Cardamone de Daniel Danis, mise en scène de Véronique Bellegarde

Cardamone de Daniel Danis, mise en scène de Véronique Bellegarde, (spectacle tout public à partir de dix ans)

 

(C)Philippe Delacroix

(C)Philippe Delacroix

Pour l’auteur, cette pièce écrite pour Julie Pilod et sa metteuse en scène, l’histoire, dont il déroule le fil, pourrait se passer n’importe où: au Québec, en France, dans les Balkans… Mais surtout en dedans de soi; il  s’amuse des mots et de leur forme pour les bousculer, les faire tomber tête-bêche et se relever. Renaissants et toniques comme un grand coup d’air frais venu de l’extérieur qui aurait balayé les pesanteurs quotidiennes et les habitudes.

 Ce mouvement intérieur d’une parole expressive à l’extrême, se révèle être la mise en abyme de l’aventure du personnage principal, la petite Cardamone qui avance certes difficilement sur la terre et dans la vie en chutant mais en se redressant aussi. Toujours autre, vindicative, tenace et menant sa route, quoi qu’il arrive.

Époque de migrations subies-la faute aux guerres et aux conflits territoriaux-hommes et femmes parcourent des kilomètres, des plus âgés aux plus jeunes. Cardamone, une mineure isolée, avec ses feutres en poche pour dessiner et raconter le monde, fait l’apprentissage de la vie, de manière brutale et violente. Au départ, dotée d’une fausse mère-une adulte qui aurait dû s’occuper de l’enfant-elle la quitte pour prendre en charge à son tour « une petite sans nom », un double plus fragile et se fait mère symbolique et gardienne d’une vie à protéger.

Sur la route de l’exil, elles affrontent ensemble le froid, la glace et l’égarement. Elles croisent le marcheur Curcuma, enthousiaste et ouvert qui guide la fillette, en lui montrant «les pieds-de-vent», ces rayons de lumière qui, poussés par le vent, traversent les nuages et descendent sur l’horizon, signes d’une vie salvatrice. Dans la forêt, Cardamone rencontre la Guerre: Julien Masson incarne cette figure cruelle, en haranguant le monde et interprète  aussi  le  jeune migrant fougueux Curcuma. .

La mise en scène de Véronique Bellegarde est efficace. Sous la lumière de Philippe Sazerat, Julie Pilod joue avec malice, colère et tendresse cette enfant décidée. Regardant le public dans les yeux, habitée, elle se dirige grâce au miroir qu’elle tient dans sa main, objet magique inversant ciel et terre, nuages et traces de boue. Elle s’oriente entre peurs, menaces et clairières de survie, et pour tracer son voyage, découpe au cutter des rouleaux de papier où elle écrit, dessine et illustre sa pensée. Ensuite, elle les roule en boule rageusement pour en faire une marionnette, la Petite sans nom. Une poupée presque vivante, imaginée par Valérie Lesort, prend le relais de la figurine de papier, étrangement expressive dans cette humanité recréée. Puis un vestige de poupée Barbie étendu sur le sol, représente la même enfant.

Pour décor, un arbre sec se tient fier avec, à côté, une cabane miniaturisée de bois. Sur l’écran, des images vidéo de Michel Séméniako avec des périphéries urbaines traversées par les migrants: des visions mêlées d’enfer et de rêve… Sur le sol, un morceau de miroir cassé où se reflète le visage de la grand-mère aimante qui parle toujours au cœur de la petite-fille. La musique et la création sonore de Philippe Thibault accompagnent avec tact cette expérience intense.

Véronique Hotte

Le spectacle a été joué au Colombier, 20 rue Marie-Anne Colombier, Bagnolet ( Seine-Saint-Denis) jusqu’au 19 mai. T. : 01 43 60 72 81.

Le texte sera publié chez L’Arche Editeur à l’automne. 


Archive pour 20 mai, 2018

Bérénice de Racine, mise en scène de Célie Pauthe

Bérénice de Racine, mise en scène de  Célie Pauthe

9D8736CB-96E1-48DE-997A-17F2DEBE7F42Cette tragédie en cinq actes et relativement courte:  mille cinq cent alexandrins que Racine écrivit à trente et un ans, fut  créée en 1670 avec un grand succès. Peu représentée jusqu’à la fin du XIXème siècle, c’est aujourd’hui, l’une de ses tragédies les plus jouées. Souvent mise en scène, notamment et surtout de façon remarquable par Roger Planchon en 1966, puis par Klaus Michael Grüber en 1984.

Unité de temps, de lieu et d’action, rigueur de la dramaturgie et du langage, intensité de ce moment de crise psychologique, dans un triangle de personnages amoureux,  épurement de l’intrigue, peinture  de l’amour face à un destin cruel et sans issue: tout dans Bérénice est remarquablement maîtrisé et continue à nous fasciner  plus de trois siècles et demi après sa création.

Vespasien, empereur de Rome, est mort récemment. Son fils le jeune Titus lui a succédé. Antiochus, roi de Comagène, aime en secret depuis cinq ans Bérénice, la reine de Judée et va la rencontrer à Rome. Mais l’empereur et grand ami d’Antiochus, aime aussi Bérénice et va se marier avec elle. Antiochus lui  annonce son départ à cause de l’amour qu’il a pour elle.  Titus demande à Paulin, son confident  l’avis de Rome sur ce mariage avec une reine étrangère. Très peu favorable, lui répond Paulin, car contraire à la loi. Ce que Titus sait parfaitement. Désespéré  mais ambitieux et volontaire, il décide alors de quitter pour raison d’État celle qu’il aime. Comme le raconte l’historien romain Suétone, Rome s’opposant à ce  mariage, Titus qui vient de succéder à son père, est confronté à une situation nouvelle et doit alors renvoyer Bérénice en Judée. Malgré lui, malgré elle qui se plaint de la froideur et des silences de son amant, incapable de lui répondre et qui la laisse… pour aller traiter des affaires d’État.

Ensuite Titus et Antiochus se rencontrent. Titus s’étonne de son départ sans lui en demander la raison et le charge d’une mission : annoncer à Bérénice qu’elle va devoir le quitter… ce qu’Antiochus ne veut pas faire.
Il voit la Reine qui l’oblige à parler et, après ses aveux, refuse à jamais de le voir et sort en proie au désespoir absolu. Titus envoie Paulin voir Bérénice et seul, se demande comment revenir sur sa décision mais ne le fait pas.
Bérénice et Titus sont effondrés. Situation sans issue pour ces amants : lui reconnait qu’il ne peut céder sans attenter à son honneur impérial.  Bérénice ne veut pas rester à Rome comme simple concubine et annonce à Titus qu’elle se suicidera. Antiochus lui conseille d’aller voir la Reine… Ce qu’il ne fait pas.  Arsace, le conseiller d’Antiochus lui dit qu’il est heureux de voir  que la situation est plus favorable aux amours de son maître… puisque Bérénice va quitter Rome. 

Titus montre  tout son amour pour Bérénice et demande à Antiochus d’être là quand il ira la voir  pour lui dire qu’il aime. Et Antiochus croit qu’ils se sont réconciliés. Mais Bérénice veut partir sans même écouter Titus qui l’aime toujours. Il lui arrache une lettre où elle dit que son départ est simulé et qu’elle veut mourir… Tout comme Titus qui envoie Phénice la suivante de Bérénice, chercher Antiochus. L’empereur romain qu’il veut être absolument, explique ses raisons à la Reine. De son côté, Antiochus avoue à l’empereur qu’il est son rival en amour depuis longtemps et qu’il  veut aussi mourir. Bérénice acte avec calme leur séparation à tous les trois. Unique issue possible selon elle pour sauver leur honneur: refuser la mort mais vivre, éloignés les uns des autres, avec le souvenir de cette douloureuse histoire d’amour qui a échoué… Antiochus laissera échapper un dernier hélas!

Céline Pauthe a voulu, elle aussi, s’attaquer à Bérénice  et  a voulu -bizarrement- y associer Césarée, un court film-poème de Marguerite Duras dont on entend la voix en off, projeté entre les actes. On voit en lents plans-séquences les jardins des Tuileries avec les nus en bronze de Maillol, la Seine qui coule sous les ponts et la place de la Concorde, les hiéroglyphes en gros plan de l’Obélisque et une des statues-symboles des huit villes (Lille, Strasbourg, Marseille, etc.)  en cours de restauration. On regarde ces belles images qui n’offrent guère d’intérêt et cassent un rythme déjà lent. Bérénice et Phénice, sa confidente disent quelques vers en hébreu la langue natale de la reine de Judée. Après tout, pourquoi pas? Mais beaucoup moins convaincant, le petit bricolage textuel associant le fameux: “Sois sage, ô ma douleur… de Charles Baudelaire à la fin du texte de Racine qui n’a vraiment besoin d’aucune béquille.

343565C9-AB24-4638-A06D-48993593842EDirection d’acteurs? Des plus approximatives. Mélodie Richard fait ce qu’elle peut mais n’a rien de séduisant et n’est pas vraiment Bérénice. Et elle réussit à rendre anodins les célèbres vers: “Dans un mois, dans un an, comment souffrirons-nous, Seigneur/ Que le jour recommence et que le jour finisse/ Sans que jamais Titus puisse voir Bérénice.”  Clément Bresson (Titus) fait le boulot mais semble peu à l’aise dans un rôle aussi écrasant que celui de Titus. Et on ne sent pas, sauf à de rares moments, l’amour et l’érotisme qui étreint ce couple. Dommage…

En revanche Mounir Margoum que nous connaissons depuis longtemps, est remarquable et tout à fait crédible  en  Antiochus, grand ami généreux de Titus et qui tait  son amour impossible. À la fois sincère et  désemparé, quand il  doit rencontrer Bérénice. Mounir Margoum sauve nombre de scènes qui sans lui, auraient été d’une platitude absolue… Côté confidents: celui d’Antiochus, Arsace est joué par une jeune actrice aux cheveux courts, Marie Fortuit, très efficace quand elle aide et rassure Antiochus, à chaque fois qu’il s’est fait démolir par Bérénice… Et comme cela, il y a parité dans la distribution et les féministes ne viendront pas se plaindre!  Hakim Romatif, très bien aussi en confident pragmatique de Titus, lui  rappelle avec fermeté qu’il est d’abord empereur romain, avant d’être amoureux  de la reine  de Judée.
Mais erreur de distribution: Mahshad Mokhberi, la confidente de Bérénice, n’a rien de crédible. Fagotée dans un tailleur-pantalon marron très laid qui la grossit, elle fait davantage penser à un personnage de Georges Feydeau qu’à une confidente racinienne. Plutôt ennuyeux, quand il s’agit d’une tragédie aussi célèbre… Et pourquoi Célie Pauthe oblige-t-elle ses acteurs à avoir sans cesse une gestuelle des plus compliquées et à se toucher sans arrêt, ce qui parasite le texte. Mystère…

Côté scénographie: le coup du sable blanc, toujours tentant sur le plan visuel, oblige les acteurs à adapter leur marche! Bien difficile quand on porte de minces sandales comme Mélodie Richard, de plus affublée en plus d’une longue robe en coton vert foncé, dont elle n’arrête pas de remonter les minces bretelles. L’art du costume théâtral -Roland Barthes l’avait déjà bien dit il y a cinquante ans- est vraiment difficile!

Quelques mots du petit film de Marguerite Duras ont inspiré Célie Pauthe: « De la poussière de marbre/Mêlée au sable de la mer ». Elle a donc  imaginé ce tapis de sable blanc sur tout le plateau, qui submerge une table basse de salon et remonte jusqu’à un grand canapé gris qui, mal placé, empêche les acteurs de bien circuler.
Bref, c’est une Bérénice assez ennuyeuse dont on ne peut sauver grand chose! A voir?  Oui, on n’est pas trop exigeant. On entend bien les alexandrins de Racine, c’est déjà cela mais on attendait mieux de Célie Pauthe! Le public a applaudi sans enthousiasme et semblait partagé. Enfin, il est toujours rassurant d’entendre à la sortie une jeune étudiante dire à sa copine: “ Oui, d’accord, mais quel texte! ”. Voilà, tout est dit. On peut se consoler en revoyant les images de la mise en scène de Klaus Michael Grüber…

Philippe du Vignal

Théâtre de l’Odéon-Ateliers Berthier, 1 rue André Suarès, Paris XVIIème, jusqu’au 10 juin.

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