Lettres à Felice de Franz Kafka, adaptation et mise en lecture de Bertrand Marcos

 

Lettres à Felice de Franz Kafka, adaptation et mise en lecture de Bertrand Marcos

 

©Pascal Victor /ArtcomPress

©Pascal Victor /ArtcomPress

Son Journal, ses écrits autobiographiques et son imposante Correspondance dont ces lettres  écrites de 1912  à 1917 à Felice Bauer, une jeune fille à laquelle il se fiança deux fois sans jamais l’épouser, révèlent chez leur auteur une inquiétude existentielle profonde. Conscient, le jeune homme se plaint d’une éducation rigide, du conflit qui l’oppose à son père, d’une constitution nerveuse et de la sourde violence d’un combat intérieur. La vie quotidienne n’est pour lui qu’une suite de drames successifs, intenses et irréversibles.  A l’image de l’état conflictuel que connaît historiquement sa Prague natale dans l’ancienne Autriche-Hongrie.

Franz Kafka rencontra Felice Bauer en 1912, et une correspondance amoureuse s’ensuit ; ils se rencontrèrent à nouveau à quelques reprises, se fiancent mais sans projeter nul mariage. Il vit à Prague avec les siens, et elle, de même, à Berlin. Seule la correspondance peut les rapprocher et ils s’écrivent régulièrement et parfois même plusieurs fois par jour. Franz Kafka travaille dans une compagnie d’assurances le jour, et compose la nuit de grandes œuvres comme La Métamorphose. Mais cette charge de travail met à mal son élan créateur  et sa santé.

Ces lettres témoignent d’une lutte personnelle. Désireux d’aimer mais craignant d’être abandonné et sa dévalorisation, l’écrivain ne sait pas goûter au bonheur. Inaptitude à vivre, dénigrement de soi et grande humilité, bref, il fraie avec le pessimisme. Le conflit devient aigu quand il rencontre Felice.  Franz Kafka devra faire le choix décisif de sa vie et cinq ans passent  avec un contretemps récurrent: s’il se marie, il devra travailler pour faire vivre sa famille et il en finira donc avec l’écriture: ce serait une renonciation douloureuse et un consentement à ne plus exister. Il restera donc  seul avec l’ascétisme, la rigueur et le sacrifice dû à l’œuvre en cours.

Mais en 1917 une maladie pulmonaire exile l’écrivain hors du monde et lui offre la solitude, sans qu’il l’ait vraiment choisie.  Et il est écartelé entre l’art et la vie ;  la littérature est victorieuse avant d’être elle-même balayée sans recours par la mort.

Dominique Pinon interprète  l’écrivain à sa table qui, nerveux, exigeant, plaintif, conscient d’être enclin à la lamentation, attend en amoureux impatient les  lettres de Felice. Distant, il joue avec lui-même et connaît à fond sa propension à goûter au malheur. Isabelle Carré, longue robe et chignon bas, incarne une jeune fille touchée par des sentiments sincères. Elle a une écoute attentive et accorde à l’épistolier tyrannique des preuves d’amour. 

Un échange scénique délicat dont le feu vif passe par les mots de Franz Kafka.

Véronique Hotte

Théâtre de l’Atelier, Place Charles Dullin, Paris XVIII ème, T. : 01 46 06 49 24 jusqu’au 1er juillet

La Correspondance de Franz Kafka est publiée aux Editions Gallimard. 


Archive pour 11 juin, 2018

Lettre à la ministre de la Culture

 

©Abaca

©Abaca

Nous avons reçu cette lettre qui résume assez bien la très grande difficulté pour les compagnies  de spectacle  théâtre, danse, etc.) même connues comme celle de Pauline Bayle (voir Le Théâtre du Blog), de trouver une salle de répétition correcte, ailleurs qu’en lointaine banlieue, voire dans un théâtre en Avignon (en dehors, bien entendu, de la période du festival). Pourtant, Paris ne manque pas d’espaces qu’il serait facile d’aménager à un prix raisonnable. Ce qui serait nettement plus efficace sur le plan artistique: cela ferait gagner un temps considérable aux responsables de ces compagnies et économiserait aussi une part non négligeable des subventions publiques…

Quand nous nous étonnions de cette situation, il y a déjà bien longtemps auprès de Bernard Faivre d’Acier alors en responsabilités au Ministère de la Culture, il nous avait répondu: « Quand l’Etat veut louer ou acheter, les  prix montent en flèche!  » On veut bien mais le Ministère de la Culture n’a jamais, que l’on sache, fait beaucoup d’efforts de ce côté-là et par ailleurs, n’a pas hésité à vendre le bel hôtel particulier de la rue Saint-Dominique puis à le louer à son nouveau propriétaire, le temps que le bâtiment de la rue des Bons-Enfants (d’une laideur architecturale exceptionnelle!) soit habitable… Cherchez l’erreur!
Madame Françoise Nyssen, qu’on dit sur le départ lors du prochain remaniement ministériel, s’honorerait de trouver une solution à ce cruel manque d’espaces de travail pour les compagnies de théâtre et de danse. 

Philippe du Vignal 

Lettre ouverte à Madame Françoise Nyssen, Ministre de la Culture et de la Communication,

Paris, le 30 mai 2018

Madame la Ministre,

Nous, Olivier Augrond (collectif Les Apaches), Anne Barbot (compagnie NAR6), Pauline Bayle (compagnie À Tire d’Aile), Clément Bondu (compagnie Année Zéro) et Lorraine de Sagazan (compagnie La Brèche), sommes metteuses en scène, metteurs en scène, autrices, auteurs, comédiennes, comédiens, créatrices et créateurs actifs du spectacle vivant.
Nous vous écrivons aujourd’hui afin de vous lancer un appel, en espérant qu’il soit entendu par vous, madame la Ministre, et suivi par toutes les jeunes directrices et directeurs de compagnies qui le souhaiteront. Un appel à partager notre rêve de créer une Maison des Compagnies en Île-de-France, à Paris.
Les compagnies sont le moteur et le pilier de la création théâtrale française, et pourtant nous faisons l’amer et désolant constat qu’elles ne disposent pas à ce jour d’un espace qui leur soit propre. Il existe plusieurs centaines de compagnies en Île-de-France, mais celles-ci se trouvent dans la majorité des cas dépendantes des producteurs et des diffuseurs, dans une situation d’isolement et de précarité, livrées à la concurrence et aux effets de mode.
Aujourd’hui, une programmation dans un théâtre ne suffit plus à fournir des conditions décentes et pérennes de travail. Même après plusieurs créations, nous sommes souvent obligés de trouver de petits arrangements pour pouvoir répéter dans des lieux inadaptés, ou encore, nous résigner à louer à des prix exorbitants des salles de répétitions exiguës et non-chauffées.
Parce que le théâtre est un endroit de recherche et d’expérimentation, nous pensons qu’il a avant tout besoin d’un espace, d’une maison, d’une « chambre à soi » comme l’écrivait Virginia Woolf, un lieu pour s’imaginer lui-même, et durer.
Il est donc plus que jamais nécessaire d’inventer une Maison des Compagnies. Un lieu-
passerelle entre les compagnies, où elles pourraient tisser des liens, de façon autonome. Un lieu où la réflexion sur la création sera menée par la création elle-même et pas seulement par ceux qui la financent. Un lieu de rencontre et de mutualisation des compétences, un lieu de tentatives et de transmission, sans souci de programmation. Un lieu qui permettra aux compagnies de se structurer, de répéter, un lieu de pensée, d’effervescence, d’invention.
Nous savons que le projet de la Cité du Théâtre, qui verra bientôt le jour, laissera une partie du bâtiment du Conservatoire National Supérieur d’Art Dramatique vacant. Nombreux sont ceux qui aujourd’hui s’interrogent sur son devenir, s’inquiétant du fait que ce lieu historique pourrait être vendu à des promoteurs privés, et bientôt se voir transformé en boutique, en restaurant ou en banque.

Nous ne pouvons pas croire, Madame La Ministre, que vous puissiez imaginer et laisser faire une telle chose. Parce que certains de nous connaissent bien ce bâtiment pour y avoir fait leurs études, nous pensons au contraire que celui-ci offrirait un espace idéal à la création d’une Maison des Compagnies en Île-de-France.
Quel magnifique symbole ce serait là pour vous, pour nous, que l’enceinte historique du Conservatoire, riche de tant de promesses, se pérennise à travers ce projet, conservant là sa vocation de transmission, d’épanouissement et de développement artistique.
«La mise en scène est une naissance» écrivait Louis Jouvet. Mais il ne suffit pas de naître, Madame la Ministre, encore faut-il pouvoir grandir et s’épanouir. Le Conservatoire, cette maison qui fût la sienne et aussi la nôtre, pourrait accueillir un nouveau projet, susceptible d’offrir des conditions de travail nécessaires à l’émancipation des compagnies aujourd’hui. Nous attirons donc votre attention, Madame la Ministre, sur la formidable opportunité qui vous est donnée de pouvoir offrir un outil d’importance à la création contemporaine en Île-de-France.
Nous sommes déterminés à défendre auprès de vous ce projet essentiel au paysage théâtral, et nous vous demandons de bien vouloir accepter de nous recevoir afin d’évoquer ensemble nos propositions.
Dans l’attente de votre réponse, nous vous prions de croire, Madame la Ministre, à l’expression de nos salutations distinguées.

Olivier Augrond, Anne Barbot, Pauline Bayle, Clément Bondu, Lorraine de Sagazan.

L’Établi d’après Robert Linhart, mise en scène d’Olivier Mellor

© Ludo Leleu

© Ludo Leleu

 

L’Établi d’après le livre de Robert Linhart, adaptation de Marie-Laure Boggio et Olivier Mellor, mise en scène d’Olivier Mellor

 

«Les personnages, les événements, les objets et les lieux de ce récit sont exacts», écrit Robert Linhart à la fin de son livre. Brillant étudiant de Louis Althusser, fondateur des Jeunesses communistes marxistes léninistes, puis militant à la Gauche Prolétarienne pendant les événements de Mai 68, il se fait embaucher comme OS 2 aux usines Citroën de la Porte de Choisy.  Comme beaucoup de ses camarades «établis», il espère organiser les luttes ouvrières en créant des comités de base prolétariens. A l’instar de Leslie Kaplan, elle aussi établie avec L’Excès-l’usine, il retrace dix ans plus tard cette expérience humaine et politique dans l’Établi, publié en 1978 un titre qui désigne à la fois ces jeunes diplômés engagés dans la lutte des classes et la table d’un travailleur manuel : ici, celle d’un vieil ouvrier qui, dans un coin de l’usine, retouche les portières cabossées…

 Olivier Mellor a découvert L’Établi il y a longtemps, au lycée, grâce à son professeur d’économie : « J’y vois décrits des mécanismes jusque-là à peine théorisés, des ambiances familière, des idées…  »  Avec la compagnie du Berger, basée à Amiens et bientôt installée dans une ancienne chapelle, il entreprend de porter à la scène ce témoignage singulier, à la fois roman sociologique et d’apprentissage. L’aventure d’un jeune homme : sa rencontre avec des personnages attachants dont il a su saisir la beauté ; la violence de l’environnement et des rapports hiérarchiques dans le monde impitoyable du travail. Rien de bien nouveau mais dit ici avec grand talent, et sans manichéisme. Un voyage en terre inconnue, dont il ne reviendra pas indemne.

 Cette adaptation théâtrale, comme le livre,  a pour chapitres: « Le premier jour ; Les Lumières de la grande chaîne, (…) ; La grève, l’ordre Citroën », etc.  Autour du narrateur, gravitent une dizaine de personnages, qui entrent en dialogue avec lui. On pénètre littéralement et de plus en plus profond dans l’usine : « Trois sensations délimitent cet univers nouveau. L’odeur, une âpre odeur de fer brulé, de poussière, de ferraille. Le bruit : les vrilles, les rugissements des chalumeaux, le martèlement des tôles ? Et la grisaille : tout est gris, les murs de l’atelier, les carcasses métalliques des deux CV, les combinaisons et les vêtements de travail des ouvriers ».

 La scénographie évoque cet univers de ferraille, de limaille où s’affairent les ouvriers, trimbalant des chariots chargés de boulons, de tôles et d’autres matériaux ;  maniant des palans ou des fers à souder… Dans un vacarme que la voix des comédiens parvient quand même à couvrir. En fond de scène, derrière un vitrage semi-opaque, l’usine rugit sans répit, sous les martèlements et grincements joués en direct par les musiciens dont le metteur en scène et l’orchestre de sa compagnie, rejoints par Vadim Vernay. S’y mêlent parfois des riffs rock ou des accords de jazz des années soixante.

 Comme les lecteurs à la sortie du roman, le public est saisi par l’épopée de ce novice, confronté à un monstre froid où il va aussi découvrir des personnes d’une profonde humanité. Maladroit, notre apprenti sorcier éprouvera dans sa chair fatigue, désarroi et  désillusions… Mais aussi la camaraderie et la solidarité des travailleurs face à l’hostilité et la cruauté des petits chefs (et des grands). Il réussira, avec une poignée de collègues, à déclencher une grève quand la direction de Citroën met à mal les acquis de Mai 68. Mais c’est peine perdue et son aventure tournera court. La pilule est amère et il  avoue rêver aujourd’hui de cadence et de production…

Après des années de dépression et d’éloignement de Robert Linhart, son œuvre suscite un regain d’intérêt et sa fille, Virginie Linhart, lui a consacré un livre : Le Jour où mon père s’est tu .  Dernièrement, Laure Adler l’a invité pendant une semaine à son émission l’Heure Bleue sur France-Inter. Il a accordé volontiers les droits d’adaptation à la compagnie du Berger et en a validé le travail. Et on entend une  voix off, la sienne, dire les dernières lignes du livre, relayant Aurélien Ambach-Albertini, le comédien qui l’incarne.

La mise en scène, parfois un peu appuyée, a su traduire en paroles, musiques et images, le regard aigu et l’écriture vive et précise d’un écrivain de talent qui témoigne du monde du travail autant que des utopies de la jeunesse, il y a cinquante ans. Parmi les nombreux événements artistiques liés à la commémoration de Mai 68,  un spectacle à voir.


Mireille Davidovici

 Théâtre de l’Epée de bois, Cartoucherie  de  Vincennes, route du Champ de manœuvre.  T. : 01 48 09 39 74, jusqu’au 1er juillet.
Festival d’Avignon Off à  Présence Pasteur, du 6 au 28 juillet.

 L’Établi est publié aux éditions de Minuit et Le jour où mon père s’est tu aux éditions du Seuil

June Events 2018 (suite)

 

June Events 2018  (suite) :

 

Cellule, chorégraphie de Nach

 cellulleConnaissez-vous le Krump (Kingdom Radically Uplifted Mighty Praise ? En français : élévation du Royaume par un puissant éloge) ? Nach a rencontré cette danse urbaine, née des émeutes de Los-Angeles dans les années 2000, sur le Parvis de l’Opéra de Lyon. Puis elle s’est formée auprès d’Heddy Maalem participant dernièrement à Eloge du Puissant Royaume de ce chorégraphe franco-algérien.

 Debout devant de hauts panneaux gris, où sont projetées des images d’archives de sessions krump, Nach développe la gestuelle codifiée et très masculine de cette danse, comme enfermée dans un corps à l’identité incertaine. Progressivement, elle va abandonner la grammaire des krumpers : frappe du pied (stomp),  balancement des bras (arm swing), mobilité de la poitrine (chest pop), cris et grimaces (gimmicks), autant d’exutoires expressifs à la violence concentrée dans le corps, loin des codes peace and love du hip hop. Elle s’ouvre alors  à une gestuelle plus sereine, empruntée au kathakali et à la danse contemporaine : quittant son uniforme de garçon des rues, elle dévoile des courbes féminines harmonieuses sur une musique de Keith Jarrett.

 Nach, dans ce premier solo, retrace son itinéraire artistique, appuyée par les conseils de d’Heddy Maalem et de Marcel Bozonnet : «Je pars de ce que j’ai, de ces moments ou on doute de soi-même , dit-elle, pour arriver à la naissance d’une femme». Jusqu’à danser nue, dans une vidéo projetée sur le mur de cette «cellule ». Elle envisage de développer trois versions de ce solo avec une pièce de trente minutes, une autre de quarante-cinq minutes et une performance en espace urbain ou alternatif : « Je veux lier ces deux réalités, mes identités. Celle du plateau et celle de la rue. »  Une artiste à suivre.

 Volt(s)face,  chorégraphie de Frank Michelletti

58388.HR Survoltée ! Créée au Théâtre Les Salins de Martigues, cette pièce de soixante-dix minutes qui porte bien son nom, est née de la rencontre entre les danseurs de  Kubilai Kahn investigations et le groupe post-rock MUGSTAR, basé à Liverpool. Le batteur et les trois guitaristes occupent un bon tiers du plateau, pour plus de proximité avec les sept danseurs. Comme émergeant de la batterie, un duo féminin danse en miroir, avant de s’égayer dans l’espace. Rejointes par le reste de la troupe… L’orchestre impulse un tempo d’enfer. L’écriture chorégraphique et la partition musicale partagent une plongée dans un bain de vitesse, jusqu’à l’affolement des interprètes, électrons libres dans un monde débridé.

 Répondant à Henri Michaux : «Pourquoi je joue du tam-tam ? Pour forcer vos barrages», le chorégraphe veut « croiser les forces statiques avec les forces dynamiques dans l’entrelacs social éminemment complexe des êtres et des choses ensemble. » et quitter « le quadrillage ». Le composite caractérise cette pièce qui alterne tension dynamique de mouvements collectifs bien réglés, déphasage aléatoiredu groupe, et moments de répit et d’intimité avec solos et duos où s’exprime la personnalité des danseurs. La musique parfois se tait pour laisser à la danse sa propre respiration,  et du répit aux spectateurs pour apprécier le talent des interprètes

« Accélération, compression, dispersion, condensation, évaporation, le monde nous traverse et nous regarde », résume Frank Micheletti. Ce lexique irrégulier provoque un petit vertige chez les spectateurs certains adhèrent, d’autres décrochent…

 Mireille Davidovici

June Events du 2 au 22 juin, Ateliers de Paris, Cartoucherie de Vincennes, route du Champ de Manœuvre.  T. : 01 41 74 17 07

 

 

La Fabrique des Monstres, conception de Jean-François Peyret

La Fabrique des Monstres ou Démesure pour mesure d’après Frankenstein ou le Prométhée moderne de Mary Shelley, conception de Jean-François Peyret

 

©Mathilda Olmi

©Mathilda Olmi

Noirceur et terreur, de la fin du XVIIIème siècle révolutionnaire et de l’orée romantique du XIX ème siècle (1764-1820), le roman gothique surgit de l’amour des ruines et des cimetières, de la violence médiévale des passions shakespeariennes et de la tradition allemande des contes de fées et récits de fantômes.

Le mythe de Frankenstein voit le jour avec le récit de Mary Shelley en 1818 : le savant Frankenstein tente de créer un homme et cette créature provoque l’horreur : un monstre abhorré par son créateur et condamné à la solitude, à la vengeance et à l’anéantissement final dans les glaces. Ce roman composite, nourri de références philosophiques, littéraires, et scientifiques dont le galvanisme : contraction d’un muscle stimulé par un courant électrique, naît des conversations de Mary avec son époux Shelley et Byron.

 Victor Frankenstein crée un monstre à partir de morceaux de cadavres : invention d’un double démoniaque et persécuteur, visions macabres, innocents sacrifiés, plongée dans la folie, la terreur et un onirisme cauchemardesque. L’inventeur est attiré par la quête transgressive d’un savoir supérieur qui le pousse à violer les lois naturelles et divines.Par déplacement, le savant et le monstre, le créateur et sa créature, sont confondus, l’humain échappant au contrôle. Le mythe prométhéen se dédouble : à la fois, le désir du savant d’égaler un dieu créateur, et le désir du monstre d’égaler l’homme.

 La créature répond à une image négative de laideur morale et physique, terrifiante et humaine : le monstre est capable de conscience morale et de sensibilité délicate. Un récit  fondé sur la pérégrination des protagonistes qui  vont aller de Suisse, en Angleterre jusqu’en Écosse et Russie pour se conclure au pôle Nord. Le projet de Robert Walton dont le récit introduit et clôt le roman annonce celui de Frankenstein. L’exploration de l’Arctique est une métaphore de la quête du savoir de Frankenstein. Elizabeth, la fiancée de Victor, ultime victime de la créature, jouera un rôle épisodique. 

Jean-François Peyret « enferme » ses comédiens sur un plateau de théâtre, à la façon de Mary Shelley, son mari et Byron, sur le bord du Lac Léman en 1816, quand les amis s’inventent des histoires à se faire peur, alors que sur la Suisse, tombent des particules issues de l’éruption d’un volcan indonésien.

Sur le plateau donc, de la poussière de cendres, quelques poubelles beckettiennes en souvenir de Fin de partie, un lit qu’on avance ou éloigne, un fauteuil à roulettes ; le fantôme de Mary Shelley passe en robe et chapeau d’époque, Elizabeth, la fiancée de Victor, et  toutes les femmes  incarnées par  la nonchalante et facétieuse Jeanne Balibar.

Un poète de scène et un bouffon de sagesse, Jacques Bonnaffé joue Robert Walton, le narrateur de l’aventure insolite de Frankenstein, un loup de mer poétique entre Coleridge et Conrad, au bonnet de marin sur la tête et en ciré contre vents et marées. Victor Frankenstein est interprété par l’inquiet Victor Lenoble, dépassé par sa créature engoncée dans un imperméable.

Sur l’immense plateau vide, paraît et disparaît un mur de fenêtres éclairées derrière lesquelles passent les personnages. L’espace est habillé au lointain par des toiles de Nicky Rieti, avec paysages d’hiver, monts enneigés, souvenirs du du Pôle Nord. Le marin fait monter dans son embarcation un Frankenstein malade et dépressif.

La représentation est à l’image de la scène : un capharnaüm indéfinissable :bribes de littérature et de poésie, extraits de découvertes scientifiques du temps. Une épopée généreuse ; face à la Femme et à ses discours féministes, à l’inventeur dépressif et au monstre créé malgré lui, le narrateur s’amuse paisiblement… Les spectateurs eux, s’amusent beaucoup moins face à cette angoisse de l’Homme et à sa révolte désespérée. Et ce spectacle exigerait vraiment plus de concision et moins de complaisance !

 Véronique Hotte

Spectacle vu à la MC 93 Maison de la Culture de Bobigny (Seine-Saint-Denis)

Manifeste-2018 Festival de l’Ircam-Centre Georges Pompidou, du 8 au 13 juin. T : 01 41 60 72 72

 

Le Songe, chorégraphie et mise en scène de Jean-Christophe Maillot

 

Le Songe, d’après le Songe d’une nuit d’été de William Shakespeare, chorégraphie et mise en scène de Jean-Christophe Maillot

©Aice Blangero.

©Aice Blangero.

«Que tous les esprits et toutes les fées/Sautent d’un pied léger, comme l’oiseau sur la branche/Répétez ce couplet par cœur: Chantez et dansez rapidement à sa mesure», intime Obéron à la fin du Songe d’une nuit d’été  de William Shakespeare.  Le chorégraphe, qui avait lui-même dansé ce ballet dans la pièce de John Neumeier, a pris le texte au pied de la lettre.

Trois univers se côtoient associés à trois compositeurs différents. Les fées, les lutins et les elfes  se déploient, sensuels, dans les  magnifiques costumes de Philippe Guillotel, sur la musique de Daniel Teruggi. Apparaissent bientôt  Obéron, Titania et Puck,  initiateurs de l’intrigue amoureuse qui vient déstabiliser les jeunes Athéniens, Hermia, Lysandre, Démétrius et Héléna. Ces quatre personnages, incarnés par les plus jeunes danseurs des Ballets de Monte-Carlo, la compagnie de Jean-Christophe Maillot, se cherchent, se perdent et se retrouvent sur la musique de Felix Mendelssohn. Difficile de les confondre : leurs prénoms sont inscrits sur leurs costumes… L’univers des artisans occupe ici une place différente: accompagné de la musique de Bertrand Maillot, chaque danseur bascule ici dans le burlesque.

Cette pièce de deux heures, où la pantomime domine le geste dansé, est réalisée dans une scénographie signée Ernest Pignon-Ernest. Un galet géant constitué en deux parties se met en mouvement selon les déplacements des artistes.  L’ensemble constitue une danse narrative légère que nous aurions aimé plus folle, à l’instar des derniers mots de la pièce: «Si nous légers fantômes, dit Puck, nous avons déplu, figurez-vous seulement (et tout sera réparé)/ Que vous avez fait ici un court sommeil/ Tandis que ces visions erraient autour de vous / Seigneurs, ne blâmez point ce faible et vain sujet/ Et ne le prenez que pour un songe … ».

Jean Couturier

Théâtre national de La Danse de Chaillot 1 place du Trocadéro Paris XVIème jusqu’au 15 juin.

 

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