Matka texte et mise en scène d’Elizabeth Czerczuk
Matka texte et mise en scène d’Elizabeth Czerczuk
Il n’y a qu’à Paris où l’on peut découvrir ce genre de lieu unique, tout proche de la place de la Nation et qui vaut le détour. Impossible de vous tromper, sur le mur extérieur, on peut lire: Théâtre Elizabeth Czerczuk… Description du « décor »: on entre dans un long couloir aux murs rouges ou noirs avec, sur le côté, un landau de bébé ancien en bois, contenant des poupées en celluloïd et des fils rouges. Deux beaux chandeliers aux bougies éclairent le comptoir d’accueil, et une vidéo où la metteuse en scène explique sa démarche d’une voix très forte. Plus loin, dans le couloir éclairé par de petits lustres de cristal, des mannequins de femmes en porte-jarretelles ou guêpière, et bas noirs. Il y a aussi quatre petits fauteuils: vert, rose, bleu, jaune dont le siège repose sur une grosse tête de mort. Si, si c’est vrai!
Dans le fond, un pupitre en bois d’école de campagne avec un mannequin de vieille femme, comme ceux de La Classe morte de son compatriote Tadeusz Kantor (1915-1990) adversaire intime de Jerzy Grotowski (1933-1999): deux immenses hommes de théâtre polonais qui, avec Bob Wilson mais chacun dan son genre, auront irradié tout le théâtre du XX ème siècle et que s’annexe un peu vite la metteuse en scène… On peut encore lire le nom d’Elizabeth Czerczuk en lettres pochoir découpées et répétées sur la tôle noire de la rambarde d’un escalier. Sur la gauche, un bar avec des fauteuils et un canapé aux dossiers couverts de guêpières. Décidément! Et dans les w. c, il y a aussi un mannequin nu et du papier toilette rose fuschia. Vous avez dit scénographie? Bon, on se remettra de cet étrange lieu muséal à la gloire d’Elizabeth Czerczuk!
Les six spectateurs de ce vendredi soir sont ensuite priés de descendre dans une salle au sous-sol, entièrement peinte en noir. Une probable référence à l’impressionnant mais tout simple théâtre-laboratoire de Jerzy Grotowski que nous avions pu voir à Wroclaw (Silésie). Dès l’entrée, nous entendons les premiers accords d’une musique envahissante et trop forte signée Mathieu Voisin pour accompagner Matka, dernier volet du triptyque Les Inassouvis concocté par la metteuse en scène. Avec violons et accordéon, un instrument cher à Tadeusz Kantor; il s’agit ici d’une sorte de théâtre-danse au rabais, bâti sur un montage de textes de Stanislaw Ignacy Witkiewicz dont Matka, libre adaptation d’un texte éponyme écrit en 1924. Célèbre dramaturge avec plus de trente pièces, photographe et romancier polonais, dont Tadeuz Kantor s’inspira beaucoup, du moins à ses débuts, Witkiewicz avait cinquante-quatre ans, quand, traumatisé et pris en étau par l’invasion en 1939 des armées russe et nazie, il préféra se trancher la gorge…
Dans la salle, cinq chaises grises mais pas une de plus pour le public, avec derrière, une pelouse de gazon synthétique où on peut aussi s’asseoir comme cette sixième spectatrice qui s’enfuira dix minutes après le début. Le texte-si on a bien compris-relate la vie d’une mère, à la fois séductrice et assez monstrueuse. Pas de véritable scène mais un espace assez morbide avec des miroirs sur roulettes, éclairé par des lumières rouge sang, avec, au plafond, des réseaux de fil aussi rouge sang-ce fil rouge qui manque cruellement à ce théâtre qui se veut total et très chorégraphié! Elizabeth Czerczuk voudrait bien reprendre Witkiewicz à son compte mais rien à faire, quand elle essaye en vain de créer, dit-elle, «un art contre les aliénations de notre époque, sans compromis ni demi-mesure.»
Cela commence par cette vieille ficelle du théâtre dans le théâtre avec un « spectateur » qui fait à voix haute des commentaires sur la pièce. Ce qui dérange un vrai spectateur qui s’est laissé lui prendre au jeu et qui lui demande de se taire. Pendant qu’une femme récite machinalement un texte en grande partie inaudible, pour expliquer la pensée de Witkiewicz et sa théorie de la forme pure. Il y a aussi un narrateur habillé de façon ridicule qui semble vouloir prouver le caractère absurde de ce que nous allons voir. Matka-en français-la mère est jouée par la metteuse en scène en longue robe noire, coiffée d’un chapeau où est planté un bouquet de roses rouges, qui crie un texte fragmenté et surtout incompréhensible à cause d’une mauvaise balance avec la musique… Son fils Léon (Zbigniew Rola) en longue cape rouge au grand col montant, débite un discours absurde, et six danseuses en collant de dentelle noire se lancent dans une petite chorégraphie où elles imitent plutôt bien des pantins désarticulés.
Peu de temps après, elles reviendront pour un autre et identique petit ballet, mais cette fois tout habillées de blanc, puis encore une fois avec des cerceaux de crinoline. La mère tient en laisse un homme en porte-jarretelles et bas blancs qui marche à quatre pattes… Telles sont quelques unes des images de cet univers tragique et grotesque à la fois, en tout cas d’inspiration surréaliste qu’a imaginé Elizabeth Czerczuk mais où elle ne réussit jamais à nous faire entrer… Pas un gramme d’émotion: l’ensemble ne fonctionne pas.
Serge Noyelle avec son Barokko (voir Le Théâtre du Blog) a réussi, en s’inspirant lui aussi de Tadeusz Kantor, un opéra avec des images flamboyantes et baroques. Mais ici, comme la dramaturgie, les intentions de mise en scène et la scénographie sont des plus floues, le spectacle fait du surplace. Exactement comme dans cette autre réalisation à partir de Witkiewicz, de la metteuse en scène, et que nous avions vue à Lodz (Pologne), avec les jeunes comédiens de l’Ecole du Théâtre National de Chaillot… Elizabeth Czerczuk voudrait créer un théâtre-danse total où la parole serait secondaire. Oui, pourquoi pas; oui, mais voilà, n’est pas Tadeusz Kantor, ni Jerzy Grotowski ni Pina Bausch qui veut. Et mises à part quelques belles images, on s’ennuie très vite devant les gesticulations et les insupportables rires à répétition de cet ovni à la mise en scène très approximative, sans âme, et au jeu des plus indigents…
Comme la vie est courte et que nous ne ressentions, après une bonne demi-heure, aucun début de la catharsis-pourtant fièrement annoncée par la metteuse en scène- nous sommes remonté à la surface. Il y a des limites au masochisme; restaient donc dans la salle, trois spectateurs et neuf comédiens et danseuses… Cherchez l’erreur! En sortant, nous avons pu avoir le grand plaisir de contempler, encore rappelé de façon obsessionnelle, le nom d’Elizabeth Czerczuk: d’abord sur un mur de la salle, puis de nouveau découpé au pochoir sur chaque contremarche en tôle noire de l’escalier, comme si la dame craignait qu’on l’oublie! Elle a aussi édité un premier numéro de TchErtChouk, un journal avec par précaution: en première page, le visage, et sur la page de garde, la photo en pied, puis en deuxième et troisième page, de grandes photos de qui? D’elle, bien entendu !
On l’aura compris: convoquer à son profit plus qu’à celui du public, trois des plus remarquables des créateurs et écrivains du XX ème siècle pour construire une simili-démarche de théâtre-danse, n’a strictement aucun sens. Même si Elizabeth Czerzcuk pense le contraire et écrit – sans aucune prétention! – dans l’édito de son Journal: «Mon théâtre du XXIème siècle, aux solides racines slaves, continue de prendre son envol, tout en gardant les pieds sur terre. Lié à une recherche métaphysique, mon travail sur le corps a récemment pris une direction humaine que je veux accentuer. En me familiarisant, de spectacle en spectacle avec notre nouvel espace, j’ai en effet réduit les frontières qui séparaient les artistes de nos hôtes». Sans commentaires! Mais au fait, qui peut bien subventionner ce lieu narcissique où se déroule « une expérience atypique parmi des artistes pratiquant un théâtre total» (sic)?
Enfin, si cela vous tente vraiment…
Philippe du Vignal
Spectacle vu le 19 mai au Théâtre Elizabeth Czerczuk, 20 rue Marsoulan, Paris XIIème.