Scènes ouvertes à l’insolite (suite)
Scènes ouvertes à l’insolite (suite)
De parcours en parcours, le festival propose de nouvelles découvertes. Avec, ce soir-là, trois formes brèves qui nous invitent à retrouver goût du terroir, chagrins de l’enfance, et à explorer jusqu’aux corps mêmes des interprètes.
Respire, Picardie Forever, mise en scène de Clément Montagnier par la Compagnie Tac Tac
Un plateau légèrement incliné posé sur des tréteaux avec la maquette d’un terrain vague, rapidement planté d’arbres par les soins de Clément Montagnier; ce petit espace devient le village en miniature de son grand-père, avec ses longères au toit rouge, son clocher, et la maison du docteur Müller. «Visualise la Picardie, dit-il, où que tu sois : l’horizon… Les betteraves respirent sous tes pieds. C’était ma façon de voir la Picardie quand j’étais petit.»
Sur une autre table, une grosse ferme, réalisée par cet aïeul -«roi de la bricole», qui devient le terrain de jeu d’une enfance avec un chien, poules et histoires du grand-père… Le comédien relate les anecdotes du terroir et retrace la tragédie de la Grande Guerre à l’aide de clous, de vis et de boulons, autant de soldats de toutes les nationalités, enterrés dans la campagne picarde, grand cimetière planté de croix : «L’histoire respire sous tes pieds ».
Ce petit théâtre d’objets, imaginé et animé avec une gaucherie toute calculée par Clément Montagnier, accompagné par la musique et les bruitages d’Aurélia Monfort, évoque avec pudeur la France rurale d’autrefois. Une proposition touchante, un peu bricolée, mais à voir…
Miniature mise en scène et interprétation de Maëlle Le Gall
«Que seriez-vous prêt à sacrifier pour séduire les autres ?» dit une pancarte posée sur la table où se déroulera un mini-drame joué par des personnages de papier, réalisés à partir de vieilles photos détourées. Un petit garçon solitaire, deux fillettes curieuses, une mère absente, une balle rouge, une poule… Figures d’un théâtre sans paroles activées par la marionnettiste, à la lumière de deux lampes de bureau, et en musique.
Maëlle Le Gall joue sur les proportions : deux jambes immenses représentent la mère, les enfants changent de taille ou arborent des têtes gigantesques sur des corps minuscules. La poule prend des allures de monstre… Dans cet univers en noir et blanc d’une inquiétante familiarité, la solitude enfantine a quelque chose de poignant, d’une grande densité poétique.
L’artiste présente depuis quatre ans ce spectacle ambulant d’un quart d’heure dans une caravane qu’elle a aménagée pour recevoir treize spectateurs. Elle envisage aussi de se produire dans des cafés ou médiathèques, pourvu qu’on puisse y faire le noir. Ne manquez pas ce spectacle qui sera joué dans plusieurs festivals cet été.
Protokoll Physique fragment mise en scène de Léonor Illitch
Annoncée comme «puzzle corporel», cette performance de trente minutes pour un homme et une femme, flirte avec la danse. Surgissant du noir, une épaule, un pied, une cuisse, une poitrine… Deux corps morcelés s’explorent minutieusement, chacun pour soi, découpés par un éclairage rasant de lampes de poche, ou étudient leurs reflets dans le miroir, à la recherche d’une symétrie. Ces corps narcissiques, prisonniers de leur enveloppe charnelle se rencontrent épisodiquement pour retomber dans le solipsisme.
Leonor Ilitch s’inspire du «contact-improvisation» en danse contemporaine pour traduire physiquement avec ses interprètes, une recherche philosophique sur la difficulté de sortir de soi-même et de rencontrer l’autre : «Avec toi sous les draps, je suis comme enfermé dans mon corps », dit l’un des personnages. Mais un texte abstrait qui se veut poétique rompt le charme de cet étrange objet théâtral qui trouve vite sa limite….
Mireille Davidovici
Scènes ouvertes à l’insolite, Le Mouffetard-Théâtre des arts de la marionnette, 73 rue Mouffetard, Paris V ème. T. : 01 84 79 44 44.
Respire, Picardie Forever sera présenté en Avignon Off, au Festival Théâtr’Enfants du 10 au 27 juillet, avenue Monclar.