Un Démocrate d’après Propaganda d’Edward Bernays, mise en scène de Julie Timmerman
Un Démocrate, d’après Propaganda d’Edward Bernays, mise en scène de Julie Timmerman
Reprise de ce spectacle créé il y a deux ans et dont Christine Friedel vous avait dit tout le bien qu’elle pensait. Edward Bernays, né en 1891 à Vienne et mort en 1995, donc à cent-quatre ans! était le fils d’un grainetier émigré aux États-Unis et le double neveu de Freud- exceptionnel! Il refusa de reprendre la boutique paternelle et, en une dizaine d’années, devint un spécialiste reconnu en relations publiques et communication. C’est dire pour parler cru, en propagande commerciale et politique. Un maître dans le genre, capable sans aucun état d’âme et grâce à des stratégies très élaborées, de faire tout acheter à une population vue comme infantile et rêvant de consommer.
Edward Bernays savait aussi bien, non pas vendre mais, ce qui est plus malin, faire vendre cigarettes, carrières d’hommes politiques, etc. Et il organisa au Guatemala en 1954, une violente campagne de presse contre Jacobo Árbenz Guzmán, le président de la République, en l’accusant d’être communiste. S’ensuivra ainsi un coup d’Etat grâce à la C.I.A. (Central Intelligence Agency) fondée en 47, redoutable agence de renseignements des États-Unis.
Auteur d’un livre reconnu Propaganda (1928), ce soi-disant démocrate avait déjà compris, bien avant Donald Trump, que fausses nouvelles et grossiers mensonges sont d’une singulière efficacité pour manipuler l’opinion au seul profit du capitalisme. Principe absolu et génial: «souffler aux gens les rêves, avant qu’ils les aient rêvés», et donc les faire consommer n’importe quoi. Par exemple, les cigarettes Lucky Strike : «Ce n’est pas comme s’il y avait un accident d’avion et deux-cent morts d’un coup. Les morts de la cigarette-s’il y en a-se remarquent moins, dilués dans le temps». Mais il était sans aucun doute méfiant « Ceux qui, écrivait Nicolas Machiavel, de particuliers, deviennent princes seulement par les faveurs de la fortune, ont peu de peine à réussir, mais infiniment à se maintenir. » Et ce n’est pas pour rien que le terrifiant Joseph Goebbels, l’un des nazis les plus influents, utilisait ses théories…
Sur le plateau, une longue table couverte d’un tissu noir, quelques chaises et, à cour, un micro sur pied. Anne Cantineau, Jean-Baptiste Verquin, Mathieu Desfemmes et Julie Timmerman passent d’un personnage à l’autre avec virtuosité. Et ils jouent tous ce Bernays à tour de rôle, avec juste sur la poitrine, un petit bandeau avec le nom d’Eddie. Il y a d’excellents moments dans cette mise en scène comme l’évocation de cette campagne Lucky Strike rendue très vivante par les comédiens. Eddie va en effet convaincre les féministes qui, comme toutes les femmes, ne fumaient pas, et en tout cas jamais dans la rue, de devenir libres… Rien ne semble lui résister pour arriver à ses fins et il organisera un défilé de fumeuses avec pancartes où est inscrit: Les Torches de la liberté. Vous avez dit pervers, mais intelligent ?
Mais Julie Timmerman semble avoir eu plus de mal à maîtriser la suite de ce spectacle qui flirte avec l’agit-prop mais qui a tendance dans la seconde partie à faire du sur-place. Et elle aurait pu nous épargner ces fumigènes: la manie actuelle, comme les adresses au public, collages d’affiches et photos qui ne servent pas à grand-chose et parasitent l’action. Un Démocrate aurait sans aucun doute été plus virulent avec une vingtaine de minutes en moins, une fois explicitée la stratégie d’Eddie…
On aurait aussi bien aimé que Julie Timmerman aille fouiller en parallèle dans la décennie actuelle où les méthodes de ce « merveilleux » chargé de communication américain, sont encore pratiquées à grande échelle. Mais avec plus de difficultés quand même à l’heure d’Internet, soint loin d’avoir disparu: truandages sémantiques, mensonges grossiers mais bien préparés par les énarques de service: manipulations de statistiques, détournements d’attention, etc. Et ces méthodes et ficelles sont encore enseignées mais avec d’autres mots, dans les écoles d’administration et de commerce, et appliquées au plus haut sommet des Etats.. Ce que dénonce avec chiffres à l’appui, le Théâtre de l’Unité (Hervée de Lafond et Jacques Livchine) depuis quelque sept ans à Audincourt (Doubs) avec son Kapouchnik, un fameux et populaire cabaret gratuit. Le XVIII ème arrondissement à Paris , celui du Théâtre de la Reine Blanche, est lui aussi, un quartier très populaire mais dont les habitants ne fréquentent guère les théâtres et celui de la Reine Blanche. Mais, à quelque vingt-cinq € la place! Alors pourquoi ne pas les inviter?
Philippe du Vignal
Théâtre de la Reine Blanche, 2 bis passage Ruell, Paris (XVIII ème) .
En 2019: le 15 mars à 20h à Marly-le-Roi (Yvelines). Le 16 mars 21 h à Brétigny-sur-Orge (Essonne). Soirée spéciale: Manipulation Atelier interactif/Matthieu Villatelle et rencontre entre Pierre Haski, journaliste et Julie Timmerman.
Le 21 mars à Melun (Seine-et-Marne); le 26 mars à Boulogne (Hauts-de Seine). Le 28 mars à Orvault (Loire-Atlantique). Le 30 mars à Verrières-le-Buisson (Essonne).