Notules sur l’art de l‘installation
Notules sur l’art de l’installation
Une installation- le mot date des années 70- toujours en trois dimensions et souvent créée pour un lieu extérieur ou intérieur mais où joue la lumière naturelle, avec parfois des artistes intervenants. En tout cas, conçue pour modifier la perception d’espaces (galerie, musée, atelier, salle…) ou naturels. Et alors souvent proche du land-art mais aussi parfois d’un certain théâtre muet.
Grand précurseur, Allan Kaprow (1927-2006), influencé par Marcel Duchamp, Antonin Artaud mais aussi par Erik Satie, avait suivi les séminaires de John Cage dès les années 1950. Le but étant pour lui, d’effacer les frontières entre art et non-art, une sorte de banalité maintenant mais qui, à l’époque, fit l’effet d’une bombe dans les milieux artistiques traditionnels .
Cet héritier des dadaïstes créera le happening (ou « action theater »), terme inventé par lui et qui participait déjà aussi de l’installation. Avec le plus souvent quelques musiciens, des peintre, sculpteurs et/ou gens de théâtre, et un public limité. Comme Allan Kaprow l’explique dans Assemblages, environnements et happenings, une analyse des œuvres de Robert Rauschenberg, Jim Dine, Claes Oldenburg, du groupe japonais Gutai ou l’allemand Wolf Vostell, un des premiers artistes allemands d’installation et membre du groupe Fluxus.
L’installation peut être permanente, ce qui l’apparenterait à une sculpture grand format, et même plus que tout spectacle, très éphémère… Avec les risques du plein air: pluie, grand vent, tonnerre, extrême chaleur, froid humide et insidieux comme à l’Hôtel de Sully (voir plus bas). Ou physiques : chute d’un accessoire défaillant ou parfois mais rarement-intervention d’un spectateur mécontent, pannes de régie son et/ou lumière, pollutions sonores ou visuelles imprévues.
Lesquelles pouvant être aussi parfois prises en compte et intégrées dans une mise en scène théâtrale comme celle formidable d’Oncle Vania à la campagne d’Anton Tchekhov joué dans un pré à Porentruy (Suisse) par le Théâtre de l’Unité (voir Le Théâtre du Blog). Avec, au début de la représentation et non prévus: les échos d’un mariage avec son des cloches lancées à toute volée, applaudissements, rires joyeux et coups de feu en l’air, puis sifflet et arrivée sonore d’un train de campagne… Un bruitage fabuleux du au hasard, et dont rêverait tout metteur en scène! Avec aussi le passage dans le pré et en silence de trois cavaliers sur leur chevaux mais cette intervention était, elle, bien préparée). Ou encore cette belle image d’un gros chaudron sur un réchaud à gaz où cuisait, le temps exact de la représentation, une soupe offerte au public à la tombée de la nuit… juste quand le spectacle venait de finir. Une mise en scène inédite d’une œuvre classique qui avait à voir avec une sorte d’installation, pas loin non plus du land-art.
Marcel Duchamp et John Cage auraient sans doute beaucoup aimé cette intrusion du hasard dans un événement aussi programmé. Quand le théâtre contemporain rejoint parfois les arts plastiques… Mais les gens de théâtre de rue, pu plus exactement de plein air que sont depuis longtemps Jacques Livchine et Hervée de Lafond ont un sacré sens de l’espace, avec l’aide le plus souvent de leur scénographe Claude Acquart (Dom Juan, Térézin, La 2 CV Théâtre…) et savent donner à tous leurs spectacles une dimension plastique de grande qualité.
En général, l’installation peut être comparée à une sorte de sculpture et Allan Kaprow parlait déjà, il y a soixante ans, d’«environnement », quand il aménageait une salle pour que le public puisse aussi intervenir : ce qui était tout à fait novateur et initiait déjà une relation, une vingtaine d’années plus tard, entre la scène et les arts plastiques. Pour René Blouin, directeur de galerie de Montréal: «L’installation est une autre étape dans l’évolution de la notion de la sculpture. » (…) « Qu’elle joue ou non sur les qualités architecturales de son espace spécifique d’exposition (espace qui coïncide parfois avec son lieu de création), l’installation entretient avec ce lieu des rapports privilégiés. Rarement permanente, même si ses composantes le sont souvent, son parcours est fréquemment modifié en fonction du lieu. Elle joue sur la fonction de durée, de site et de contenu.»
La démarche d’Anne Pontet se situerait ainsi entre land-art et installation. Comme avec ce beau cercle de sorcières, fait de bois brûlé et de dizaines d’ampoules leds à Sainte-Jalle (Drôme), un des éléments du projet en cours: La Pamphile, ou Arachné, (cidessus). Cette installation faite avec une vieille voiture enfermée dans un savant tissage de fils à Gouvernet-Saint-Sauveur, un autre hameau de la Drôme. Le paysage étant à chaque fois partie prenante de l’œuvre in situ. Ici, aucun gros moyen technique comme ceux qu’emploient les artistes américains de land-art quand ils travaillent directement avec la terre ou le sol comme base… Mais une intervention minimale et proche d’un ready-made, respectueuse de la Nature, ce qui n’est pas toujours le cas de certains artistes.
A partir d’un objet banal, une voiture abandonnée dont le propriétaire n’arrive pas à se débarrasser ou n’est même plus connu. Elevée au rang d’œuvre avec un matériau des plus simples : à savoir quelques bobines de fil et une ampoule électrique pour éclairer l’intérieur de l’habitacle. Cela peut faire penser à certaines des scénographies comme en concevait Richard Peduzzi pour les spectacles théâtraux de Patrice ChéreauAvec Arachné (2017) ci-dessus, Anne Pontet, en se servant au maximum des arbustes sauvages environnants et d’un objet industriel des plus courants mais hors d’usage, accepte de facto la redoutable invasion de la nature qui reprend ses droits, ce qu’ont aussi bien compris nombre d’auteurs d’installations…
Anne Pontet semble aussi interroger discrètement nos relations avec la nature, en fonction des lumières d’été et d’hiver, du jour et de la nuit. Jamais identiques. Avec une sensibilité particulière pour un lieu rural qu’elle aime depuis longtemps, un beau hameau construit par des générations de paysans provençaux, sorte de sculpture en elle-même. On peut penser à une sorte d’ethnographie du quotidien et à un désir de retenir un monde voué à la disparition.
Ce qui pose de facto l’avenir de cette voiture, vestige en proie à l’invasion des plantes sauvages, donc en voie de très lente disparition, et une réflexion sur le temps: que sera ce hameau dans un demi-siècle? Ici, aucune violence sur une terre mais une sorte de retrouvailles avec la Nature, via un déchet produit par l’homme. Tout à fait, semble-t-il, dans l’esprit de Gutaï: «Ce qui est intéressant, c’est la beauté contemporaine que nous percevons dans les altérations causées par les désastres et les outrages du temps sur les objets d’art et les monuments du passé (…) Lorsque nous nous laissons séduire par les ruines, le dialogue engagé par les fissures et les craquelures pourrait bien être la forme de revanche qu’ait pris la matière pour recouvrer son état premier. »
Cette fois-ci, cela se passe dans le Paris du XVIIème siècle, à l’Hôtel de Sully dans le Marais avec La Réconciliation de Bertrand Depoortère, photographe et de Johan Swartvagher, jongleur et danseur, auteurs d’une récente performance/installation destinée à différents espaces: jardins à la Française, théâtres, forêts, cours, rues passantes. Avec des tirages en noir et blanc de photos qui reflètent le monde: Israël, Maroc, Bosnie tel qu’il l’a rencontré en dix ans… tirages qu’il a réalisé lui-même.
Pour Johan Swartvagher, le jonglage et donc le corps, doivent nous permettre d’entrer en connexion avec les confins du monde, de caresser les lieux réels d’où proviennent les photographies… Ici, pas guère d’accrochage mais une sorte de mise en scène d’’œuvres grand format dans la belle cour pavée de l’Hôtel de Sully. Donc sur cette matière horizontale vieille de trois siècles, de grands tirages de photos en noir et blanc d’environ 1,60 m x 1 m, posés chacun contre un tréteau noir. Avec des thèmes comme la mer, ou un lac avec deux grands poteaux, un homme vélo à la main dans une plaine sans soleil regardant un village dans le lointain…
Johan Swartvagher dit avec une belle voix, un texte poétique: « Dans cette performance, à partir de photographies en noir et blanc nous partirons tous à la recherche de l’invisible. (…) Dans cette performance, je jonglerai pour les vivants et les morts. Dans cette performance, je vous montrerai les photos prises par Bertrand Depoortère et nous nous plongerons dedans, corps et âme.(…) Dans cette performance, je vous montrerai ma plus belle figure de jonglage. Dans cette performance, je ne lirai pas Notre besoin de consolation est impossible à rassasier de Stig Dagerman, car tout le monde le connaît. Non. Je n’en lirai qu’un extrait. »
Il va ensuite jongler avec trois massues blanches, en se glissant entres les grandes photos, et demandera au public de le suivre pour arriver dans une autre cour.
Dans une seconde partie que nous n’avons pu voir à cause du froid qui commençait à nous paralyser, l’artiste- merci, au passage, à Delphine Menjaud-Podrzycki pour les infos- a guidé le public vers les jardins intérieurs. Seulement éclairé par un projecteur qui suivait partout le public qui a alors découvert le lieu par petites touches poétiques et décalées. Et la performance a fini par un hommage-torse nu à la danse butô japonaise.
Il y a bien ici un principe de participation même limitée, dans cette installation qui ne dit pas vraiment son nom et associée à l’art du jonglage donc fondée sur une action et une certaine théâtralité, même si la relation au public n’était pas très réussie. En général, devant une installation-action, la notion de faire ensemble donc d’unité jouant pleinement, le public (assez obéissant) peut accomplir des actes qu’il ne ferait jamais seul. Solidarité oblige, le ridicule ne peut tuer un groupe, surtout nombreux. Comme la centaine de participants-coiffés de sacs en papier, dans cette action (1966) de Jean-Jacques Lebel, au festival Sigma de Bordeaux… Avec l’intention de brouiller les repères, en dépassant le champ d’expression de l’art même moderne, dans une rue ou dans un endroit qui n’est ni une galerie ni un musée. Ce qui était assez novateur à l’époque. Un événement du festival Sigma devenu mythique grâce aux photographes; l’installation actuellement a besoins de photos « artistiques » pour la rentabiliser, quand elle n’est pas prise en charge par une institution ou un festival.
De plus en plus dans les installations qui ont toujours flirté avec la sculpture (voir Marcel Duchamp), et on voit apparaître des sculptures-moulages d‘animaux comme chez Do Ho Suh ou Sandy Skoglund. Ou des fleurs réalisées à la main comme avec ce champ impressionnant de 888.246 coquelicots en céramique, plantés en 2014 dans les douves de la tour de Londres, créé par le céramiste Paul Cumins et le scénographe Tom Piper. Une installation très populaire, puisque quatre millions de personnes sont venues voir ces 888.246 coquelicots, un pour chaque soldat britannique tué lors de la première guerre mondiale. Un geste que n’aurait pas désavoué Allan Kaprow…
Autre genre : l’installation-monumentum avec les pavés de Johan Gerz qui entreprit- initiative personnelle et clandestine réalisée en 1990 avec des étudiants de l’Ecole des Beaux-Arts de Sarrebrück: desceller des pavés de la place du château, ex-siège de la Gestapo aujourd’hui devenu parlement régional. Sur chaque pavé, il inscrivit le nom d’un cimetière juif d’Allemagne, avec le nombre de corps, puis le remit en place, l’inscription restant invisible puisque tournée contre terre, d’où le surnom de cette installation, Le Monument Invisible.
Autre pavés: ces «stolpersteine» en bronze (pierres sur lesquelles on trébuche) de dix cms de côté et dus à l’artiste allemand Gunter Demning qui les a posés depuis 1996 et d’abord sur les trottoirs de Berlin. Une installation financée par des particuliers qui ont fait des recherches sur ceux qui habitaient ou travaillaient autrefois dans l’immeuble où ils résident. Pour commémorer l’existence de leurs concitoyens d’origine juive, ou d » opposants politiques, ou homosexuels, gitans, déportés par les nazis et morts dans les camps.
Ces pavés sont devenus très populaires -quelque 4.600 dans soixante trois villes en Allemagne – mais aussi en Pologne, Hongrie, République Tchèque, Pays-Bas et aussi un peu en France… Mais pas à Paris qui a refusé!
L’installation semble actuellement évoluer vers une action visuelle avec un rôle important confié aux technologies numériques, avec l’aide dizaines d’ordinateurs, comme dans Team Lab de Noriko Taniguchi présenté en ce moment à la Halle de la Villette, et dont nous vous reparlerons…
Philippe du Vignal