Picasso et les maîtres espagnols

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Picasso et les maîtres espagnols, réalisation de Gianfranco Lannuzzi, Renato Gatto et Massimiliano Siccardi

 La Carrière de lumières des Baux-de-Provence : un vaste espace souterrain dans le calcaire blanc des Alpilles. De cette carrière, dite des Grands-Fonds, furent extraits, au fil des ans, des pierres pour la construction du château et de la cité des Baux. Les hautes parois lisses portent encore les stigmates de la scie-crocodile qui découpait des blocs de deux m3.  D’autres sites des environs étaient aussi exploités depuis des millénaires pour les constructions, jusqu’à leur fermeture, en 1935. À droite de l’entrée, une grande galerie s’enfonce sur soixante mètres sous la montagne pour aboutir à un gigantesque hall, découpé par d’immenses colonnes laissées par les carriers pour porter le «toit».

Ces piliers naturels entre cinq et dix mètres à la base et de sept à neuf mètres de haut, constituent, comme les murs et le plafond, autant d’écrans de projection. Séduit par le site, le journaliste Albert Plécy, y créa en 1977 Cathédrale dImages et y montra avec un succès croissant, des murs d’images géants.  Mais en 2011, la ville des Baux-de-Provence confie la gestion des carrières à  Cultureespaces, une société qui gère de nombreux musées. En 2012, malgré une bataille juridique acharnée engagée par les ayant-droit de Cathédrale d’Images, elle  rouvre le site sous le nom de Carrières de Lumières et y organise des expositions «numériques et immersives »

Picasso et les maîtres espagnols fait dialoguer des œuvres de Pablo Picasso, Francisco Goya ou encore Joaquin Sorolla, sur ces immenses surfaces calcaires. Un montage numérique impressionnant se déploie du sol au plafond et les images rebondissent sur les piliers. Des détails surgissent au hasard des recoins. On ne sait plus où donner de l’œil, le temps de s’habituer à ce flot incessant d’images rythmé par des musiques.

 Avant d’entrer dans l’univers de Pablo Picasso, nous sommes invités à voir quelques sources espagnoles de son inspiration. De la cour royale, aux scènes champêtres de Francisco Goya, puis  les jardins enchanteurs de Santiago Rusiñol, les portraits typiquement ibériques d’Ignacio Zuloaga et les scènes maritimes du lumineux Joaquin Sorolla. Grand absent, Diego Velasquez et ses Ménines, auxquelles Pablo Picasso consacra pourtant une cinquantaine de tableaux… Mais le montage numérique ne s’encombre ni de pédagogie ni de chronologie dans cette première partie historique.

Encore moins dans l’exploration de l’univers foisonnant de Pablo Picasso qui suit. Grâce à des musiques évocatrices, nous plongeons avec le Köln Concert de Keith Jarett dans La Joie de Vivre (1946) et ses figures mythologiques. On passe imperceptiblement au cubisme, avec Les Demoiselles d’Avignon (1907), qui se met en place tel un puzzle sur les parois. Les personnages apaisants des périodes rose et bleue du peintre se teintent de mélancolie avec Les Gnossiennes nº1,2,3 d’Éric Satie. Après un noir, apparaissent les premiers éléments du célèbre tableau Guernica (1937) accompagnés d’extraits de presse et de photos de ruines. Le parcours se termine sur une touche sentimentale: la représentation des compagnes  du peintre,  dont Jacqueline. « Du début jusqu’à la fin, sa vie est ponctuée par les rencontres avec les femmes. Nous avons souhaité mettre en valeur leurs portraits avec ce final», précise  Gianfranco Lannuzzi. Pour ce dernier volet, Luca Longobardi, chargé de l’illustration musicale, a choisi l’aria Casta Diva de Norma de Vincenzo Bellini, par Maria Callas. Des morceaux bien connus rythment ainsi les images de séquence en séquence, et favorisent l’accès du grand public à ces œuvres, en les rendant familières. L’agencement iconographique compense largement le peu d’inventivité de la bande-son, et la légèreté de l’introduction aux maîtres espagnols. Un bel hommage offert à Pablo Picasso qu’il ne faut pas manquer, si vous passez par là. En évitant les heures d’affluence…

Cette exposition multimédias s’inscrit dans la manifestation Picasso-Méditerranée, à laquelle participent de nombreux musées, dont à Marseille, le MUCEM et celui de la Vieille Charité à Marseille.

Mireille Davidovici

Carrières de Lumières, Les Baux-de-Provence (Bouches-du-Rhône) jusqu’au 6 janvier.  

T. : 04 90 49 20 03 carrière-lumières.com


Archive pour 29 avril, 2018

Les Ballets de Monte-Carlo: Abstract/Life, musique de Bruno Mantovani

 

Les Ballets de Monte-Carlo: Abstract/Life, musique de Bruno Mantovani

©©Alice Blangero

©©Alice Blangero

Jean-Christophe Maillot, directeur des Ballets de Monte-Carlo, n’en finit pas d’étonner! Et , sa récente création présentée au Forum Grimaldi, ne ressemble à aucune de ses pièces précédentes. On connaît, à travers l’ensemble de ses ballets, le rapport étroit qu’il entretient avec la musique : elle l’inspire, et la musicalité qu’il demande à ses interprètes, participe de cette exigence.

 Mais avec Abstract/Life, le chorégraphe prend ses distances avec «l’objet musical» et le Concerto pour violoncelle et orchestre que Bruno Mantovani a composé pour lui, ne « mène pas la danse ». D’ordinaire, il compose ses pas en se laissant guider par la musique, mais cette fois il a procédé autrement et s’en explique: «Je me suis assis face aux danseurs, avec cette musique qui nous enveloppait. Plutôt que de me lever et improviser des pas avec eux, j’ai puisé dans ma banque de mouvements. Je me suis livré à un travail minutieux d’écriture chorégraphique à partir d’un vocabulaire élaboré en plus de trente ans.» (…) «J’ai trouvé plus intéressant de prendre le matériau gestuel créé avec mon jeune corps de vingt, trente ou quarante ans, plutôt qu’avec celui d’aujourd’hui, plus âgé et moins performant.»

En s’affranchissant de l’impératif sonore, Jean-Christophe Maillot a donc créé une chorégraphie qui n’est plus directement issue de la musique. Toutefois, si l’invention des pas s’en émancipe, il ne cesse pourtant de dialoguer avec le concerto de Bruno Mantovani, de l’interroger, de l’exalter même, mais de façon plus libre. Au titre initial donné par le compositeur, Abstract,  il a ajouté Life comme pour marquer ce que la musique, même la plus abstraite, peut générer d’images et de sensations. Et, au-delà d’une chorégraphie approfondie, ce spectacle frappe par la puissance des images aussitôt le rideau levé…

Plusieurs fois, dans une pénombre qu’un subtil travail de lumière vient trouer, en créant des points lumineux semblables à des lucioles, on devine une longue chaîne de danseurs dont le mouvement se transmet d’un corps à l’autre dans un effet de dominos. Scènes de groupe, solos et duos occupent l’espace et il faudrait plusieurs paires d’yeux pour saisir les détails de la très riche gestuelle, particulièrement dans le trio final.

En première partie de la soirée, le Violin Concerto d’Igor Stravinsky que George Balanchine , après l’avoir chorégraphié une première fois en 1941, avait recréé en 1972 pour le New York City Ballet, marque le retour du grand chorégraphe dans la production des Ballets de Monte Carlo. En effet, la troupe avait beaucoup dansé Balanchine avant de se tourner ces dix dernières années plus volontiers vers les chorégraphes contemporains. Leurs étoiles autant que le corps de ballet étaient alors réputés pour en etre d’excellents interprètes. Il suffit de se souvenir de Bernice Coppieters ou de Paola Cantalupo justement dans le deuxième pas de deux du Violin Concerto. Mais aujourd’hui, avec l’arrivée de nombreux danseurs solidement formés à la technique classique, la compagnie est à nouveau capable de se jouer des difficultés propres au style balanchinien.

 On se souvient de Bernice Coppieters ou de Paola Cantalupo, justement dans le deuxième pas de deux du Violin Concerto. Mais aujourd’hui, avec l’arrivée de nombreux danseurs solidement formés à la technique classique, la compagnie est à nouveau capable de se jouer des difficultés propres au style balanchinien. Parmi eux, Ekaterina Petina, aux côtés de Matèj Urban, a magnifié la musique d’Igor Stravinsky, par l’intense poésie de ses mouvements et le naturel de son interprétation.

La soirée ne manquait pas de saveur, avec ce parallèle entre une œuvre du répertoire néo-classique, intensément musicale, et une création contemporaine volontairement détachée de l’emprise de la musique!

Sonia Schoonejans

Spectacle vu au Forum Grimaldi, Monte-Carlo, le 26 avril.

 

Still Life d’Emily Mann, adaptation et mise en scène de Pierre Laville

Still Life d’Emily  Mann,  adaptation et mise en scène de Pierre Laville

still lifeLa version initiale d’une des premières pièces de l’auteure qui dirige le Mc Carter Theater de Princeton, avait trait à l’après Viet nam et date de 1981. Nous l’avions vue trois ans plus tard dans la mise en scène de Jean-Claude Fall au festival d’Avignon… Mais bon, cette fois, les Etats-Unis ayant toujours une guerre quelque part, Emily Mann a resitué l’action lors de la guerre en Afghanistan, autre terre de combat pour le pays de Mark, un ancien marine qui revient chez lui après de terribles années. Cette guerre très coûteuse s’inscrit dans la  lutte armée déclarée par Bush contre le terrorisme après les attentats du 11 septembre  à New York et Washington et avait  aussi pour but de capturer Oussama ben Laden, détruire l’organisation Al-Quaïda et mettre fin au pouvoir des talibans. Elle perdurera jusqu’en 2014, avec de très nombreuses pertes chez les Américains et leurs alliés, comme chez les civils afghans .

Marc a juste vingt-et-un ans! Physiquement intact mais, comme tous ses camarades-enfin ceux revenus vivants!-il est détruit, et resté encore là-bas dans sa tête; il a tué nombre d’ennemis mais aussi une famille entièr-père, mère et deux enfant-qui ne voulait pas dénoncer un parent proche… Mark, dépressif et traumatisé à vie, a bien du mal à se réadapter. Il retrouve Chéryl, son petit garçon et sa femme enceinte qu’exaspéré, il tabasse parfois. Elle n’a aucune illusion quant au comportement de son mari: «J’accepte, sans le condamner, tout ce qu’il a fait.» Mais elle est comme indifférente aux obsessions de violence qui l’atteignent. Il y a aussi-mais Cheryll ne connait pas son existence-Nadine, la maîtresse de Mark, divorcée avec trois enfants, très indépendante et féministe, qui a eu le coup de foudre pour lui, et qui, elle aussi, accepte tout aussi de l’ancien marine.

Pour Pierre Laville, dans cette pièce: «Tout sonne vrai et l’on entre directement en rapport avec les personnages. Le contexte et les événements que la pièce recompose nous parviennent en pointe sèche, ce qui par sa vérité même, exclut mélo et pathos. Sans ignorer le tragique des choses de la vie et de la guerre, Still Life y prend par fulgurances un air de comédie. »
On veut bien! Mais désolé, malgré de bonnes intentions, le petit tricotage d’Emily Mann  de ces trois témoignages avec une bonne dose de théâtre-documentaire qui ne s’assume pas vraiment + une cuiller de  de boulevard (le mari, la femme et l’amante  avec gentille analyse psychologique)+ une lichette de remise en question des valeurs des Etats-Unis, ne fonctionne pas vraiment.  Ces personnages tiennent beaucoup plus de silhouettes…
Côté mise en scène, cela n’est guère plus convaincant, il y a du Stanislas Nordey dans l’air, avec trois acteurs assis face public, sans bouger, du moins au début, et à qui on demande d’incarner ces personnages pour lesquels on a peu d’empathie. Antoine Courtray se donne bien du mal pour rendre son personnage crédible mais y arrive quand même un peu vers la fin, Ambre Pietri essaye en vain d’être la jeune épouse de  Mark. Manon Clavel est, elle, plus convaincante, malgré un personnage assez conventionnel de femme américaine libérée…
Tout cela fait vieux théâtre, avec un semblant de modernité comme cet entrelacement des paroles  des trois personnages. Mais ce patchwork de vies amoureuses et de récits de combats meurtriers, avec projections d’images de guerre pléonastiques vues et revues, n’apporte pas grand-chose,  comme ces chants de muezzin ponctuant le texte. Pour dire l’Orient? Et il n’y a guère d’émotion dans ce spectacle. Vous l’aurez compris, il n’y a donc aucune urgence à aller voir cet ovni recyclé au goût du jour. Le public peu nombreux a applaudi mollement, et on le comprend….

Philippe du Vignal

Théâtre des Déchargeurs, 3 rue des Déchargeurs, Paris Ier jusqu’au 19 mai.

 

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