Qui êtes-vous, Elsa Triolet ? à partir du texte de Dominique Wallard, mise en scène de Julie Berducq-Bousquet

Qui êtes-vous, Elsa Triolet ? à partir du texte de Dominique Wallard, mise en scène de Julie Berducq-Bousquet

 

© Françoise ALMERAS

© Françoise ALMERAS

Qui connaît vraiment Elsa Triolet, sinon comme la sœur de Lili Brik, et l’épouse de Louis Aragon ? Qui a lu ses romans-une trentaine-ses articles dans Les Lettres françaises, son compte-rendu du procès de Nuremberg ? Qui a vu les bijoux qu’elle a  créés dans les années trente et légués par son mari à la bibliothèque Elsa Triolet de Saint-Étienne-du-Rouvray? Enfin que sait-on de ses doutes sur le communisme, et les conflits avec son mari ?

La compagnie Théâtre et Toiles, déjà remarquée  avec Le Lavoir, continue sa recherche sur le vécu des femmes, avec cette adaptation, issue d’une lecture-mise en espace par Brigitte Damiens et Dominique Wallard, à la demande de la Maison de la citoyenneté et des droits de l’Homme en 2016. Elle rend ainsi justice à la personne d’Elsa Triolet au cours d’une interview imaginée où s’entremêlent extraits de texte et improvisations.

Juste un canapé, un fauteuil et une table encombrée de papiers: une journaliste se prépare à rencontrer Elsa Triolet. Elle relit un passage du Cheval Blanc: «Si j’étais quelqu’un dont on écrit la biographie, si on notait mes malheurs de Sophie, ma vie n’apparaîtrait  pas plus creuse qu’une autre. Mais entre les points qu’enregistre une biographie : née le… se marie en…, il y a les pas qu’on fait dans les rues, il y les gens qu’on a vu passer, et ce qu’on a pensé à ses moments perdus, tout ce qui est la partie creuse d’une vie, dont on tairait les événements.» Cette phrase sera le fil rouge du spectacle.

Elsa Triolet entre alors en scène, annoncée par le son envoûtant d’un violoncelle: une mélodie du compositeur russe César Cui (1835-1918), interprétée en direct mais en coulisses par Frédéric Borsarello, donne le ton. Brigitte Damiens, habillée en diva des années cinquante, les yeux cachés par des lunettes de soleil, aux gestes affétés et lents, sorte d’Ava Gardner à l’accent russe, nous transmet d’abord l’icône véhiculée par l’histoire officielle: celle de  la muse et compagne idéale inventée par Louis Aragon.

Un personnage monolithique mais qui va changer grâce aux variations subtiles de l’interprète. Le spectacle s’articule en dix-huit courtes séquences, chacune amorcée par une question de la journaliste. Dans les réponses d’Elsa, se dévoilent peu à peu la femme, la politique, l’écrivaine, et l’artiste, étouffée par la personnalité de son époux. Nous sommes loin des Yeux d’Elsa et de l’illusion entretenue par le poète, et découvrons le regard sur sa vie et son siècle, la rage d’écrire de cette femme troublée,  mais aussi  sa réflexion  lucide sur l’évolution du communisme. Elle avoue ses désillusions et ses désaccords avec Louis Aragon, et sa solitude. A chaque interrogation sur une période difficile de sa vie, elle répond  simplement: «J’écris». En parlant des années staliniennes, elle précise encore: «J’écris, c’est ma seule planche de salut.» 

La mise en scène participe d’une déconstruction du mythe de la muse, avec une gestuelle de plus en plus sobre, comme une renaissance de la véritable Elsa Triolet, dépouillée peu à peu de ses artifices vestimentaires, et s’humanisant au fil des réponses Le dispositif scénique met en relief cette mise à nu;  le canapé, lieu d’exposition,  devient celui de la réflexion, et parfois le divan de l’analyste. La coquille se fissure pour laisser apparaître  la « partie creuse» de la vie de l’auteure.

Brigitte Damiens, dirigée par Julie Berducq-Bousquet qui lui donne aussi la réplique avec finesse, dans ce rôle difficile d’une journaliste faire-valoir, soutient la tension dramatique jusqu’à la rupture. La voix, d’abord assurée puis hésitante, laisse transparaître sa fragilité et finit par se briser. Le rythme imposé par cette interview aurait pu être monotone mais la metteuse en scène a veillé à ménager des silences et absences: les départs soudains d’Elsa Triolet, après une révélation douloureuse, sont suivis d’intermèdes musicaux: derrière un tulle, on devine la silhouette  du violoncelliste, avec des musiques de Fritz Kreisler, Francis Poulenc, Jean-Sébastien Bach ou Arthur Rubinstein, si proches parfois de la voix humaine, qui prolongent ou commentent mais sans les mots, les sentiments d’Elsa Triolet.

En une heure quinze, ce spectacle avec ces trois interprètes, nous tient en haleine, en montrant la destruction du couple idéal rêvé par le poète. La vieille dame à bout de souffle conclut : « Vous voyez, mon petit, les couples sont mythiques pour ceux qui les regardent, pas pour ceux qui les vivent. » Le violoncelliste conclut avec Après un rêve de Gabriel Fauré. La boucle est bouclée. En sortant, une irrésistible envie de continuer le voyage et lire ou relire les écrits d’Elsa Triolet…

Christine de Coninck

Spectacle joué du 30 mars au 13 avril,  au Théâtre de Nesles  8, rue de Nesles, Paris VI ème T. : 01 40 51 02 25.

Le 17mai,  Théâtre Royal de Condé-sur-Noireau.

Les 14 et 15 septembre, Médiathèque Aimé Césaire, La Courneuve, et les 22 et 30 septembre,  Théâtre de Nesles.

 

 


Archive pour 3 mai, 2018

Agatha de Marguerite Duras, mise en scène de Bertrand Marcos

© Lise Lévy

© Lise Lévy

Agatha de Marguerite Duras, mise en scène de Bertrand Marcos

Pénétrer dans le studio du Théâtre de l’Épée de Bois, c’est déjà être dans l’écriture mélancolique de Marguerite Duras qui avait écrit cette pièce en 1981. La mise en scène sobre de Bertrand Marcos fait résonner le texte sur les murs en bois de ce petit espace vide, où seules deux chaises rappellent les corps absents. Les spectateurs, installés comme des acteurs passifs de cette histoire d’amour qui va au-delà des limites entre une sœur et un frère, forment comme le quatrième mur de la maison d’enfance, inhabitée depuis la mort de leur mère.

Pauline Deshons et Teddy Bogaert, tous deux vêtus de noir, dans ce face-à-face d’amour toujours/amour jamais, sont incandescents. Elle, Agatha, pieds nus, est venue dire qu’elle part,  loin de lui… Définitivement? Toute de douleur et d’espoir contenus, l’actrice nous tient sans jamais basculer dans le pathos. Lui, son frère, essaie de l’en empêcher, sans un geste pourtant. « Ainsi, vous êtes venue pour m’avertir de ces décisions que vous avez prises loin de moi pour faire cette interdiction plus interdite encore. » Teddy Bogaert debout, le regard vers le souvenir, la sensibilité à fleur de peau, résiste, dans une attente de bête traquée. Nous passons de l’un à l’autre, sans pouvoir les lâcher : il y a une sorte d’alchimie entre eux qui nous happe en douceur.

Marguerite Duras nous entraîne dans des lieux de la mémoire, ceux de l’ailleurs, de l’enfance et l’exil, des possibles et les impossibles, des paradis perdus  ou réinventés, sur une valse de Brahms. Pauline Deshons et Teddy Bogaert font vivre avec intensité, cette traversée à la fois nostalgique et violente.

 Frédérique Pierson

 Théâtre de l’Épée de Bois, Cartoucherie de Vincennes, jusqu’au 17 mai. T. : 01 48 08 08 39 74.

La Guerre de Troie (en moins de deux) d’Eudes Labrusse,mise en scène de Jérôme Imard et Eudes Labrusse (à partir de neuf ans)

© L Ricouard

© L Ricouard

La Guerre de Troie  (en moins de deux) d’Eudes Labrusse, d’après Homère, Sophocle, Euripide, Hésiode et Virgile, mise en scène de Jérôme Imard et Eudes Labrusse (à partir de neuf ans)

En fait, le spectacle n’est pas construit sur cette seule fameuse guerre mais participe d’une sorte de récit mythologique, tissé de courtes scènes jouées par sept acteurs, accompagnés par un pianiste; on peut ainsi entendre et/ou voir la naissance divine de la belle Hélène, la colère d’Achille, la jalousie des déesses face à la Pomme d’or, le choix de Pâris qui va enlever cette maudite Hélène, le sacrifice de la jeune Iphigénie par son père Agamemnon pour que souffle le vent qui l’emmènera à Troie, la colère d’Achille, le cheval de bois imaginé par les Grecs, les ruses d’Ulysse qui apparaît beaucoup moins sympathique que dans L’Odyssée mais aussi la transformation de Zeus en cygne blanc pour donner naissance à la plus belle femme du monde, la ruse de Palamède pour piéger Ulysse, la folie où va tomber le valeureux Ajax et le destin de Philoctète…
Soit en vingt-quatre tableaux, une fresque qui a donc trait en partie à la guerre de Troie. Eudes Labrusse a donc surtout travaillé sur Homère mais avec quelques emprunts à Sophocle, Euripide, Hésiode et Virgile.

 “Le projet dit-il,  s’attache à retracer la «miniature» d’une immense fresque mythologique, tout en tâchant d’en traduire le souffle d’épopée. La mise en scène est ancrée dans ce jeu de confrontation entre le petit et le grand. » Sur le plateau, une dizaine de chaises noires en bois et une très belle table rectangulaire aux pieds métalliques qui sert aussi et surtout de praticable où les acteurs jouent souvent. Des costumes noirs aussi: jupes, chemises, avec parfois quelque chose du drapé mais aussi de morceaux de treillis militaire. Quant à la belle Hélène, elle apparaît seulement en poupée barbie… “Il s’agit, précise Eudes Labrusse, de maintenir toujours une tension entre incarnation et distanciation (comme le suppose une prise en charge à la troisième personne)”.

On veut bien mais, même si la mise en scène  le jeu des acteurs sont très précises (impeccables diction et gestuelle) la dramaturgie adoptée ne fonctionne pas vraiment. Toutes ces silhouettes-plus que des personnages-défilent pendant quatre-vingt minutes, sans  que l’on puisse s’y attacher, que ce soit par le récit ou lors de trop courtes scènes. Jérôme Inard et Eudes Labrusse font (discrètement) dans l’anachronisme: une poupée barbie, un casque militaire actuel, un revolver… La vieille recette, même un peu usée, reste efficace à chaque fois auprès du public, ravi de partager une certaine connivence avec les metteurs en scène.

Mais on aimerait bien que les comédiens baissent parfois un peu le ton, et jouent moins en force ce texte-patchwork qui n’en est pas vraiment un… mais qui a le mérite de la clarté quand il faut raconter ces histoires mythologiques aux nombreux héros. Cela dit, il aurait sans doute aussi fallu moins jouer moins la carte du burlesque et du dérisoire, et davantage montrer et/ou dire l’extrême violence des combats très sanguinaires: c’est surtout cela l’Iliade-et aussi l’émotion.  Choses que l’on ne ressent presque jamais ici. A force de jouer le décalage, le burlesque et la trop fameuse distanciation, le souffle épique disparait vite… Dommage. Pauline Bayle qui avait adapté L’Iliade comme avec L’Odyssée avec beaucoup d’intelligence scénique, (voir Le Théâtre du Blog) avait beaucoup mieux réussi son coup avec deux formidables spectacles.

Il y a ici un accompagnement musical assez invasif, composé et  joué au  piano par Christian Roux, “sur un mode monophonique: la Grèce Antique ne connaissait que ce mode, puis tordu pour lui donner des sonorités orientales et balkaniques, que la musique grecque ne tardera pas à adopter mais qui surtout nous emmènent si facilement en voyage”. Mais nous n’avons rien perçu de cela. Trouver un musique inspirée de l’antique-puisqu’on n’en sait pas grand-chose et qu’il en reste juste quelques phrases-relève du pari impossible. Dans ce cas, pourquoi le tenter? Jacques Chailley pour Les Perses d’Eschyle joués plusieurs centaines de fois sur quelque trente ans dans la mise en scène-culte (1935) de Maurice Jacquemont pour le Groupe de Théâtre antique de la Sorbonne, y avait parfois assez bien réussi. Il avait eu l’idée de marier des instruments remontant à la nuit de temps comme des gongs, tambourins, crotales… mais aussi les ondes Martenot conçues dans les années vingt, ancêtre du synthétiseur, aux sons magiques, et parfois glaçants dans les aigus. Plus tard  vers 1960, Guy Morançon avait pour Les Sept contre Thèbes d’Eschyle, conçu une remarquable partition musicale, mais cette fois résolument contemporaine et toujours à base d’ondes Martenot…

Malgré un travail des plus honnêtes, et même si on ne s’ennuie pas vraiment à cette petite chose sympathique, on passe à côté de « l’approche festive et ludique d’un monument de notre imaginaire collectif”, revendiquée avec une certaine prétention par les metteurs en scène. Bref, rien ici de très nouveau ni de très convaincant: on reste donc sur sa faim, malgré quelques  beaux moments comme celui du cheval de Troie avec une table et des chaises empilées… Voilà, vous êtes prévenus et, si le cœur vous en dit, allez-y.

Philippe du Vignal

Théâtre 13/Jardin, 103 A boulevard Auguste Blanqui, Paris XIIIème. T.: 01 45 88 62 22

 

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