Berlin Kabarett, conception, écriture et mise en scène de Stéphan Druet, musique de Kurt Weill
Berlin Kabarett, conception, écriture et mise en scène de Stéphan Druet, musique de Kurt Weill et Stéphane Corbin, Friedrich Hollaender, Fred Raymond, Dajos Béla, Henri Christiné
À cour, quelques costumes sur un portant, un grand miroir sur pied, une table des années vingt, et la loge de Kirsten, directrice du cabaret. Chacun de ces personnages pour le metteur en scène représentent une catégorie artistique. Karl : les auteurs, Fritz les musiciens, etc.» On aperçoit aussi une reproduction de Rue à Berlin, un tableau de George Grosz (1893-1959). Comme pour nous rappeler dans ce lieu clos de débauche et de fête, la vie de la rue où se croisent pauvreté, labeur mais aussi arrogance de l’argent. Stéphan Druet a souhaité qu’il y ait dans ce spectacle une «alternance constante entre le dedans et le dehors des lieux et des êtres… ». Et après cette entrée en matière, plutôt conviviale, nous voilà au cœur du sujet : à la fin de la seconde guerre mondiale, Kristen, une ancienne prostituée, répond à un interrogatoire de la police française et parle de son cabaret dans un ville emblématique en plein chaos, sous la République de Weimar.
Elle dirige cet endroit à la fois réputé et décadent et entretient une relation haineuse avec son fils Victor, à qui elle impose de présenter des numéros de travesti. L’histoire de cette femme déterminée et cruelle, connaîtra comme l’Allemagne, un destin tragique, avec, en toile de fond, la montée du nazisme. L’intime rejoint ici l’universel. Pour Stéphan Druet, Kirsten « est un monstre façonné par l’ambition et par l’angoisse. En 1928, l’Allemagne sentait l’approche de la tragédie inéluctable qui allait s’abattre sur elle. Une sorte d’esprit destructeur envahissait certains … ».
Mais Berlin Kabarett n’a rien d’un spectacle historico-politique ni d’une reconstitution de cabaret berlinois. Mais cette création dramatique et musicale originale permet de découvrir la richesse artistique, l’audace, la décadence mais aussi l’érotisme de ces années vingt, magnifique moment de l’expressionnisme allemand avec des artistes comme Emil Nolde, George Grosz, Otto Mueller, Max Pechstein, Otto Dix.. Et dont ici les maquillages sont inspirés. Mais c’est aussi l’occasion pour Stéphane Druet, grâce à la transfiguration poétique et théâtrale, de parler de l’Histoire entre les deux guerres, du chaos de l’Allemagne, et de l’horreur en marche… Et l’ambiance du cabaret se confondra avec celle du pays sous la République de Weimar puis de ses effroyables années à venir.
Ce théâtre musical commence avec légèreté et dans une humeur joyeuse mais cynique et tendue jusqu’au bout. Avec fascination et plaisir, nous assistons à des numéros de chant, danse, et jazz, typiques du cabaret berlinois avec entre autres, Nana’lied (Bertolt Brecht/Kurt Weill/Boris Vian) chantée par Marisa Berenson. La voix et la grâce de cette grande comédienne aux yeux magnifiques- inoubliable dans Barry Lyndon de Stanley Kubrick- donnent une note cristalline très personnelle à Kristen, cruelle derrière un visage d’ange! Imaginatives et justes aussi, les chansons écrites par le metteur en scène et mises en musique avec talent par Stéphane Corbin, lui-même aussi auteur et interprète.
On est ébloui par Sebastiàn Galeota, incroyable danseur-acrobate-chanteur d’un charme fou qui crée une émotion rare, et il y a certains moments magiques comme, parmi tant d’autres, celui où Fritz, Victor et Karl chantent au piano. Félicitations au chorégraphe Alma de Villalobos, à Denis Evrad pour ses costumes, à Vincent Heden pour la direction du chant et à Christine Toussine pour les lumières. La mise en scène et la direction de ce Berlin Kabarett frôlent la perfection!
Elisabeth Naud
Théâtre de Poche-Montparnasse, 75 boulevard du Montparnasse, Paris VI ème. T. : 01 44 50 21, jusqu’au 15 juillet.
Le spectacle sera repris en octobre au Théâtre de Poche.