L’Esprit de Mai

 

L’Esprit de Mai

22B17A6E-37F4-4234-9BAA-DE0DA9C72406Ça aurait pu être un spectacle de l’Odéon, intelligent, construit, pensé. Antoine De Baecque, en bon prof d’histoire, rembobine l’histoire de l’Odéon, de Marie-Antoinette, au grand soir où le peuple a «pris la parole comme il avait pris la Bastille»  devant un Jean-Louis Barrault, directeur du lieu, assez désemparé. Ce dont André Malraux, alors ministre de la Culture qui surveillait sa « vitrine » au nom du général de Gaulle, l’a puni. Intéressant et plein d’esprit : Antoine de Baesque n’est pas de ces «professeurs qui nous font vieillir». Du coup, on voit mal pourquoi des comédiens surgissent du public en criant des slogans de 1968 pour débarquer la vieille université.

“Performance“ artificielle, vaine : mal vu, mal dit, simulacre piteux. Au même moment, dehors, une trentaine d’étudiants essaye de pénétrer dans le théâtre : même pas un assaut, à peine une bousculade, selon les témoins oculaires. Réponse: non, ils n’entreront pas, puisqu’ils n’ont pas payé leur place. Et à l’intérieur, on célèbre la libre parole ? Chocs contre les portes vitrées ( mais non brisées, c’est du solide), appel à la police, usage du gaz lacrymogène ; un jeune homme vient annoncer tout cela sur le plateau, et il ne fait pas plus “vrai“ que les comédiens de ce happening.

Après quelques remous, une partie du public quitte la salle. Après un entracte d’une vingtaine de minutes, les spectateurs qui voulaient sortir ont été retenus «par mesure de sécurité »,  le spectacle reprend avec vingt-six interventions prévues d’artistes, de témoins ou d’experts de mai 68. Intelligentes, riches, drôles parfois, ces interventions tombent évidemment à plat devant l’absurdité de la situation. Savantes, très écrites, certaines relèveraient de l’article de revue, mais non de l’adresse à un public choqué, voire scandalisé par le refus d’accueillir les contestataires de mai 2018. La soirée s’étire, la salle se vide, plusieurs intervenants ont  renoncé  à une prise de parole qui se fera dehors, dans la nuit apaisée, entre vieux spectateurs et jeunes étudiants restés là.

Voilà un “événement“ réfléchi, et non pensé: où était-il? Non dans ce spectacle, intéressant mais raté: ce qu’il avait de théâtral était pauvre et sonnait faux, sans force ni invention. Ni même dans les analyses de philosophes ni dans celles des historiens. Non, l’événement était dehors. Ou plutôt,  il aurait eu lieu, si le “dehors“ et le “dedans“ avaient pu communiquer, échanger en une libre parole sur le lieu même de l’ «imagination au pouvoir». Ironie du sort : cet objet entrait dans le cadre de Traverses (formule déjà antinomique en soi), alors qu’on n’a rien laissé traverser et dans le cycle des Inattendus.

L’inattendu:  le spectacle (car la rencontre s’en est tenue là) a été vidé par le refus de quelque chose de vivant qui lui aurait donné son sens. En quoi la révolte de ces étudiants est-elle anodine ? Que savons-nous de leur sincérité, de leur engagement, de leur sérieux, même s’ils disent, comme nous en 68, beaucoup de bêtises ?

L’occasion manquée donne à réfléchir sur l’institution. Oui, un grand théâtre national, notre bien commun, doit être préservé d’éventuelles déprédations. Mais qu’est-ce qu’une institution préfèrant son bon fonctionnement à la vie ? Un cénotaphe ? Où sera l’audace de la création, formule chère à Jack Ralite, maire d’Aubervilliers et grand défenseur du théâtre et de la culture, décédé l’an passé ? Du coup, on a envie, une fois encore, de céder la parole à Gilles Deleuze et Félix Guattari, sur ce que Mai 68 avait de visionnaire : «Il n’y a de solution que créatrice. Ce sont ces reconversions créatrices qui contribueraient à résoudre la crise actuelle et prendraient la relève d’un Mai 68 généralisé, d’une bifurcation ou d’une fluctuation amplifiée» (revue Chimère n°64, article originalement paru dans Les Nouvelles, 3 au 9 mai 1984).

Occasion manquée, ce lundi 7 mai, à l’Odéon. La jeunesse, pour qui l’institution fait tant d’efforts mais circonscrits à son secteur, et avec qui la création d’un véritable événement était possible,demandait juste à savoir ce qui s’était passé en 68, et qu’en penser. Un petit groupe de ces jeunes-là était dehors. Il faut qu’une porte soit ouverte ou fermée ? Hic et nunc, dans la situation du moment, le théâtre se devait d’être ouvert. Une idée que n’ont pas eue les organisateurs : pour être sûrs qu’il ne se passerait rien, il fallait  alors commémorer Mai 68 en janvier…

 Christine Friedel

Vu le 7 mai à l’Odéon-Théâtre de l’Europe, Paris VIème


Archive pour 10 mai, 2018

L’Esprit de Mai

 

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22B17A6E-37F4-4234-9BAA-DE0DA9C72406Ça aurait pu être un spectacle de l’Odéon, intelligent, construit, pensé. Antoine De Baecque, en bon prof d’histoire, rembobine l’histoire de l’Odéon, de Marie-Antoinette, au grand soir où le peuple a «pris la parole comme il avait pris la Bastille»  devant un Jean-Louis Barrault, directeur du lieu, assez désemparé. Ce dont André Malraux, alors ministre de la Culture qui surveillait sa « vitrine » au nom du général de Gaulle, l’a puni. Intéressant et plein d’esprit : Antoine de Baesque n’est pas de ces «professeurs qui nous font vieillir». Du coup, on voit mal pourquoi des comédiens surgissent du public en criant des slogans de 1968 pour débarquer la vieille université.

“Performance“ artificielle, vaine : mal vu, mal dit, simulacre piteux. Au même moment, dehors, une trentaine d’étudiants essaye de pénétrer dans le théâtre : même pas un assaut, à peine une bousculade, selon les témoins oculaires. Réponse: non, ils n’entreront pas, puisqu’ils n’ont pas payé leur place. Et à l’intérieur, on célèbre la libre parole ? Chocs contre les portes vitrées ( mais non brisées, c’est du solide), appel à la police, usage du gaz lacrymogène ; un jeune homme vient annoncer tout cela sur le plateau, et il ne fait pas plus “vrai“ que les comédiens de ce happening.

Après quelques remous, une partie du public quitte la salle. Après un entracte d’une vingtaine de minutes, les spectateurs qui voulaient sortir ont été retenus «par mesure de sécurité »,  le spectacle reprend avec vingt-six interventions prévues d’artistes, de témoins ou d’experts de mai 68. Intelligentes, riches, drôles parfois, ces interventions tombent évidemment à plat devant l’absurdité de la situation. Savantes, très écrites, certaines relèveraient de l’article de revue, mais non de l’adresse à un public choqué, voire scandalisé par le refus d’accueillir les contestataires de mai 2018. La soirée s’étire, la salle se vide, plusieurs intervenants ont  renoncé  à une prise de parole qui se fera dehors, dans la nuit apaisée, entre vieux spectateurs et jeunes étudiants restés là.

Voilà un “événement“ réfléchi, et non pensé: où était-il? Non dans ce spectacle, intéressant mais raté: ce qu’il avait de théâtral était pauvre et sonnait faux, sans force ni invention. Ni même dans les analyses de philosophes ni dans celles des historiens. Non, l’événement était dehors. Ou plutôt,  il aurait eu lieu, si le “dehors“ et le “dedans“ avaient pu communiquer, échanger en une libre parole sur le lieu même de l’ «imagination au pouvoir». Ironie du sort : cet objet entrait dans le cadre de Traverses (formule déjà antinomique en soi), alors qu’on n’a rien laissé traverser et dans le cycle des Inattendus.

L’inattendu:  le spectacle (car la rencontre s’en est tenue là) a été vidé par le refus de quelque chose de vivant qui lui aurait donné son sens. En quoi la révolte de ces étudiants est-elle anodine ? Que savons-nous de leur sincérité, de leur engagement, de leur sérieux, même s’ils disent, comme nous en 68, beaucoup de bêtises ?

L’occasion manquée donne à réfléchir sur l’institution. Oui, un grand théâtre national, notre bien commun, doit être préservé d’éventuelles déprédations. Mais qu’est-ce qu’une institution préfèrant son bon fonctionnement à la vie ? Un cénotaphe ? Où sera l’audace de la création, formule chère à Jack Ralite, maire d’Aubervilliers et grand défenseur du théâtre et de la culture, décédé l’an passé ? Du coup, on a envie, une fois encore, de céder la parole à Gilles Deleuze et Félix Guattari, sur ce que Mai 68 avait de visionnaire : «Il n’y a de solution que créatrice. Ce sont ces reconversions créatrices qui contribueraient à résoudre la crise actuelle et prendraient la relève d’un Mai 68 généralisé, d’une bifurcation ou d’une fluctuation amplifiée» (revue Chimère n°64, article originalement paru dans Les Nouvelles, 3 au 9 mai 1984).

Occasion manquée, ce lundi 7 mai, à l’Odéon. La jeunesse, pour qui l’institution fait tant d’efforts mais circonscrits à son secteur, et avec qui la création d’un véritable événement était possible,demandait juste à savoir ce qui s’était passé en 68, et qu’en penser. Un petit groupe de ces jeunes-là était dehors. Il faut qu’une porte soit ouverte ou fermée ? Hic et nunc, dans la situation du moment, le théâtre se devait d’être ouvert. Une idée que n’ont pas eue les organisateurs : pour être sûrs qu’il ne se passerait rien, il fallait  alors commémorer Mai 68 en janvier…

 Christine Friedel

Vu le 7 mai à l’Odéon-Théâtre de l’Europe, Paris VIème

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