L’Arbre par l’Odin Teatret, mise en scène Eugenio Barba

  L’Arbre, texte de l’Odin Teatret, dramaturgie et mise en scène d’Eugenio Barba   Crédit photo : Rina Skeel
La célèbre troupe de Holstebro (Danemark) fait escale au Théâtre du Soleil pour le bonheur du public français attaché à l’esprit de cette équipe singulière qui conçoit le théâtre comme un instant de vie pure,  à l’écart des réalités triviales. Ses acteurs ont une manière d’être au monde pour nous faire partager un temps d’existence sur  notre planète malmenée avec guerres en pagaïe et écologie sinistrée. Une scénographie bi-frontale, nous sommes assis sur des bancs gonflés d’air. Sur le plateau, un aviateur aux lunettes cerclées, un moteur bruyant dont le public ressent les vrombissements. Les comédiens jetteront un  voile blanc à trous sur les spectateurs  dont les têtes surgissent alors, comme coupées par les tyrans sanguinaires de notre époque. Il y  a aussi un arbre mort dont les branches sèches gisent sur le sol avant d’être restituées au tronc fondateur. Une violoniste, une conteuse et danseuse, un comédien et chanteur indiens dont les vociférations font trembler la scène d’une violence et puissance singulières. Comme  dans un appel au combat, à la haine, à l’émeute et au sang du crime, et à la disparition de l’humanité. Quelques chansons de Bob Dylan nous redonnent du baume au cœur mais les chants des oiseaux peinent à revenir. Il en aura fallu d’abord passer par les exécutions sommaires d’hommes, de femmes et d’enfants, dont des enfants-soldats manipulés par des adultes. Des poupées-personnages en réduction- sont la métaphore des victimes des guerres en Syrie, Irak, Srebrenica, Nigéria… Pendues aux branches de l’arbre, elles ne sont que des jouets cassés dans des mains meurtrières.  Deux moines yézidis dansent et invoquent le ciel pour que reviennent les oiseaux et que revive l’arbre vert couvert de feuilles, de fleurs et de fruits. Un poirier, peut-être. Seigneurs de la guerre en colère européens, africains, etc. eux aussi foulent la zone dévastée. L’Européen explique à son homologue africain, la nécessité de la purification ethnique et celui-ci accomplit un sacrifice humain pour que soit rendue invulnérable avant le combat l’armée des enfants-soldats … Une enfant heureuse évoque l’arbre que son père a planté à sa naissance mais une mère africaine arrive en portant la tête coupée de sa fille dans une calebasse. Pleurs, plaintes, souffrances,: les interprètes avec musique et danse jouent une partition poétique comme un conte d’enfance aux images éloquentes et cruelles. Comment les oiseaux voient-ils la terre depuis le ciel ? L’arbre de l’Histoire ploie enfin sous le poids des fruits, et offre une maison aux oiseaux voyageurs et libres.    Le spectateur pénètre dans un monde de cauchemars qu’il transcende, grâce à la poésie spontanée des hommes. Malgré toutes les horreurs.
Véronique Hotte  
imageGen.ashx
Théâtre du Soleil,  route du Champ de manœuvre, Cartoucherie de Vincennes. T:  01 43 74 24 08, jusqu’au 19 mai

Archive pour 17 mai, 2018

4.48 Psychosis de Sarah Kane, mise en scène de Christian Benedetti

4.48 Psychosis de Sarah Kane, traduction de Séverine Magois, mise en scène de Christian Benedetti

44863 sSarah Kane a vingt-trois ans, quand son premier texte Blasted (Anéantis) est créé en 1984 au Royal Court de Londres. Scandale! En cause: viol, sodomie,dévoration de bébé… Ce qui avait séduit Harold Pinter mais aussi Edward Bond: «Notre théâtre ne donne à nos jeunes auteurs de théâtre, aucune chance de se développer. Au lieu de cela, il crée un théâtre de symptômes. Quand Blasted de Sara Kane a été monté, les critiques l’ont attaqué avec rage et panique: le signe que, finalement, ils écrivaient sur quelque chose de profondément important. C’est la seule pièce contemporaine que j’aurais voulu écrire. C’est révolutionnaire.» 

4.48 Psychosis, le dernier texte de Sarah Kane (1971-1999) a été monté pour la première fois à Londres un an et demi après son suicide. Elle aura eu le temps d’écrire cinq pièces (voir Le Théâtre du Blog).  4.48 Psychosis, avait été mise en scène en France en 2002 par Claude Régy avec Isabelle Huppert. Christian ­Benedetti reprend ce solo avec une rigueur glaçante, celle sans doute qui convient le mieux à cette lente descente aux enfers d’une jeune femme dont on ne saura finalement pas grand chose. D’où vient elle, qui est-elle? Sans doute l’alter ego de Sarah Kane qui ne s’attache pas aux détails. Impitoyable, le suicide programmé (-4. 48 est l’heure qu’elle s’est fixée pour s’envoler!) est au bout du chemin. Mais le texte possède, comme en filigrane, une certaine tendresse et parfois même un humour aérant les choses dans cette guerre sans merci entre un je et un moi qui chamboule Sarah Kane, ce qui ne lui donne aucune chance de vivre longtemps.

La jeune femme est lucide quant à sa souffrance et à sa mort prochaine: pour elle, d’une évidence totale: «Un suicidé ne veut pas mourir». «Je n’ai ­aucun désir de mort, aucun suicidé n’en a­ jamais eu.» Que signifie le suicide pour elle? Que signifie cette détermination à s’effacer de la société pour celle qui s’avoue déjà morte. Elle essaye de le dire avec ses mots à elle: entre autres, des comptines très rythmées à base d’allitérations qui, dans un autre contexte, seraient presque joyeuses. Mais il y a aussi cette effroyable litanie plusieurs fois répétée des médicaments -le plus souvent jugés inefficaces- qu’elle doit prendre, et des résultats cliniques faits par les médecins. Elle le sait, les anxiolytiques peuvent sans doute alléger un moment sa souffrance mais ne peuvent rien contre cette paradoxale envie de vivre lié chez elle à un profond refus de vivre! Une équation impossible que seul, un objet dérisoire comme une paire de lacets lui permettra de résoudre quand elle voudra se pendre… Dans cette vie mal engagée où règne le désespoir, elle est en proie à un grave trauma, à une douleur morale avec risque élevé de passage à l’acte. Mais il n’y a pas pour elle d’autre issue de secours. Et on imagine mal une écrivaine comme Sarah Kane vivre jusqu’à quatre-vingt ans dans un monde qu’elle ne supportait plus !

Il y a une tension qui nait des silences que Christian Benedetti a placés dans ce spectacle où il n’y a rien d’autre que la parole. Hélène Viviès, est là, d’abord fixant le public, muette, en sweet à capuche jaune et jeans, chaussée de tennis aux lacets rouges (ceux de la future pendaison de Sarah Kane?) Les pieds sur un carré de planches noires, elle reste immobile face public et ne bougera pas ensuite d’un centimètre pour incarner ce brûlot existentiel d’une clarté absolue qui exige d’une actrice, le meilleur d’elle-même. Une performance très difficile: ce texte incandescent d’une heure dix est en effet un peu long et perd de sa force vers la fin. Mais Hélène Viviès est jusqu’au bout exceptionnelle et possède une extrême concentration. Et remarquablement dirigée par Christian Benedetti qui devrait quand même lui faire moins bouler son texte: parfois, on ne la comprend plus, mais bon, c’était la première de cette reprise….
On ne peut conseiller ce spectacle à tout le monde vu le thème abordé mais cela vaut le coup d’aller voir cette jeune actrice porter seule et sans effets inutiles, le désespoir radical de Sarah Kane.  

Philippe du Vignal

Théâtre-Studio d’Alfortville, 16 rue Marcelin Berthelot, Alfortville (Val-de-Marne). T. : 01 43 76 86 56, jusqu’au 9 juin.

Anéantis, L’Amour de Phèdre, Purifiés, Manque et  4.48 Psychose sont publiées chez l’Arche Éditeur.

 

DAROU L ISLAM |
ENSEMBLE ET DROIT |
Faut-il considérer internet... |
Unblog.fr | Annuaire | Signaler un abus | Le blogue a Voliere
| Cévennes : Chantiers 2013
| Centenaire de l'Ecole Privé...