L’Ombre du scarabée de et par Patrick Corillon

©L’Ombre du Scarabée, présenté par Patrick Corillon au Centre Wallonie-Bruxelles. Crédit : Le Corridor

©L’Ombre du Scarabée, présenté par Patrick Corillon au Centre Wallonie-Bruxelles. Crédit : Le Corridor

 

L’Ombre du scarabée de et par Patrick Corillon

 Patrick Corillon nous propulse dans un monde d’images et de mots, tout droit sorti des livres qui l’on fait rêvé. Naissant des papiers marbrés des pages de garde des livres d’antan, toile de fond du décor, ses histoires prennent vie, s’animent et nous emportent. Tel un bonimenteur de foire, il va nous faire entrer dans la cabane du fakir, dompteur de cobra, ou de l’aveugle à la main qui voit, et surtout nous porter sur les ailes d’un scarabée qui s’envole sur un écran délicatement positionné derrière un balustre de fer forgé style XVlll ème siècle.

 Sa lanterne magique, il l’emprunte ici à Etienne Robertson (1763-1837), célèbre illusionniste, Liégeois comme lui, et à qui le spectacle rend hommage. Au lendemain de la révolution de 1789, ce montreur de fantasmagories et féru de sciences optiques, attire les foules parisiennes en projetant des ombres mouvantes avec un  appareil placé derrière l’écran, voilant ainsi la source même de la lumière. Il imprimait à ses figurines articulées des effets de zoom et travelling, et des bruitages évocateurs accompagnaient ses commentaires terrorisants. «Je me mis à faire des diables et ma baguette n’eut qu’à se mouvoir pour forcer tout le cortège infernal à voir la lumière.  Mon habitation devint un vrai pandémonium », écrit ce faiseur d’illusions.

 A cet artisanat, ancêtre du cinématographe, Patrick Corillon mêle une technologie de pointe: la Visual Syntax Recognition (Reconnaissance Vocale et Visuelle) mise au  point à l’Université de Liège. Grâce à ce dispositif, les mots d’une histoire génèrent les images d’un film et une musique téléchargée sur spotify. «Les mots produisent les images en temps réel.  (…) Le substantif donne naissance à une image, le verbe lui imprime le mouvement », explique le conteur à son auditoire subjugué, avant d’en faire la démonstration. Ainsi, devant nos yeux, plane notre scarabée et s’animent bien d’autres personnages : fées, sorcières, animaux, ombres charmantes ou inquiétantes…

 L’univers de Patrick Corillon est moins terrifiant que celui de son modèle. Talentueux bateleur, il évoque ses jeunes années de lecteur et de rêveur invétéré quand, grâce aux lunettes dérobées à son grand père, les mots des livres se métamorphosaient en serpents voraces, en renards et lapins bleus, autant de figures qui apparaissent alors sur l’écran. Jusqu’aux lettres des mots qui se décomposent en personnages… Au terme de cette plongée dans le merveilleux, une bonne nouvelle:  le rêveur ne vieillit pas sur l’escalier des âges que le narrateur a construit devant son mini-théâtre d’ombre. Maître ès boniment et fantasmagorie (du grec ancien: phantasma,(fantôme) et agoreuein (parler en public), l’artiste nous ferait même croire que le temps n’aura aucune prise sur les songe-creux : « Mesdames, messieurs, dans la vie il y a un temps pour rêver, et un temps pour désenchanter. À dix ans, nous rêvons de voyager dans l’espace, à vingt ans de rencontrer l’amour, à trente ans de découvrir le monde, à quarante ans d’amasser de la richesse, à cinquante ans de marquer l’histoire. Et puis après, nous ne faisons plus que comptabiliser. (…) Mais tout le monde ne suit pas cette pente. Certains en  rêveront́ tellement fort qu’ils rêveront jusqu’à la fin. Il n’y aura même pas de fin pour eux, car ils rêveront ce qu’il y a après la fin… »

Artiste plasticien renommé, Patrick Corillon crée depuis une dizaine d’années des spectacles d’art vivant où le livre, la manipulation d’objets et la musique tiennent une place importante. L’Ombre du scarabée, tout fraîchement sorti, constitue le septième volet d’un cycle de performances en solo intitulé Les Vies en soi, destinées aux théâtres mais aussi aux musées et aux bibliothèques. De beaux livres-objets accompagnent chacun de ses spectacles. De lui, nous avions déjà apprécié L’Appartement à trou vu à la Maison des Métallos en 2015:  » Avec son air débonnaire et son sourire enfantin, écrivions-nous, il nous ferait tout gober: par exemple qu’il détient  le «grattage» du plancher de la prison d’Ossip Mandelstam où le poète exilé racontait des histoires à ses co-détenus du goulag, pour garder espoir… ». Son art de l’affabulation nous enchantait déjà. S’il vient à passer près de chez vous, ne manquez pas de le découvrir, seul ou en famille.

 Mireille Davidovici

Spectacle vu le 19 juin au Centre Wallonie-Bruxelles, 27-129 rue Saint-Martin, et 46 rue Quincampoix,  Paris lV ème. T. : 01 53 01 96 96


Archive pour 20 juin, 2018

Fête de saison au Théâtre des Ilets à Montluçon

Fête de saison au Théâtre des Ilets à Montluçon

 

© photo julia castaing

© photo julia castaing

Pour fêter la fin de sa troisième saison et présenter la suivante, Carole Thibaut a invité Le Parlement de rue créé par le Théâtre de l’Unité. Elle évoque le séminaire organisé en février dernier avec les artistes associés et l’équipe du Centre Dramatique. Arrivée deux ans après que son prédécesseur Joanny Bert ait renoncé, Carole Thibaut est à la tête d’un lieu mythique où avaient œuvré Jean Louis Hourdin, Jean-Paul Wenzel et Olivier Perrier puis Anne-Laure Liégeois. Montluçon (40.000 habitants) pour y accéder, il y a un seul train direct pour Paris, sinon seul accès possible: le car depuis Bourges! L’Etat se moque éperdument des villes moyennes, comme l’a récemment souligné Le Monde!

On arrive dans le magnifique bâtiment du Centre Dramatique National de la Région Auvergne-Rhône-Alpes, avec des citations poétiques extraites des spectacles présentés  cette saison, dans le hall d’accueil, et dans les salles de réunions où l’on peut discuter et se restaurer avec une équipe à l’écoute. Carole Thibaut présente Jacques Livchine qui présente le Théâtre de l’Unité né en 1968, à l’équipe du Théâtre des Îlets. Il cite Woody Allen : « l n’y a que l’avenir qui m’intéresse, je compte y passer mes prochaines années! » Et Albert Camus: « Mal nommer les choses a fait le malheur du monde !
L’après-midi, la conversation  prolonge un séminaire de février dernier sur la réflexion entre des artistes associés et l’équipe du théâtre, sur le processus de travail au sein du C.D.N. Carole Thibaut, comédienne devenue aussi metteuse en scène, dit que c’est la littérature qui l’a emmenée au théâtre. Elle a d’abord abordé des textes classiques puis s’est mise à écrire et s’est implantée à Fosses (Val-d’Oise).

Gilles Granouillet, auteur et metteur en scène né de Saint-Etienne a eu une expérience de théâtre amateur, puis a travaillé avec Daniel Benoin et Jean-Claude Berutti.pendant dix ans, et  a commencé à écrire pour Carole Thibaut voilà seize ans, mais ne se sent jamais légitime… D’autres acteurs comme Marie, Maxime et quelques autres travaillent pour un groupement d’employeurs de Lyon qui prennent des comédiens en apprentissage. Du 19 au 30 juin, il y aura une présentation de clips à la Croix Rousse.
Aurore travaille sur le matrimoine, elle a publié des textes, fait des mises en scène à la Ferme de Bel Ebat de Guyancourt et pour le Théâtre des Ilets, Amélie originaire de Lille a fait de la marionnette à Charleville-Mézières. Sabine Demy actrice du Collectif Dionysiaque a travaillé avec Jacques Descordes, puis au Théâtre National de Bordeaux. Lucie Berelowitsch  vient d’être nommée au Préau, Centre Dramatique National de Vire.
Rémy de Vos écrit depuis vingt ans, répond à des commandes et gagne sa vie avec l’écriture, et a commis six pièces depuis septembre: «Les Français ne savent pas quoi faire avec un auteur vivant, le système  est fondé sur le metteur en scène.
Aurélie Van den Daele, metteuse en scène a travaillé avec des auteurs chez François Rancillac au Théâtre de l’Aquarium, et à la Ferme du Bel-Ebat de Guyancourt.
Céline Delbecq  auteure belge, a toujours hésité entre le social et le culturel, elle travaille avec des handicapés, a écrit des pièces sur l’inceste, le suicide, et les soins palliatifs, sur la violence conjugale. Pascale Henry à Grenoble, ne sépare pas écriture et mise en scène. Elle a écrit sur les camps, souligne l’importance de la distribution. «La solitude est extrême, les procédures anéantissent le désir ! »

Nous partons ensuite dans les rues de Montluçon derrière onze jeunes jusqu’à un club où se tient le conseil municipal des jeunes. On y recueille des propositions de lois : Que les hommes et les femmes soient plus égaux, que l’abandon d’un animal pendant deux semaines soit puni comme l’abandon d’un enfant… Après la simulation du vol du portable de Jacques Livchine plus vrai que nature, on recueille les fiches des propositions de lois.

Le lendemain, nous suivons les stagiaires sur un marché désert. Deux Africains chantent une ode au marchand de fromages, le patron offre des fromages. Au Monoprix, le responsable trouve bizarre que des chansons soient entonnées dans les rayonnages mais  promet de venir au Parlement de rue.

L’après-midi, pour Gilles Granouillet: « Nous sommes dans un pays qui a une vision nationale du théâtre à la différence de l’Allemagne, alors que les spectacles évoluent au fil des représentations. Il cite Georges Buisson : « Ce qui tue en France, c’est la diffusion ! ». Il faut six mois à un an pour épanouir un spectacle! (…) Le régime ultra libéral pollue tout, il n’y a plus de légitimation de la dépense publique. »

Carole Thibaut évoque ensuite le projet à venir pour la saison 2018-2019, avec l’idée de consacrer  une partie de la saison à une thématique. Quelles forces se donnera-t-on au C.D.N. ces trois prochaines années ?

Edith Rappoport

Théâtre des Ilets, Centre Dramatique National de Montluçon,  27 rue des Faucheroux, Montluçon (Allier). T. : 04 70 03 86 18.

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