Les Plateaux sauvages chez eux

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Elle voulait mourir et aller à Paris, texte, mise en scène et musique de Joachim Latarjet

One night with hollywoodlawn, A law life in high heels de Pierre Maillet/Les Lucioles

Un Dimanche au cachot, d’après le roman de Patrick Chamoiseau, adaptation de José Pliya, mise en scène de Serge Tranvouez

À la fin d’une saison hors-les-murs, voici Les Plateaux sauvages chez eux. L’ensemble architectural est modeste (pas mal de m2 quand même), peu visible de la rue entre  tags, herbes folles et niveaux de guingois.  Mais très clair à l’intérieur et qui a retrouvé ses couleurs et ses volumes des années soixante; l’ancien XXème Théâtre, ex-Amandiers de Paris y a gagné, réveillé par les espaces voisins de l’ancien centre d’animation, clairs, ouverts, rajeunis, verdoyants… Et -juré, promis-, les terrasses vont se transformer en potagers suspendus et le patio accueillera des transat à la belle saison. Ces Plateaux offrent déjà  des salles de travail et répétitions, des studios. «C’est une fabrique», dit la directrice, metteuse en scène et comédienne Laëtitia Guédon.

 Donc, pas de séries de représentations mais des «rendez-vous publics» pour partager le résultat d’un travail, accompagnés d’une transmission, d’un échange de pratiques entre artistes et public amateur. Echanges aussi avec d’autres théâtres de la ville de paris, en tenant compte de la  spécificité du quartier : une tour de Babel. On la prend au mot ? Les Plateaux Sauvages abritent aussi dorénavant la Maison Antoine Vitez, Centre national de la traduction du théâtre.

Donc une évidence: choisir pour ouvrir la maison, Elle voulait mourir et aller à Paris de Joachim Latarjet, accompagné d’un lever de rideau avec des amateurs du quartiers:  My way ou comment une chanson a construit ou bouleversé la vie de chacun. Une histoire d’exils qui parle à tous, surtout ici. Il était une fois une famille grecque chassée par la victoire des Turcs, de ce qu’on appelait l’Asie Mineure: la grande catastrophe. Le père vend des rubans dans la rue, ça marche et cela donne une famille grecque de Thessalonique bien plantée dans sa langue. Mais voilà, la fille de la maison s’en est servie pour autre chose, de sa langue: elle a embrassé un garçon au cinéma. Plutôt que la réclusion dans un couvent à Tinos, elle choisit de partir avec une famille de touristes français.
Nouvel internat catholique, mais la liberté. Le garçon oublié, elle jure qu’elle sera plus française que les Françaises. Ce qui nous amène à Joachim Latarjet, alternativement imprégné de langue grecque par sa marraine ou ses grands-parents, et interdit de grec par sa mère.

Récit joué, avec de la vraie musique et un humour délectable, d’un exil qui veut en oublier un autre, d’une “assimilation“ dont les grumeaux remontent à la génération suivante, Elle voulait mourir et aller à Paris est un vrai petit bijou. Grands sujets et moyens modestes, jeu des comédiens rapide et stylisé –peu d’effets, mais une belle acuité- et on en redemande : le spectacle a déjà été vu au Carreau du Temple à Paris, aux Subsistances à Lyon, et  au Centre Dramatique National de Sartrouville.

res-pierrePierre Maillet, des Lucioles, inaugure en même temps, une formule cabaret avec son One night with hollywoodlawn, A law life in high heels. Ou comment Holly (il-elle a oublié son prénom de naissance), débarquant à New York, passe des nuits dans le métro, à l’underground chic (on ne disait pas “branché“ dans les années 70) d’Andy Warhol, «une touffe» à peine aperçue, et sa bande. De la misère aux paillettes de star et retour. Hauts et bas, garçon et fille, avec de très bons musiciens à transformations, Pierre Maillet est souvent drôle, plein de finesse et, paradoxalement, de pudeur. Et par là même, il déjoue un peu son propre spectacle : rien de grave, je ne fais que passer…

Les Plateaux sauvages sont une fabrique : la maîtresse de maison relève le défi et paie de sa personne. Comédienne et metteuse en scène, Laëtitia Guédon sait de quoi elle parle quand il s’agit de temps et de lieux de travail, du besoin et du bonheur de transmettre l’essentiel de cette recherche. Contre l’image romantique et condescendante de l’artiste irresponsable qu’il vaudrait mieux mettre dans les mains d’un intendant, elle assume le double risque de diriger une maison et d’affronter le public.

Un-Dimanche-au-cachot-C-Baptiste-Muzard-150x150Elle met donc son élan au service de la langue de Patrick Chamoiseau. Un dimanche au cachot, un texte inclassable et foisonnant : roman, poème, essai, dialogue avec un lecteur imaginaire… Patrick Chamoiseau, dans la peau d’un éducateur, sauve une adolescente traumatisée en lui racontant l’histoire de l’Oubliée: il connaît la puissance du symbolique et la nécessité de mettre en pleine lumière le refoulé qui, de toute façon, revient. Pour la scène et pour une actrice, José Pliya a pris le parti radical et juste de resserrer le monologue sur le récit de l’Oubliée.

Enfermée sur son lit de cailloux, la dernière esclave n’a plus de nom. Chabine, métisse, ça suffira. Un jour, rêve ou réalité, elle a une permission de sortie et joyeuse, s’arrête aux portes de l’église : c’est ça Dieu ?  C’est ça, la liberté ? Révolte, cachot. Elle pourrait mourir : manger de la terre, avaler sa langue, puisque, de toute façon, on lui interdit de parler… Elle devient l’Antigone de l’Habitation (nom martiniquais des plantations) et le caveau se peuple de symboles vivants : sorcière, serpent, hurlement des chiens, et joie de savoir que le Vieil esclave qui n’avait jamais rien dit, s’est enfui. Elle se fantasme enceinte de lui, et c’est bien cela : elle est enceinte de la Liberté. Elle peut prononcer le mot, s’en repaître, s’en délecter. Alors les chiens se calment et le serpent se fait ami.

Impossible de résumer ce flot poétique. Laëtitia Guédon s’y donne, on l’a dit, avec toute sa gaîté généreuse, sa force de comédienne, mais avec un peu trop de volontarisme, tempéré par la présence et la partition musicale discrète de Blade MC Alimbaye. Le spectateur sera comblé quand la comédienne ose s’abandonner à l’écoute d’un petit souffle, d’un silence, l’écho renvoyé par l’Oubliée du fond de son cachot. Peu importe, c’est aussi le travail du  public, comme Patrick Chamoiseau fait travailler son lecteur. Spectacle à voir au Théâtre des Quartiers d’Ivry ou au Tarmac; on peut y emmener les enfants ou adolescents et ensuite, lire son livre…

Christine Friedel

-Elle voulait mourir et aller à Paris, (en tournée).

-One night with hollywoodlawn, aux Plateaux sauvages, Paris XX ème. T.01 40 31 26 35, jusqu’au 1er juin.

-Un dimanche au cachot, jusqu’au 31 mai, au Théâtre des Quartiers d’Ivry. T. 01 43 90 49 49,  et les 12 et 13 juin au Tarmac, Paris XXème. T. : 01 40 31 20 96

 


Archive pour 26 mai, 2018

La treizième Biennale de Dakar: impressions

La treizième Biennale de Dakar: impressions

logo-dakart-300x300Dans une des plus grandes villes d’Afrique: 400.000 habitants dans les années 1970 et maintenant plus de trois millions, soit près du quart de la population du Sénégal, cette Biennale est une très importante manifestation, née de la volonté de l’État et des artistes qui, depuis les années 70, organisaient déjà régulièrement des salons consacrés à la création. Créée en 1989, avec une première édition dédiée aux Lettres l’année suivante, puis à l’art contemporain en 1992, et à la création africaine à partir de 1996.

La première édition de Dak’Art n’avait pas accordé la priorité aux artistes africains mais favorisait déjà la rencontre d’expériences entre eux et les professionnels. Depuis, la Biennale est devenue un lieu d’expression artistique mais aussi sociale: “Les politiques ont majoritairement échoué à transformer la vie de millions d’Africains, dit Hamidou Anne, consultant en communication institutionnelle sénégalais. Ils ont érigé un système inégalitaire qui a failli et qui ne laisse entrevoir aucune solution durable à moyen terme. Bien sûr, notre salut ne viendra pas de l’art car sa vocation n’est pas de nous sauver mais d’ouvrir nos yeux sur l’Afrique telle qu’elle devrait être, ou tout simplement, telle qu’elle est.»

Ce qui a sans doute changé: Dak’Art a, depuis une dizaine d’années, une renommée mondiale, même si cet événement reste encore dépendant d’organismes étrangers. Et si, au Sénégal, il y a des galeries mais pas encore de musée d’art contemporain… Dak’art est aussi appelée L’Heure rouge, en référence à quelques mots d’une courte pièce d’Aimé Césaire. Internationale et programmée dans des lieux officiels, malgré les retards et difficultés financières, elle regroupe les œuvres de quelque soixante-seize artistes africains venus de trente-trois pays: Sénégal bien sûr, Ethiopie, Bénin, République du Congo, Afrique du Sud, Maroc, etc.  Et européens Belgique, France continentale et Martinique  mais aussi méditerranéens: Tunisie, Egypte…

Il y aussi un peu partout une partie Off, avec un guide remarquablement bien édité. Dans des galeries, bien sûr, mais aussi des écoles, institutions, hôtels, entreprises, cours, restaurants ou lieux alternatifs, y compris un ancien marché au sol de sable et aux murs en mauvais état, avec le collectif Agit’Art… Et cela surtout à Dakar mais aussi à Saint-Louis. « La décentralisation engendrée par les sites off, disent ses organisateurs, remet en question l’idée d’un art global et l’existence d’un art contemporain africain monolithique et panafricaniste, comme le In peut prétendre le représenter (…) et en même temps elle multiplie ses pôles, tout en la rapprochant de la population. (…) Tout l’événement se fait alors plus accessible.”

 Laeila Adjovi

Laeila Adjovi

C’est donc un moment riche d’informations et unique au monde. Avec un village de la Biennale, la Galerie nationale, le Musée de l’IFAN-Théodore Monod, l’ancien Palais de Justice, le Grand Théâtre National… Et cette manifestation est aussi l’occasion de remettre des récompenses comme le grand Prix Léopold-Sédar Senghor à la photographe franco-béninoise Laeila Adjovi. Celui de la Diversité, attribué par l’Organisation internationale de la Francophonie (OIF) et doté de quinze mille euros remis à l’artiste marocaine Souad Lahlou. Le prix spécial de l’Union économique et monétaire ouest-africaine-cinq millions de francs CFA-a été donné à l’Ivoirien Franc Fannie Aboubacar, et celui du Ministère de la Culture, au Nigérian Tejuoso Olanrewague pour son œuvre Oldies and Goodies.

Autre lieu du In de cette biennale: la maison construite en 1978 par l’écrivain Léopold-Sédar Senghor, premier président du Sénégal, décédé en 2001 et qui y a vécu avec sa famille de 1981 à 2001. Il l’appelait « Les dents de la mer ». Achetée par l’État, et réhabilitée pour en faire un musée, elle a été ouverte au public, il y quatre ans et fait penser aux architectures couleur ocre du Mali. Il y a une tapisserie  de la Manufacture des arts décoratifs de Thiès, et des sculptures africaines. Son bureau ouvert sur le parc est resté intact et dans sa bibliothèque: des livres d’écrivains africains, des dictionnaires français, la Bible, le Coran, et des photos de Philippe Maguilen Senghor, son fils mort dans un accident  en 1981, à vingt-trois ans…

Musée de la Femme Henriette-Bathily

Musée de la Femme Henriette-Bathily

Autre lieu emblématique du In,  le Musée de la Femme Henriette-Bathily, une institution conçue dès 1987 par le cinéaste Ousmane William MBaye et lancée en juin 1994. Et présidée par Jocelyne Nugue jusqu’à sa mort. Situé avant 2014 sur l’île de Gorée,  il a été transféré Place du souvenir à Dakar. C’est une sorte d’hommage à la vie de toutes les femmes du Sénégal et d’ailleurs, porteuses d’histoire et animatrices de l’éducation permanente. Le Consortium de Communications Audiovisuelles en Afrique (C.C.A.) dirigé par Annette Mbaye d’Erneville et soutenu par un comité: historiens, sociologues, etc. veut que cette maison de la Femme contribue à la mise en place et au renforcement des instruments indispensables d’éducation, d’émancipation, d’armement moral et scientifique de toutes les femmes sénégalaises. Où a eu lieu pendant cette biennale Dénouées, une exposition d’un collectif de quinze femmes artistes.

 2018-05-08Wakh’Art, (parler art en wolof) a ouvert la Boîte à idées, un lieu culturel dynamique  et facteur de développement fondé  il y a sept ans par Ken Aicha Sy, un jeune designer. C’est une sorte d’incubateur  pour les artistes et les  amateurs d’art peuvent y découvrir les dernières tendances. Dans une maison située quartier Fenêtre Mermoz avec comme décoration: des pneus recyclés comme d’anciens pots de peinture et autres objets récupérés. Les murs couverts de graffs appartiennent aux artistes de passage. Entre autres, le chanteur Faada Freddy, le photographe sénégalais Yace Banks, le peintre camerounais Fred Ebami, ou encore le musicien d’Haïti Jowee Omicil. Et en ce moment, une exposition du Camerounais Gabriel Dia. Il y a aussi une médiathèque et des espaces pour ateliers, expositions, performances, concerts de rap, projections de films, et  déjeuners une fois par mois avec vente de tableaux, sculptures, etc. Dans ce lieu accueillant consacré à la culture alternative, on peut louer à prix raisonnable un studio et une chambre…

Dans la maison du célèbre sculpteur sénégalais, Ousmane Sow décédé en 2016, on peut circuler librement sous les vérandas où ont été installées ses œuvres, celles à la fois connues comme les statues de Nelson Mandela, De Gaulle, Victor Hugo… et d’autres moins connues, ou restées inachevées. Et on peut aussi entrer dans son atelier resté en l’état.

Dak’art est décidément une manifestation importante d’art contemporain, avec plus de peintures que de sculptures, lesquelles surtout créées par des hommes.Mais aussi des vidéos,  œuvres d’art numérique, installations, performances, présentations publiques, concerts, etc. Une biennale sans doute unique en Afrique, dans cette immense ville sans banlieue entourée par l’océan. Le In comme le off sont, pourrait-on dire, un laboratoire des diversités du monde, ce qui nous permet de sortir des préjugés et stéréotypes sur l’art dit « africain ». Au fait, pourquoi  on ne dit jamais « art européen »?  

Guy Lenoir qui était présent à cette Biennale a réussi, avec Migrations culturelles qu’il a crées à Bordeaux vers 1980, à monter  des manifestations et des expositions comme en janvier dernier avec une vingtaine de créateurs africains, vivant ou non en France. « Ils nous aident, dit-il, à déconstruire les préjugés, comme ici la Biennale. Ces actions  artistiques lient les habitants de notre région aux artistes africains qui ont souvent une belle maîtrise de la peinture et des outils technologiques. J’aime leur insolence, leur intelligence. Au Sénégal  des hommes et des femmes à la culture raffinée, et de la trempe de Senghor ont poussé les artistes vers le haut. Le pays a maintenant des centres d’art et de culture, des écoles d’art et une biennale internationalement reconnue. Après avoir fait longtemps cavalier seul aux côtés de l’Afrique du Sud, le Sénégal et sa Biennale se retrouvent au cœur de l’actualité des arts de tout le continent. Malgré le manque de couverture médiatique internationale, elle rayonne bien au-delà des frontières et surfe sur l’engouement actuel de la presse, du public des capitales européennes, des collectionneurs et de la progression du marché. La Biennale bénéficie aussi du travail de commissaires talentueux et du débat actuel sur la restitution des bien par les pays colonisateurs… Dak’art est à l’image d’un pays étonnamment jeune, bouillant et désordonné mais séduisant et passionnant, et est devenue un curseur et un arbitre de la qualité et souligne les points forts des artistes, qu’ils soient du continent ou des diasporas.

Il récolte aussi les fruits du travail mené depuis les années 1990 dans le milieu très fermé du monde de l’art: expositions et résidences internationales, apprentissage dans les domaines de l’image et du numérique mais aussi, soutien de fondations, appels à projets, professionnalisation des métiers de l’art, reconnaissance des droits et protection des artistes qui ne sont plus considérés comme des citoyens à part, attrait des chercheurs,  galeristes et acheteurs du monde entier. Pour autant, l’art n’a pas acquis ici toute la popularité souhaitée. Dak’art reste une manifestation surtout suivie par l’élite culturelle et politique mais on  attend que la société  et l’Etat sénégalais assument leurs responsabilités. »

Comme le dit Guy Lenoir, c’est une question récurrente ici et dans nombre de pays africains. Mais sait-on qu’a été construit il y a cinq ans à Ouidah  (Bénin),  le premier musée en Afrique-mis à part l’Afrique du Sud-consacré à l’art contemporain. Une initiative de la fondation créée en 2005 par le financier franco-béninois Lionel Zinsou qui a aussi ouvert un centre artistique à Cotonou, la capitale…

Jean Digne

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