Gloire aux perdants, aux vaincus, aux sans grade
Gloire aux perdants, aux vaincus, aux sans grade
Après le Salon du livre de Paris où la Russie a été l’hôte d’honneur, nous avons une pensée particulière pour Vladimir Dimitrjevic, qui dirigeait les éditions de l’Age d’homme, né en 1934 et décédé il y a bientôt sept ans dans un accident de voiture sur une petite route de l’Yonne. Aucun hommage n’a été rendu dans ce salon au plus grand éditeur de livres russes en langue française. Et c’est bien triste : la logique de la publicité et de la rentabilité règne désormais chez les éditeurs, sans aucune exception!
Ce livre d’entretiens que nous avions fait avec lui (voir Le Théâtre du Blog) reste aujourd’hui le seul témoignage d’une aventure éditoriale sans pareil, grâce à la seule personnalité d’un homme qui avait voué aux livres toute sa vie. Mais cet ouvrage, resté un peu confidentiel, n’a semble-t-il, même pas retenu l’intérêt de ceux qui jadis se pressaient autour de l’Age d’homme et faisaient la cour à Vladimir Dimitrijevic, pour être publiés dans sa prestigieuse maison.
Pendant quarante ans, nous avons eu la chance de converser avec un interlocuteur extraordinaire qui a su vivre en dehors de l’ordre du monde, parce qu’il avait son propre monde d’idées, de projets, de passions, de livres, et il nous a aidé à nous élever au-dessus des ordures sociales. Nous ne retrouverons plus jamais, semble-t-il, la qualité de cette osmose, de cette transparence au-delà des mots.
Il serait tentant d’ajouter au titre de ces entretiens: « Béni soit la chute, la perte, l’oubli, bénies sont les défaites », comme celle de la bataille du Kosovo dont l’anniversaire a coïncidé symboliquement avec celui du jour de sa mort. Vladimir Dimitrjevic aimait les Salons du livre et n’en manquait aucun. Malgré les difficultés financières, rebuffades et attaques personnelles, il était toujours présent à Nancy, Genève, Francfort, Paris, ou même Moscou où nous l’avions accompagné quand il y avait représenté les éditions suisses.
Il aimait ces salons, non pour se montrer et pour vendre, mais par amour du Livre, qu’il croyait pouvoir sauver le monde et il a toujours refusé de pilonner les ouvrages qui n’avaient pas trouvé leurs lecteurs. La littérature pour lui, participait d’une sorte de résurrection et il se répétait qu’à chaque fois qu’un livre trouvait son lecteur, une expérience particulière se transmettait par l’écriture et triomphait des limites de l’espace et du temps. C’est pourquoi, il gardait précieusement ses surplus dans des dépôts, en pensant qu’un livre était une bouteille à la mer…
Il ne s’intéressait ni aux tirages ni statistiques, ni même aux chiffres de ventes car pour lui, il suffisait qu’un livre trouve un jour son lecteur chaque fois unique, pour qu’il mérite d’être publié et d’être conservé… Merci, Vladimir Dimitrijevic !
Gérard Conio
Les Entretiens avec Vladimir Dimitrijevic, sous le titre qu’il leur avait donné : Béni soit l’exil ! ont été publiés aux éditions des Syrtes et de l’Age d’Homme.