Solo d’Etienne Saglio, écriture et regard extérieur de Raphaël Navarro

Les Limbes d’Etienne Saglio, écriture de Raphaël Navarro

Etienne Saglio

Etienne Saglio

Créé en 2014 au Festival Mettre en scène de Rennes, ce magicien de trente ans étincelle  avec un solo dans le Festival Magie nouvelle au Théâtre du Rond-Point où il était déjà  venu au  avec Nos rêves définitifs-Cabaret magique.. Jongleur autodidacte,  il s’est d’abord formé aux écoles de Châtellerault, Toulouse puis à celle de Châlons-en-Champagne. En 2007 il crée Variations pour piano et polystyrène et L’Envol pour son diplôme du C.N.A.C. qu’il jouera l’année suivante au Festival mondial du cirque de demain.
En 2009, il créa Le Soir des monstres joué plus d’une centaine de fois et qui continue à tourner en France et à l’étranger. Et il créa, il y a sept ans Le Silence du monde-Installation magique, puis il s’intéresse à la cuisine en créant un repas magique avec le chef Alexandre Gauthier et Raphaël Navarro.

Avec un thème pas facile à maîtriser: la mort avec une évocation des Limbes, ce lieu qui reçoit les âmes des enfants morts avant d’avoir pu être baptisés et exclues du Paradis à cause du péché originel. Ce qui serait maintenant dans le catholicisme, une option théologique. Cet endroit mystérieux a souvent  fasciné les artistes comme entre autres Mantegna, et plus récemment  Luc et Christian Boltanski, auteurs d’une une installation. Dans le Coran, les Limbes sont une sorte d’antichambre du Paradis.

«J’avais envie dit, Etienne Saglio, de parler de ce qui se passe après la mort, mais sans s’occuper de la mort elle-même et surtout, tout en douceur. » (…)  « Quand une personne décède, on ne l’enterre pas illico, on la veille quelques jours, pour que ceux qui ont perdu un proche s’y habituent et aussi que le mort lui-même s’habitue à son nouvel état. (…)  On a peu d’informations sur ce moment-là, c’est comme un mythe, et il y a donc un imaginaire commun. « 

Etienne Saglio dialogue avec son double au manteau rouge et jongle avec une étrange forme de plastique blanc qui voyage, flottant au dessus de nos têtes, et qui rebondit d’un bout à l’autre de la grande salle pleine et enveloppe littéralement l’illusionniste où il se perd. La forme va réapparaître face à une sorte de double: un pantin presque humain qui va lancer contre lui, une puis plusieurs méduses volantes qui vont l’attaquer. On entend le Stabat Mater d’Antonio Vivaldi qui nous emporte au ciel. Une épée à la main, sa propre tête sous le bras, le magicien nous défie avec une belle ironie. Ces invraisemblables visions sont bien rares, et ce voyage onirique tout à fait exceptionnel. A ne pas rater…

Edith Rappoport

Théâtre du Rond-Point, 1 avenue Franklin D. Roosevelt, Paris VIII ème. T. : 01 44 95 98 21.


Archive pour 25 mai, 2018

Pays de Malheur, mise en scène de Charlotte Le Bras

Pays de Malheur d’après le livre de Stéphane Beaud et Younes Amrani, mise en scène de Charlotte Le Bras

© Bruno Crépin

© Bruno Crépin

La Compagnie des Papavéracées propose une plongée originale dans la sociologie.  Avec une correspondance entre Younes, un «emploi-jeune» dans une bibliothèque et Stéphane Beaud, sociologue réputé. Auteur de nombreux  livres, cet agrégé de sciences sociales et diplômé de l’Ecole des Hautes Etudes, s’intéresse à ceux dont la parole accède rarement à la sphère publique, comme les ouvriers et les habitants des cités. 

En 2002, il avait publié 80% au bac  et après? Les Enfants de la démocratisation scolaire, que Younes Amrani découvre dans la bibliothèque. Il écrit alors à l’auteur pour lui offrir son  témoignage et s’ensuit une correspondance qui  deviendra un livre puis un spectacle. Stéphane Baud initie Younes Amrani à la sociologie et l’invite à expliquer son quotidien, à parler de ses origines et de son ressenti de la société où il tente de s’intégrer. On y découvre un jeune homme comme beaucoup d’autres, chargé de déterminismes dont il ne parvient pas toujours à s’extraire, malgré une bonne volonté et de réelles capacités de travail.

Peu à peu, Younes découvre des sociologues majeurs comme Abdelmalek Sayad ou Pierre Bourdieu qu’il déteste d’abord car il lui révèle cette division de la société en classes, ce qui le fait tant souffrir. Il demande des conseils de lecture à  Stéphane Beaud et lui décrit sa famille, la chambre qu’il partage avec ses trois frères, les coups de ceinture reçus du père, l’isolement qu’il subit au lycée face aux «bourgeois». Il raconte aussi comment certains de ses amis ont sombré dans la petite délinquance; il évoque aussi son rapprochement avec la religion et dit qu’il a réussi à ne pas être récupéré par des groupes mal intentionnés.

Un thème passionnant: l’enseignement de la sociologie par l’exemple, et Stéphane Beaud conseille souvent à Younes Amrani de raconter des anecdotes pour qu’il le comprenne vraiment. Grâce à cet échange de lettres, une émulation intellectuelle très positive pour Younes comme pour le sociologue à qui elle permettra d’avoir un sujet d’études réel. Et son interlocuteur aura, lui, des clés pour comprendre les poids qui ne lui ont pas permis de devenir celui qu’il voulait être. Grâce à cette correspondance, Younes calmera sa rage intérieure qui devient une colère de tous les jours.

Le spectacle consiste en un enchaînement de lettres qu’ils s’adressent mais cette forme assez figée impose un travail au plateau qui permettrait de sortir de la monotonie de cet enchaînement. Tout en restant dans une certaine sobriété et loin d’un simple  exercice de théâtre… Charlotte Le Bras y arrive en partie en choisissant pour incarner Younes  Agathe Fredonnet, Karim Abdelaziz et Hakim Djaziri qui parlent ensemble ou seuls. Parfois un peu plaqué et on voit les ficelles: tout l’enjeu étant de mettre du rythme dans la mise en scène. Caroline Lerda incarne un Stéphane Beaud moins présent que Younès Amrani: plutôt bien vu! Charlotte Le Bras a imaginé quelques interactions pour faire respirer le texte et vient ainsi expliquer son désir de faire du théâtre pour être ensemble, entre acteurs et acteurs avec le public, et se lance dans un aparté dansé à l’agréable légèreté. Au premier ou au second degré? On ne le saura jamais… Mais c’est toujours vivifiant quand le théâtre s’empare d’idées en s’appuyant sur la « vraie vie», avec plus de chances de sonner juste. Ici, grâce à un très bon point de départ, et vu la difficulté à mettre en scène cette parole forte, le spectacle bénéficiera de l’indulgence du public…

Julien Barsan

Maison des Métallos, 94 rue Jean-Pierre Timbaud, Paris XIème,  jusqu’au 27 mai.

Le texte est publié  aux éditions de la Découverte.

 

Soirée Thierrée, Shechter, Pérez, Pite par le ballet de l’Opéra de Paris

 

Soirée: Thierrée, Shechter, Pérez, Pite par le ballet de l’Opéra de Paris

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©Jean Couturier

Aurélie Dupont a reprogrammé pour cette fin de saison la pièce  The Seasons’ Canon de Crystal Pite qui avait déjà rencontré un immense succès à sa création, (voit théâtre du blog), une œuvre où l’animalité sensuelle des danseurs du ballet de l’Opéra s’exprime totalement. En ouverture de cette soirée, James Thierrée  avecFrôlons développe encore plus d’animalité et ses costumes évoquent des insectes à la recherche de leur reine.

Le titre à double sens révèle le concept  de cette création qui se joue au plus près des spectateurs, dans les espaces publics: Grand Foyer, rotondes des abonnés ou grand escalier… «Circulez! Mesdames, mesdemoiselles, messieurs, bêtes, monstres et créatures de notre imaginaire … Circulez!»  Mais James Thierrée a beau inciter à la mobilité, les spectateurs ont tendance à regarder leur smartphone, sans participer vraiment à cette ruche des sens, d’où, pour certains, une sensation d’inaction. Les danseurs, très habités par leurs personnages, font preuve d’une belle concentration  mais semblent n’avoir qu’un objectif après avoir fêté la reine au milieu des grands escaliers de l’Opéra : revenir dans leur cocon protecteur, la scène du Palais Garnier… 

The Male Dancer d’Ivan Pérez au titre paradoxal,  comprend  dix hommes travestis en costumes de femmes très colorés avec une danse sensuelle et esthétique. En contrepoint à ce groupe, Hofesh Shechter, pour son premier ballet ici, a travaillé avec neuf danseuses. Son The Art of not looking back présenté en deuxième partie, surprend et dérange. Le chorégraphe y évoque, ses rapports, entre manque et rejet, avec sa mère  qui l’a abandonné quand il avait deux ans…

Hannah O’Neill, Muriel Zusperreguy, Marion Barbeau, Héloïse Bourdon, Ida Viikinkoski, Caroline Osmont, Marion Gautier de Charnacé, Clémence Gross et  Héloïse Jocqueviel ont toutes bien intégré le langage du chorégraphe avec ses ruptures de rythme et ses pulsations du corps implorant le ciel. Cette évocation familiale indirecte est bouleversante : au milieu d’une bande-son agressive, on entend le Concerto pour deux violons en ré mineur de Johan-Sebastien Bach et la voix d’Hofesh Shechter : «Tu tentes d’être tout pour moi mais tu n’es rien. » (…)  « Je ne te pardonne pas.» Ses phrases, lancées comme des couteaux, donnent une tonalité sombre et amère à ces instants. Une belle soirée éclectique et pleine de surprises qu’il faut aller découvrir.

Jean Couturier

Opéra de Paris-Palais-Garnier (en alternance) jusqu’au 8 juin.

 

Les Langagières 2018

 

Copyright Michel Cavalca

Copyright Michel Cavalca

Les Langagières 2018

Née à Amiens en 1998, cette manifestation a connu cinq éditions, dont la dernière au T.N.P. à Villeurbanne (Rhône) en 2004. Interrompue pour des raisons financières, la voici ressuscitée, enrichie selon le même concept: «Mettre en rapport direct un poète, sa voix et un public, dit le directeur Christian Schiaretti, sans passer par les «ruses» d’un metteur en scène. A l’origine, Les Langagières étaient une offensive poétique dans les écoles et les théâtres, ce qui nous paraissait un combat que l’on pourrait gagner. Depuis, nous sommes dans un rapport défensif face à une mise à l’écart de la littérature…»

Avec l’écrivain et poète Jean-Pierre Siméon, il a mis au point un véritable marathon littéraire dans plusieurs salles du théâtre mais aussi hors les murs avec des brigades d’intervention poétique dans les écoles, des lectures sur les places publiques, les bibliothèques et les musées.  Des poètes ont aussi carte blanche pour présenter leur œuvre, et d’autres se produisent en spectacle ou en concert. Les enfants, eux, ont droit à plusieurs épisodes des Contes du Chat perché de Marcel Aymé, sous forme de théâtre d’objets.

En ouverture, pour affirmer combien la langue française doit à la francophonie, carte blanche à Tahar Ben Jelloun suivie d’un spectacle d’Abd Al Malik. «On le connaît mais on ignore souvent qu’il a commencé par la poésie: l’ombre du roman. » dit Jean- Pierre Siméon pour présenter l’auteur franco-marocain, célèbre par son roman L’Enfant de sable  et  La Nuit sacrée, prix Goncourt 1987.En résonance avec l’actuel drame de Gaza, il a choisi ce soir de lire in extenso Jenine. , ce long récit a été publié dans le recueil Le Discours du chameau. Il y donne la parole aux rescapés du massacre dans le camp palestinien de Jenine  en avril 2002. « Une femme, assise dans les décombres, » recherche « des morceaux de vies brisée ». Elle parle et d’autres voix lui font écho disant les bulldozers, les bombardements de l’hôpital : «La nuit est en vous comme ce cri. Je suis devenue ce cri», dit elle. On nous a retiré le parfum des roses (…) notre besoin de vérité est impossible à vaincre ( …). Ce texte a fait autrefois l’objet d’un spectacle et même si Tahar Ben Jelloun  n’est pas un grand lecteur, on en perçoit la construction polyphonique où se mêlent les ressentis de cette vieille femme, à des témoignages plus crus, dans une urgence à dire : « La terre est muette, personne ne me fera taire. »

Abd al MalikDans un tout autre style, Abd El Malik évoque, dans L’Art de la révolte, «la double humiliation de la misère et de la laideur des   »banlieues froides » » comme les nomme Albert Camus, son modèle et inspirateur. Il alterne des textes de l’auteur de L’Etranger, et ses compositions, inclassables  entre jazz, slam et rap.  Accompagné d’un pianiste, le jeune artiste donne des accents rimbaldiens à son Soldat de plomb : «Tout maigre dans ma grosse veste/Qui me servait d’armure/J’avais du shit dans mes chaussettes/Et je faisais dans mon pantalon/Soldat de plomb/Soldat de plomb/J’avais juste douze ans/Les poches remplies d’argent/J’avais déjà vu trop de sang/Soldat de plomb/Soldat de plomb ».

Dans ce spectacle, encadré par ses poèmes dont Gibraltar et Stockholm, il nous fait surtout partager en lecture, sa parenté avec Albert Camus, comme lui «placé à mi-distance de la misère et du soleil», expression puisée dans la préface de l’écrivain né en Algérie, pour la réédition de son premier texte L’Envers et l’Endroit. Abd El Malik, grand passeur de poésie, la sienne et celle de son «grand frère», fait sonner la langue, éclater les couleurs et la sensualité lumineuse de Noces à Tipaza: «Abd El Malik comme votre humble écho», écrit-il dans une lettre  à Albert Camus à l’occasion d’un spectacle qu’il lui a dédié.

Chaque soirée se clôt par  un concert. Aujourd’hui  avec Velvet in the bled, Wahid Chaïb nous livre une dizaine de chansons en français et dans le dialecte de Sétif, celui de ses parents venus d’Algérie. Des textes drôles et émouvants accompagnés par Alaoua Idir à l’oud et à la guitare électriques: «On passe des Aurès, à Barbès, comme on passe du couscous, à la bouillabaisse.» Enfants de Villeurbanne, ils métissent langues et genres musicaux avec talent et originalité.

FW3A0908-24Le lendemain, le grand poète Jacques Roubaud lit avec gourmandise et simplicité de courts poèmes et captive l’auditoire. «Je suis un crabe ponctuel», dit-il, premier vers et titre de son Anthologie personnelle qui rassemble des textes de diverses époques. Le ton est donné, entre humour et nostalgie. Rondeau de l’écureuil, Rondeau des moineaux, Rondeau du quatuor des girafes, Rondeau de la famille raton laveur distillent une part d’enfance : « C’est le jour de la grande lessive dans la famille raton laveur».

Il dit, pudique et précis, les ciels étoilés, les délices de la vie, l’amour et la vieillesse. Quelques pastiches nous amusent comme Pont Mirabeau; et dans ce qu’il appelle des «poèmes hospitaliers» il raconte, ironique, ses graves ennuis de santé. Et voici, puisqu’on est dans un théâtre:  Antoine Vitez : selon lui un «janséniste baroque/et modeste d’orgueil». Voix claire et précision d’horloge, le poète-mathématicien fait entendre les silences autant que les mots, et propose une promenade tranquille dans son œuvre. Et, en conclusion, évoque «l’ermite ornemental/que poète je fus». Il répond au public avec le même gravité amusée : «J’essaye quand je lis mes poèmes de respecter les vers ( …) La différence avec la prose, c’est qu’il y a un ton, une manière de signaler que c’est de la poésie. » « La France, dit-il, est un pays assez étrange ; la poésie est de plus en plus invisible. (…) Ou bien la France est à part, ou bien la France est à l’avant garde de ce qui va arriver ailleurs. (…) Le rôle de la poésie est de défendre la langue dans laquelle cette poésie est composée. Toute langue est menacée.»

FW3A1235-78Un autre poète, Valère Novarina, partage le souci de cette disparition dans Une Langue inconnue qu’il lit, accompagné par Mathieu Lévy, au violon. Enfant, il entendit sa mère chanter une chanson hongroise, écrite pour elle par Istvan, son amour de jeunesse. Il se prend à rêver : «J’aurais pu être hongrois, être juif ou ne pas être…»  Dès lors, il adopte le hongrois comme une secrète et seconde patrie, comme une langue maternelle incompréhensible. Ce qui le mène, de fil en aiguille, au patois de sa Savoie natale: «idiome de la vengeance poétique… langue des mains, des marcheurs, des arpenteurs.»  «Cinq mots pour dire la boue, six pour la neige »… Une langue qui dit les paysages et les travaux de la terre et des bois.

 Le même soir, on pouvait découvrir Jean Rouaud à la guitare. Le romancier des Champs d’honneur révèle un autre versant de ses talents et présente, jovial, en poèmes et chansons, «la poésie « rubriquée » comme un journal pour dire le monde».

Les Langagières réservent d’autres surprises comme les «grands cours» : une heure  chaque jour avec des poètes, chanteurs, gens de théâtres, sur les multiples manières de se saisir de la langue. Christian Schiaretti inaugure ce cycle en parlant de son expérience d’acteur et metteur en scène; avec humour et érudition, il expose, exemples à l’appui, les différents enseignements, souvent contradictoires, que reçoivent les comédiens, sur la façon de dire les alexandrins ou les vers libres. Il dit aussi son attachement au théâtre public  pour diffuser la culture et aborder notamment «les rives poétiques» avec «un théâtre d’art». Cette manifestation vise, dit-il encore, à ce «que les poètes soient concernés par le théâtre, et que le théâtre soit concerné par les poètes.»  

Le public, venu en nombre, savoure  ces rencontres’ Comme quoi, il reste encore un intérêt pour la poésie. À condition qu’on s’emploie comme ici à la populariser…

Mireille Davidovici

T.N.P.  8 place Lazare-Goujon, Villeurbanne (Rhône ). T. : 04 78 03 30 00, jusqu’au 2 juin.

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