avec de nombreux spectacles, en particulier venus du monde arabe. Pour Olivier Py, le directeur du festival depuis quatre ans: «Le genre ne recouvre pas uniquement la trans-identité, et permet de questionner des sociétés éloignées les unes des autres». Mais, comme il le dit, cela permet sans doute d’ouvrir le festival, avec d’autres orientations et des spectacles plus engagés politiquement qu’avant, ce qui n’est jamais un luxe…
Comme avec Retour du metteur en scène iranien Amir Reza Koohestani qui avait présenté à Avignon, il y a deux ans, un court mais efficace Hearing. Ou avec Il pourra toujours dire que c’est pour l’amour du prophète de son compatriote Gurshad Shaheman, un spectacle sur les migrants et leurs raisons d’émigrer, parfois pour des raisons d’identité sexuelle.
Dans Mama, le metteur cairois Ahmed El Attar présentera un spectacle sur les mères égyptiennes qui ont des enfants machos… Et, comme on le sait, le procès de l’artiste Kirill Serebrennikov, assigné à résidence depuis deux ans à Moscou et dans la ligne de mire du régime Poutine, aura lieu le mois prochain. Le réalisateur est accusé de détournement de fonds publics, mais en fait, semble-t-il, uniquement pour des raisons politiques. Ce sera un des volets du feuilleton de David Bobee, le directeur du C.D. N. de Rouen qui a déjà travaillé avec lui. Mesdames, messieurs et le reste du monde sera donné-gratuitement comme chaque année-tous les jours à midi, dans le jardin de la médiathèque Ceccano. Donc, arrivez bien en avance pour avoir une chance de le voir ! Didier Ruiz (voir Le Théâtre du Blog) présentera Trans (Més Enllà) où il parle de la trans-identité à partir de témoignages… Et Pale Blue Dot d’Étienne Gaudillère qui retrace l’aventure d’Edward Manning devenu Chelsea Manning, ancienne analyste militaire de l’armée des États-Unis de nationalité américano-britannique condamnée et incarcérée pour trahison pour avoir transmis des données à Wikileaks.
Signalons aussi le cycle de lectures de RFI, Ca ,ca va ca le Monde , avec des textes dont ceux de l’Haïtien Guy Régis Jr, ou du grand poète congolais Tchicaya u Tam’ Si, décédé il y a déjà trente ans et qu’avait monté autrefois avec succès Gabriel Garran. Ce cycle de lectures coordonné par Pascal Paradou, sera dirigé et mis en scène par Armel Roussel, avec le soutien de la S.A.C.D.
Peu de nouveauté dans les lieux traditionnels: pas de spectacles encore à la fameuse carrière Boulbon sans doute pour des raisons de coût, mais la Scierie, un nouveau lieu du festival s’ouvrira 15 boulevard Saint-Lazare. Olivier Py y créera Pur Présent, trois tragédies de cinquante minutes sur la politique et la finance dont Antigone de Sophocle, avec les détenus du Centre pénitentiaire d’Avignon-Le Pontet.
Une autre tragédie rarement montée, l’Iphigénie de Jean Racine, sera mise en scène par Chloé Dabert. Et il y aura aussi un spectacle de fin d’année de l’Ecole du Nord, mis en scène par Christophe Rauck, Le Pays Lointain (un arrangement) d’après Jean-Luc Lagarce.
Côté cour d’honneur du Palais des Papes, lieu toujours aussi convoité mais souvent très casse-gueule : Thomas Jolly y présentera Thyeste, une pièce peu connue de Sénèque. Et Julien Gosselin, un nouveau et long spectacle-quelque huit heures!-du dramaturge américain Don DeLillo sur le terrorisme avec Mao II, Joueurs, Les Noms… Il y aura aussi les metteurs en scène désormais bien connus du festival :le Belge Ivo van Hove, qui y créa il y a deux ans Les Damnés qui parlait d’une famille allemande, à l’heure du triomphe nazi en Allemagne, met en scène cette fois Les Choses qui passent, d’après le roman de Louis Couperus, écrivain naturaliste néerlandais (1863-1923) sur l’histoire d’une famille, en particulier aux Indes. Oskaras Korsunovas, metteur en scène important du théâtre lituanien, présentera Tartiuffas de Molière, dans sa langue, et cela ne devrait pas manquer de piquant.
Plus de trente ans après sa première venue au Festival d’Avignon aux côtés de Pina Bausch était venue, il y a plus de trente ans, et pour la première fois à Avignon, Raimund Hoghe recréera d’elle le mythique 36, avenue Georges Mandel et une nouvelle pièce, Canzone per Ornella.
En danse, retour de la chorégraphe allemande Sasha Waltz avec Creaturn et un spectacle de danse Ben & Luc de Mickaël Phelippeau (Orléans/Ouagadougou). Le chorégraphe israélien Emanuel Gat présentera lui, Story Water et François Chaignaud (voir Le Théâtre du Blog) présentera Romances inciertos dans une mise en scène de Nino Laisné. La Doncella Guerrera, une jeune fille du Nord de l’Espagne se travestit pour aller à la guerre et la Tarara, une gitane andalouse au visage androgyne, se rendra célèbre par son appétit sexuel. Soit un solo de danse et un autre de chant accompagnés par quatre interprètes spécialistes de musique espagnole de tradition orale mais aussi de tradition savante. Il y aura de l’esthétisme « queer » en l’air…La question du genre sera aussi traitée dans Saison Sèche par Phia Ménard et dans Trans (Més enllà) par Didier Ruiz, un spectacle documentaire sur des transsexuels à Barcelone.
Le festival in d’Avignon, malgré une durée légèrement réduite, a encore de beaux jours devant lui, même s’il tend de plus en plus, à être un festival cher, et réservé, quoi qu’on en dise à une classe sociale privilégiée… Ce qui explique pour beaucoup le succès des bons spectacles du off : courts, de taris beaucoup moins élevé, le plus souvent bien joués par des acteurs confirmés, voire des vedettes avec des pièces connues ou d’auteurs contemporains ou non, français mais aussi étrangers et dans des salles tout à fait correctes Et avec un service de presse tout à fait efficace. Le off grignote ainsi chaque année des parts de marché au in. Sans que, bien entendu, ce dernier largement soutenu par un large réseau de mécénats et de fondations soit jamais remis en cause. Un des paradoxes de cette institution si française et devenu, en soixante-douze ans, de plus en plus internationale… Ce que le off tend aussi à devenir, surtout pour la danse.
Philippe du Vignal
Festival d’Avignon in, du 6 au 24 juillet, ouverture de la billetterie le 11 juin.
Festival d’Avignon off, du 6 au 29 juillet, ouverture de la billetterie le 6 juillet.