Prix de la critique : Palmarès pour la saison 2017/2018

©Jean Couturier

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Prix de la critique : Palmarès  pour la saison 2017/2018

L’Association professionnelle de la Critique de Théâtre, de la musique et de la danse a remis ses prix annuels au Théâtre Paris-Villette. Des collèges distincts votent dans chacune des disciplines et le palmarès exhaustif est publié sur le site de l’Association.

Les récompenses attribuées témoignent de la diversité des productions et du croisement des genres. Côté musique, on penche plutôt vers le classique à l’exception de Pinocchio, opéra de Philippe Boesmans, livret de Joël Pommerat, d’après Carlo Collodi: Prix de la meilleure création musicale. Mais en danse, le  classique et le contemporain font bon ménage…
Au théâtre, la plupart des spectacles primés sont des œuvres originales d’auteurs vivants avec un nombre croissant de jeunes femmes, à la fois autrices et metteuses en scène. Et, à la réception de leur prix, une page conçue pour l’occasion par Christian Lacroix, elles ont rompu avec la monotonie des remerciements de circonstance, par des interventions lucides et sensibles. 

 Côté Théâtre

 Pour David Lescot, qui reçoit le Prix de la meilleure création d’une pièce en langue française, pour Ondes Magnétiques (voir Le Théâtre du Blog) : «Le texte original, c’est une belle aventure de théâtre. On ne peut pas continuer sans les auteurs et en débitant des scènes à partir de romans». Et les votes sont allés dans ce sens. Ainsi, le Grand Prix  est allé à Wajdi Mouawad, avec Tous les oiseaux. Le directeur du Théâtre de la Colline renoue avec ses grandes sagas théâtrales plébiscitées par la critique et le public (voir Le Théâtre du Blog). Son dernier spectacle a fait l’unanimité, et a aussi valu à  son scénographe Emmanuel Clolus d’avoir le prix de la meilleure création d’éléments scéniques… On pourra revoir ce beau spectacle à la rentrée prochaine en province  et en décembre, au Théâtre de la Colline où il a été créé.

Saïgon qui a reçu le prix Georges Lerminier/meilleur Spectacle théâtral créé en province, est aussi une œuvre originale, écrite et mise en scène par Caroline Guiela Nguyen à la Comédie de Valence. Et bâtie à partir des témoignages et récits d’exilés vietnamiens. Deux des comédiens, un couple résidant en France  ont reçu le prix à ses côtés et s’adressent à l’auditoire dans leur langue natale: «Heureux de pouvoir dire aux Français et à nos compatriotes la vie que nous avons vécue ici pendant cinquante ans».

 La metteuse en scène belge Anne-Cécile Vandelem signe Tristesses, prix du meilleur spectacle étranger. (voir Le Théâtre du Blog). Une pièce politique et poétique dont l’intensité tient à un dialogue abouti entre théâtre et cinéma: une pratique assez fréquente dans les mises en scène actuelles. Oser s’en prendre à la tristesse, instrument du pouvoir: un angle d’attaque original et pertinent: «Il faut en découdre avec ce qui nous désespère quotidiennement. (…) Je veux parler de la tristesse. De la diminution de puissance.»,  dit la metteuse en scène, et cite aussi Gilles Deleuze : «L’humanité meurt de ce qu’à partir des tristesses inévitables, elle s’en rajoute. C’est une espèce de fabrication de tristesse, d’usine à tristesse, quoi. (…) Et chaque fois que je verrai quelqu’un qui essaie de me persuader que, dans la tristesse, il y a quelque chose de bon, d’utile ou de fécond,(…) je flairerai en lui un tyran, ou l’allié du tyran, car seul le tyran a besoin de la tristesse pour asseoir son pouvoir.»

 Le prix Laurent Terzieff (Meilleur spectacle présenté  dans un théâtre privé) a de quoi surprendre : il est remporté par Seasonal Afffective Disorder de Lola Molina, mise en scène de Lélio Plotton,  au Théâtre du Lucernaire… Mais le Prix Jean-Jacques Lerrant (Révélation théâtrale de l’année) attribué à Pauline Bayle, pour son Iliade et son Odyssée d’après Homère, est, lui, tout à fait mérité (voir Le Théâtre du Blog). «Il faut seulement « être convaincu de l’absolu nécessité de ce qu’on fait et pourquoi on le fait  et l’équipe est la chair du théâtre», a dit la jeune  metteuse en scène qui dirige le collectif A tire d’ailes.

 Sans surprise, Benjamin Lavernhe a été  désigné Meilleur Comédien pour le rôel de Scapin dans Les Fourberies de Scapin de Molière, mise en scène de Denis Podalydès  à la Comédie-Française. «J’ai eu la chance, dit-il, d’avoir un rôle unique. Un rôle qui parle de notre métier et d’un type passionné, comme nous autres, comédiens.» Anouk Grinberg, elle, a dédié son prix de la Meilleure Comédienne, obtenu  pour son interprétation dans Un mois à la campagne d’Ivan Tourgueniev, mise en scène d’Alain Françon, à tous ses coéquipiers mais aussi à son père, Michel Vinaver présent dans la salle, dont la traduction «a fait renaître Tourgueniev». Emue, elle avait préparé un texte où elle parle de son travail: «Voler au-dessus de soi n’est jamais gagné, l’imposture vous guette. (…) Je ne veux pas être une montreuse. (…) La gentillesse entre nous a permis de tout jouer sans bavure…Alain Françon dit que le héros, c’est le texte…  et pour nous, comédiens, il faut être vivant devant les vivants».

 Enfin, salué chaleureusement par toute l’assemblée, Jean-Pierre Léonardini a reçu le Prix du meilleur livre sur le théâtre pour Qu’ils crèvent les critiques! publié aux Solitaires intempestifs. Il a eu un mot d’une bel humour: «C’est la première fois de ma vie que j’ai un prix. Je n’ai jamais gagné au grattage ou à la loterie». On reconnaît bien là l’homme généreux qui rend «hommage aux comédiens et à tous les artistes de la scène qui m’ont permis de vivre avec une véritable visée intellectuelle. Ce qui est important dans la critique, au jour le jour, c’est l’esprit. » Il cite, pour l’exemple, une critique du XIX ème siècle, Delphine de Girardin qui, déguisée sous le nom de Vicomte de Launay, publiait dans La Presse, le journal de son mari, des chroniques spirituelles : «Il faut être léger quand on veut être emporté tous les soirs». Ces mots vont si bien à notre confère qui parle avec précision de ce métier de critique mais toujours avec un brin de fantaisie, malgré le besoin chez lui d’avoir «une discipline de fer, si l’on se soucie de bannir les clichés et de tacler le lexique jusqu’à l’os. » 

Côté danse

Le palmarès est moins féminin, et assez contrasté. Le Grand Prix revient ex-æquo à Crowd, chorégraphie de Gisèle Vienne et à Finding Now, chorégraphie d’Andrew Skeels. Olivier Meyer, directeur du Théâtre Jean Vilar de Suresnes, venu recevoir ce prix en l’absence du lauréat,  dirige depuis des années le festival Suresnes Cités-Danse et voit son pari récompensé d’avoir suscité cette création qui marie hip-hop et danse contemporaine. Un mélange de styles de plus en plus fréquent et qui donne «droit de cité à de nouvelles formes». Dans Finding now, la danse contemporaine naît en effet d’un métissage réussi.

 Les huit danseurs du groupe Shechter II, âgés de vingt-et-un à vingt-cinq ans, reçoivent collectivement le Prix du meilleur interprète. Ils nous ont fait partager avec Show, chorégraphié par Hofesh Shechter, une danse ludique qui, peu à peu, bascule dans une farce sombre et violente.

 Bruno Bouché, directeur du Centre Chorégraphique National/Ballet de l’Opéra national du Rhin, a été nommé: Personnalité chorégraphique de l’année. Venu du corps de Ballet de l’Opéra de Paris et nourri de sa rencontre avec des chorégraphes emblématiques comme Pina Bausch, il répond à la question : que faire d’un ballet aujourd’hui, en allant vers «les artistes indépendants de la scène contemporaine». A la tête de trente-deux danseurs permanents «dont les postes, dit-il, sont à défendre en permanence», il privilégie le travail sur le terrain, et s’adresse aussi au jeune public en rayonnant entre Mulhouse, Colmar et Strasbourg…
Désigné comme la Meilleure Compagnie de danse pour Nijinski de John Neumeier (Transcendanses 2017-18), le Ballet national du Canada dirigé par Karen Kain, a su trouver sa place et son public au théâtre des Champs-Élysées.

 Les Meilleurs Livres sur la danse sont ex-aequo:  Danser avec l’invisible d’Akaji Maro, présentation et entretiens d’Aya Soiejima, un livre  publié chez Riveneuve éditions.  Elle a suivi pendant dix ans Akaji Maro et a eu de nombreux entretiens avec lui. Le chorégraphe japonais, disciple de Tatsumi Hijikata, créateur de la danse butô, a su marier plusieurs techniques à la recherche de l’humain  et révèle ici  sa philosophie au quotidien: «J’ai changé de manières de m’exprimer, en passant du théâtre à la danse, mais je me dis que la danse représente aussi la vie de chacun. Le théâtre, pour moi, est un art raffiné. Ma danse, elle, relève plus du rituel. C’est plus primitif.».

L’autre livre récompensé est Poétiques et politiques des répertoires. Les danses d’après, tome 1 d’Isabelle Launay, publié aux éditions du Centre National de la danse. Cette chercheuse à l’Université Paris VIII met en avant le travail des danseurs et leurs débats : «La pertinence se trouvent aussi dans leurs dissensions». Dans un premier tome fondé sur l’étude de trois milieux: l’Opéra national de Paris, la compagnie Merce Cunningham et le collectif Dominique Bagouet, elle analyse, au-delà de l’acte éphémère de danser, les mécanismes de transmission grâce auxquels «longue peut être la vie d’un geste dansé.»

Mireille Davidovici

Cette remise des prix a eu lieu le 18 juin, au Théâtre Paris-Villette, Paris XIXème.

APCTMD (Association professionnelle de la critique de théâtre, de musique et de danse), Hôtel de Massa, 38 rue du Faubourg Saint-Jacques, Paris XIVème.

 


Archive pour 21 juin, 2018

La Légende d’une vie de Stefan Zweig

La Légende d’une vie de Stefan Zweig, adaptation et mise en scène de Caroline Rainette

©compagnie etincelle

©compagnie etincelle

L’une des rares pièces de théâtre de Stefan Sweig, jamais jouée en France. Le spectacle nommé dans la catégorie: « Meilleur Comédien dans un premier rôle » aux P’tits Molières 2017, est repris ici.

C’est l’histoire d’un fils écrasé par la mémoire d’un père vénéré de tous et d’une employée rongée par le poids des mensonges. En cette fin de journée, on est à la veille de la présentation publique de la première œuvre poétique de Friedrich, fils du célèbre écrivain Karl Amadeus Franck, véritable légende  encensée par son épouse et par sa biographe Clarissa von Wengen.

Légende d’une vie a été créée en 1919  et pour son auteur, c’est un «drame moral et contemporain  et le combat du fils contre la figure légendaire et faussée du père défunt qui l’opprime moralement et qu’il commence à aimer après avoir arraché le masque héroïque modelé par la famille et reconnu l’homme coupable et humain en lui. »
C’est un adaptation de la pièce et on ne verra ni sa veuve, l’autoritaire Léonor, gardienne auto-proclamée de l’œuvre de son époux, et son premier amour, Maria…Mais on retrouve ici les thèmes chers à Stefan Zweig:  le culte du secret dans les  familles, le difficile essai de constitution de l’identité, la vérité et le mensonge… Terrifié par le regard des bourgeois et intellectuels de la haute société, Friedrich lucide, ne supporte plus d’avoir à suivre les traces de ce père vénéré de tous, ce Karl Franck qui n’a jamais été le grand homme que le monde connaît. Il va découvrir toute une partie de sa vie… moins reluisante et fondée sur des mensonges et qui a été volontairement cachée.

Clarissa, elle, a été manipulée pour y parvenir. Au cours d’une longue conversation  avec  cette jeune femme qui prépare la publication du livre, Friedrich  voit se révéler les méfaits de son père et se livre alors à un douloureux combat intérieur pour se libérer d’une admiration illégitime. Clarissa  lui révèle aussi que sa mère a souffert de la domination de son mari. Lennie Coindeaux qui joue ce fils déchiré a une belle présence,  comme Caroline Rainette, dont le personnage  est plus ambigu.
Un spectacle tout en nuances et qui permet de découvrir une œuvre jamais jouée en France, du magnifique écrivain autrichien né en 1881 et qui s’est suicidé au Brésil en 1942.

Edith Rappoport

Théâtre du Lucernaire, 80 rue Notre-Dame des Champs, Paris VIème, jusqu’au 8 juillet. T:  01 45 44 57 34.

Théâtre Antoine, saison 2018-2019

Théâtre Antoine, saison 2018-2019

 theatreAntoineParler du théâtre Antoine, c’est comme parler des trains qui arrivent à l’heure : tout va bien. Beau théâtre inauguré en 1866 et qui fut ensuite celui d’André Antoine  où il  fit scandale avec Les Bouchers (1888) en mettant de la vraie viande sur scène. Il utilisa le nouvel éclairage à l’électricité, et fit le noir dans la salle. Bref, il inventa avec Firmin Gémier le statut de metteur en scène moderne. C’est là aussi, entre autres, que furent créées, avec un grand succès public,  nombre de pièces de Jean-Paul Sartre.

indexFrancis Huster, Yasmina Reza et quelques autres : le théâtre Antoine a ses pensionnaires intermittents. De l’écrivaine, sera repris l’inusable Art, à la fin de la saison et l’acteur fera l’ouverture à l’automne 2018 avec Pourvu qu’il soit heureux, une pièce de Laurent Ruquier, le gérant avec Jean-Marc Dumontet de la société d’exploitation du  théâtre. Le thème de cette pièce?  Le « coming out” d’un jeune homme (Louis Le Barazer, future star?). Ses  bons bourgeois de parents (Francis Huster et Fanny Cottençon)  en sont tout déboussolés mais s’en remettront.
 Il y a aura aussi Plaidoiries, mise en scène d’Eric Théobald: Richard Berry refera les plaidoiries les plus fortes liées aux affaires criminelles qui ont remué l’opinion, donnant, par le prisme de la justice, un portrait de l’époque et de la société française.

  f7a055a73e0508583f7e53dcdb18f8fdAutre fait de société, les Lettres à Nour de Rachid Benzine ou le dialogue perdu  d’un homme qui tente de se trouver, entre un père philosophe rationaliste et sa fille  qui est allée combattre en Irak. L’auteur a déjà présenté la pièce dans des prisons,  lors de programmes de « déradicalisation ». Avec ici Eric Cantona; ceux qui ont aimé Looking for Eric de Ken Loach, retrouveront la tendresse bourrue et généreuse de cet acteur, ancien footballeur.

Même la fantaisie ambigüe et satirique de Huit Euros de l’heure de Sébastien Thiéry (est-il au courant du tarif horaire actuel d’une femme de ménage?) avec Dany Boon (mûri et sans oreilles rouges) et Valérie Bonneton, reste « politiquement correcte“: tous les malheurs- petits et grands- de leur femme de ménage se répercutent sur les patrons, obligés, du coup, à prendre soin d’elle…

Humanisme,  le mot sur lequel Jean-Marc Dumontet a souvent insisté, pour cette saison : tolérance, dialogue, ouverture à l’autre… Ce théâtre rend peu de risques, formels ou idéologiques, encore que… Cela commence à être en effet risqué de se proclamer humaniste, en ces temps de cynisme politique. Cette saison au Théâtre Antoine serait presque  un manifeste de la qualité française, à l’image de ces vedettes modestes (oui, oui !), optimistes (oui, disent-ils, le théâtre peut faire bouger les choses!) et de ce public bienveillant, plutôt grisonnant mais comme partout dans les théâtres. Maison de confiance ajustée à l’époque avec sérieux et sincérité, le théâtre Antoine a toutes les qualités nécessaires pour durer…

Christine Friedel

Théâtre Antoine, 14 boulevard de Strasbourg, 75010, Paris Xème.

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