RECONSTITUTION, texte et mise en scène de Pascal Rambert
RECONSTITUTION, texte et mise en scène de Pascal Rambert
Un spectacle né de la rencontre de Pascal Rambert avec Véronique Dahuron et Guy Delamotte, directeurs du Panta Théâtre à Caen où était programmé Clôture de l’amour de l’auteur-metteur en scène Celui-ci apprécie l’accueil et le projet de ce lieu voué à la création contemporaine et accepte de leur écrire une pièce: «Quand Véronique m’a demandé d’écrire pour eux, j’ai dit oui. J’écris donc pour Véronique et Guy RECONSTITUTION. Je sais que ce sont deux personnes qui se sont aimées et qui se retrouvent pour tenter de reconstituer le moment où elles se sont rencontrées.»
Soit une pièce en forme de cérémonial funèbre où deux personnages vont tenter de retrouver leur amour défunt, ce que fut cet amour, ce qu’est l’amour, et où ils consacrent sa perte irréparable. Une sorte de suite à Clôture de l’amour, une pièce de Pascal Rambert avec, ici, un couple déchiré, trente ans après leur première rencontre. Avec la même scénographie : une grande salle blanche éclairée par la lumière crue d’un plafonnier de tubes fluo. Au fond, de grandes tables de cantine à roulettes. La femme et l’homme, face à face, se parlent. Elle commence la conversation et lui écoute mais elle a tout organisé et d’un bout à l’autre, elle mènera le jeu,: «Là, c’est la table du passé, la table des boîtes/ notre vie dans des boîtes/ quelle ironie/ tous ces moments pliés dans des boîtes /des moments à deux puis à trois réduits à des choses pliées rangées, glissées dans des boîtes (….) donc nos deux tables du passé à l’extérieur gauche et à l’extérieur droit / entre les tables du passé la table du souper avec tout ce qu’il faut pour dîner comme on a dîné 1.460 fois ensemble/à côté entre la table du souper et ta table du passé, la table de la reconstitution.»
Ils ne sont plus très jeunes et ont de nombreux souvenirs, encombrants. Il l’a quittée et elle a alors eu un cancer du sein : « Ce qui t’as libéré, m’a tuée », dit-elle. Leur fille aussi l’a quittée : «II faut que les filles se séparent de leur mères (…) Les mères, vous êtes dingues», lance-t-elle dans une longue diatribe où elle passe du discours de son enfant, à ses propres griefs et à ses interrogations sur l’amour, le sexe, etc. Un remarquable monologue, que la comédienne interprète d’un seul élan, avec brio.
Pascal Rambert fouille impitoyablement dans les ressorts de l’amour et du désamour avec un flot ininterrompu de questions-réponses, un combat de mots où s’exprime la tension des rapports, amour et haine mêlés, passé et présent confondus. Un verbe brutal, froid, violent, aux commandes de l’action. Mais le metteur en scène rend ces mots concrets en s’appuyant sur un rituel: déplacement des tables, confection d’une soupe, manipulation de livres et photos… Des bougies s’allument devant une bâche bleue tendue, et c’est la chapelle où ils ont eu l’un pour l’autre le coup de foudre, au bord de la mer…
Les personnages portent les prénoms des acteurs et leur ressemblent-il s’agit d’une pièce sur mesure-et cela sème le trouble; même si l’intime qui s’expose ici est une fiction, la pièce se joue sur un fil, et risque à tout moment de sombrer dans le pathos. Mais les comédiens réussissent à tenir jusqu’au bout sur cette corde raide et on est bien dans une représentation théâtrale, avec la mise en scène d’une « reconstitution », opérée avec des accessoires et sur un plateau. Écriture, jeu et mise en scène, tout concourt à distiller une nostalgie douce-amère dans ce spectacle d’une grande délicatesse et d’une pudique impudeur. Des spectateurs en sortiront bouleversés mais aucun n’y restera indifférent.
Mireille Davidovici
Théâtre de l’Aquarium, Cartoucherie de Vincennes ; route du Champ de manœuvre T. : 01 43 74 99 61, jusqu’au 23 mai.
La pièce est publiée aux Solitaires Intempestifs.