Guerre et Térébenthine, d’après le roman de Stefan Hertmans, adaptation et mise en scène de Jan Lauwers
Festival de Marseille 2018 : vingt-troisième édition
Guerre et Térébenthine, d’après Stefan Hertmans, adaptation et mise en scène de Jan Lauwers
Le metteur en scène belge présente, pour la première fois en France, et en langue française, cette adaptation théâtrale créée en flamand l’an passé. « Le spectacle est le énième coup de poing cristallin d’un grand penseur, poète visionnaire et essayiste incisif», dit-il, de son ami Stefan Hertmans. Le roman raconte la vie d’Urbain Martien, son grand-père, à partir de deux gros cahiers de notes trouvés dans les archives familiales : une enfance misérable, l’horreur de la guerre dans les tranchées, son amour pour une femme décédée trop tôt, et la peinture, art hérité de son père et qui le sauvera de la folie. Après La Chambre d’Isabella, inspiré par l’histoire de son père, Jan Lauwers s’immerge dans une autre saga, celle d’un homme ordinaire, pris dans les remous du siècle dernier et qui a consigné avec force détails, un destin partagé avec tant d’autres.
Il a confié la narration à sa complice de toujours, la talentueuse Viviane De Muynck, qui nous entraîne avec passion et humour dans une succession d’épisodes. On pénètre avec elle dans la masure des parents du jeune garçon, puis à la fonderie où il travaille. On se trouve ensuite longuement immergé dans les horreurs de la Grande Guerre. La pièce conserve la structure de ce roman en trois parties (enfance, années de guerre temps d’après-guerre) mais ce récit transposé au féminin met en relief le personnage de Gabrielle, la deuxième épouse d’Urbain et sœur de son grand amour irremplaçable, qui vécut dans l’ombre de la défunte.
Au fur et à mesure qu’elle raconte, le plateau du théâtre s’ouvre à des scènes sans paroles interprétées par les comédiens-danseurs de la Needcompany. Des fumerolles de la fonderie, émergent des formes mystérieuses, manipulées par des ouvriers anonymes. Puis éclate l’enfer de la guerre : les mots pour la dire s’inscrivent, laconiques, sur des châssis mobiles qui, comme l’ensemble du décor, sont en constante dislocation. L’orchestre aussi se déchaîne en une musique apocalyptique. Installés sur un plateau lui aussi mobile, les musiciens épousent les péripéties de l’action permanente.
Les quelque six cents pages du roman qui abondent en détails, se traduisent par un spectacle de deux heures où les évènements se mêlent au récit, et pallient ce que les mots seuls ne sauraient montrer. La violence et la mort s’expriment à travers les corps en furie ou agonisants et un livre d’images atroces se déploie page après page. Qui s’apaisent avec la fin du conflit mais sans que jamais la tension ne se relâche, car les drames domestiques viendront assombrir l’existence d’Urbain.
La musique pour piano, violoncelle et violon, de Rombout Willems mêle écritures contemporaine et classique, à l’instar de la rupture esthétique qui s’est opérée dans l’entre deux guerres. Rupture qui n’a pas affecté la pratique artistique du héros incarné par le peintre Benoît Gob. Silencieux, il fait des dessins académiques projetés sur deux écrans de part et d’autre de la scène. Des copies de tableaux néo-classiques vont dans les dernières séquences progressivement envahir l’espace: animaux, paysages, portraits et la Vénus au miroir de Diego Velasquez, où notre héros aurait peint le visage de sa bien-aimée.
Jan Lauwers, formé à l’Académie royale des Beaux-Arts de Gand a toujours ce même penchant pour les arts plastiques: «À mon sens, écrit-il, la véritable tragédie de ce livre réside dans le fait que le vingtième siècle est impossible à comprendre, et que, pour la plupart des gens, l’art moderne et contemporain s’est avéré impitoyablement rapide et iconoclaste. C’est en ce sens qu’il faut comprendre le héros de l’histoire. Il a été broyé par les horreurs de ce vingtième siècle et par sa propre incompréhension de ce que devrait être la beauté. »
Le metteur en scène a su traduire en images, mouvements et émotions, l’univers de son compatriote, par le biais de sa propre vision . «L’adaptation théâtrale d’un roman est délicate et pleine de risques, plaisante-t-il. Cela me rappelle à chaque fois cette vieille blague du curé qui sort du cinéma après avoir vu un film hollywoodien, La Bible et qui marmonne « Le livre était mieux…» Pour en juger, on pourra lire le roman de Stefan Hertmans. Jan Lauwers signe ici de toute évidence une œuvre originale, en dialogue avec son modèle.
Mireille Davidovici
Spectacle vu le 28 juin au Théâtre du Gymnase, à Marseille
Les 14 et 15 septembre, Hellerau, Dresden (Allemagne)
Et en Belgique le 5 novembre au CC de Spil, Roselare, le 8 novembre , Concertgebouw, Bruges.le 10 novembre, CC Strombeek ; 15 novembre, Mars, Mons; les 22 et 24 novembre Vooruit, Gand .Le 1er décembre CC De Werf, Aalst: le 5 décembre de Warande, Tunrhou le; 7 décembre Schouwburg, Kortrijk; le 9 décembre CC Zwaneberg, Heist-op-den-Berg (Belgique) ; 18 décembre CC Sint-Niklaas du 23 au 25 janvier Théâtre national Wallonie-Bruxelles, Bruxelles.
Les 28 et 29 mars Teatro del Canal, Madrid et les 3 et 4 avril Opéra de Dijon( Bourgogne).
Le calendrier de tournée des spectacles programmés pendant le Festival est régulièrement mis à jour et consultable : bit.ly/2kyejvr
Guerre et Térébenthine, traduit par Isabelle Rosselin est publié aux Editions Gallimard