La saison 2018-2019 du Théâtre de la Tempête

La  saison 2018-2019 du Théâtre de la Tempête

img_7694Pour commencer, il faut savoir finir : le Théâtre de la Tempête a clos sa saison  avec trois soirées, orchestrées par  Clément Poirée, son directeur,  des Contes d’amour de folie et de mort. Trois soirées où le théâtre n’était pas « comme d’habitude“. Manière de dire que tout avait bougé : la billetterie, l’usage des lieux tous ouverts au public comme jamais : loges, scènes, locaux techniques (en partie), bureaux… Chaque espace étant habité par un comédien et un texte, au risque d’interférences troublantes, dans ces lumières bleutées qui font baisser les voix.

Manière de dire que le théâtre n’est pas sans danger, frissons et magie : le tout sous une pluie légère de notes tombées d’un piano haut perché. Dans le désordre : Silvina Ocampo, Pascal Quignard, Alejo Carpentier, César Valejo, Edgar Allen Poe, Danill Harms, Franz Kafka, Horaco Quiroga, Gabriel Garcia Marquez,  Copi, Virgilio Diaz Grullon… Les comédiens de la saison sont revenus conter en confidence, et au mieux de leur talent, des histoires franchissant le mur du fantastique. À vous de les lire, maintenant, par les soirs d’été.

Bonne entrée en matière pour la prochaine année : montrer que le théâtre ne s’arrête pas. De fait, le Théâtre de la Tempête présentera plusieurs spectacles qui ont déjà été joués, et même parfois beaucoup joués. Le Pas de Bême, conception collective, inspirée de L’Objecteur de Michel Vinaver, mise en scène  d’Adrien Béal. L’expérience d’un réfractaire sans cause a déjà été vécue sur le vif dans pas mal de théâtres et est toujours aussi corrosive, en douce. Idem pour Samo, a tribute to Basquiat de Koffi Kwahulé, mise en scène de Laetitia Guédon. Ces spectacles commenceraient-ils à être «culte» ? Dans un tout autre style, on n’en n’a pas fini avec la vitalité mélancolique du Cyrano de Bergerac d’Edmond Rostand, mise en scène de Lazare Herson-Macarel et Eddie Chignara.

Il y aura du « pointu »  avec Les Évaporés, ces disparus volontaires, (en japonais surtitré) et un documentaire poétique, Saint-Félix, ou ce que recèle un village de quarante-cinq habitants, par Elise Chateauret. Et aussi l’inclassable et populaire cabaret Karl Valentin avec Vols en piqué, mis en scène par Patrick Pineau, le retour de Gérard Watkins- qui réalisa l’année dernière Scènes de violences conjugales-  avec Ysteria, sur la mise en scène du féminin comme pathologie.

La question de l’identité travaille le théâtre d’aujourd’hui. Dans Au plus noir de la nuit d’André Brink, adapté et mis en scène par Nelson-Rafael Madel, une troupe dansante interroge cinq générations en Afrique du Sud. Pauline Sales, avec J’ai bien fait, regarde ce qui fait le sens de la vie -qui suis-je, au bout du compte ?- et Roser Montiló Guberna et Brigitte Seth posent la même question : effaçons les frontières de genre et l’on verra se qui se produira…

Une bonne saison, une saison comme une autre ? Celle-ci intronise solidement Clément Poirée,  successeur de Philippe Adrien, comme directeur du théâtre de la Tempête, fondé, rappelons-le, par Jean-Marie Serreau ( 1915-1973). Une histoire à assumer. Le maître de maison reprendra La Vie est un songe de Pedro Calderón de la Barca (voir Le Théâtre du blog). Parcours initiatique, cette pièce fondatrice mérite d’être travaillée et retravaillée.

Clément Poirée créera aussi Les Enivrés de l’auteur sibérien Ivan Viripaev, de plus en plus joué en Russie et en Europe. Ciel et enfer «dans la lignée des personnages de Dostoïevski». «J’essaie, dit-il,  d’écrire sur l’invisible, sur la réalité spirituelle cachée à nos yeux. Et malheureusement, nous sommes aveugles.» Une façon de rappeler que le théâtre, depuis Dionysos, est le lieu de cet enivrement terrible et joyeux.

Christine Friedel

Théâtre de la Tempête, route du Champ de manœuvre, Cartoucherie de Vincennes. T. : 01 43 28 36 36.

 

 

 

 


Archive pour 26 juin, 2018

Delta Charlie Delta de Michel Simonot, mise en scène de Justine Simonot

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Delta Charlie Delta de Michel Simonot, mise en scène de Justine Simonot

 Le 27 octobre 2005,  Zyed et Bouna, des adolescents meurent électrocutés dans le transformateur où ils s’étaient réfugiés durant une course-poursuite avec la police. Un troisième survivra. Le soir même, des émeutes éclatent à Clichy-sous-bois (Seine-Saint-Denis). En 2015, aura lieu le procès final de deux policiers pour «non-assistance à personnes en danger »: ils seront relaxés.
Voilà résumé, si possible, la tragédie d’une mort «pour rien» de ces enfants -quinze et seize ans- qui couraient, parce que la police courait derrière eux. Sans avoir commis aucune infraction, ils couraient et la police est plus formée à l’interpellation des “suspects“, qu’à la protection des mineurs.

Le malheur et la forteresse du destin: le transformateur et ses vingt-mille volts. « S’ils entrent sur le site, je ne donne pas cher de leur peau », a dit un policier qu’on a entendu sur le canal-radio. Ironie tragique, l’énorme étincelle qui tue ces garçons et brûle grièvement le troisième, provoque un court-circuit qui plonge, entre autres, le commissariat dans le noir: « marre de travailler dans des locaux vétustes ».

Tout est en place et rien n’est à sa place. La pièce de Michel Simonot sélectionnée par plusieurs comités de lecture, a obtenu,  entre autres récompenses, le Prix des lycéens pour les nouvelles écritures dramatiques. L’auteur interroge les récits et les mots, un à un et minute par minute. L’événement, le drame lui-même, il l’avait déjà exploré avec Lancelot Hamelin, Sylvain Levey et Philippe Malone dans L’Extrordinaire tranquillité des choses (2006). Ici, il confronte la chronologie des faits et les minutes du procès mais la pièce n’a rien d’un documentaire, même si tout est exact et vérifié.

 Un travail sur le vrai. Et le vrai de la tragédie est indicible. Par la voix du Chroniqueur (ici Clotilde Ramondou) et de chacun, dans sa fonction : policiers et leur routine, juges et avocats, voix des enfants- le texte vient et revient sans cesse sur l’enchaînement des faits et sur les «trous»: sur ce qui a été dit et non dit. De cette apparente répétition, naît une poésie du manque : la parole et les mots tournent autour de ce basculement.
Appelons cela le destin: une série de moments fatals-certains minuscules-mène à l’irréparable. Il faut garder ici le terme: «moment». En latin movimentum: le grain de sable qui fait pencher la balance. Le texte sasse et ressasse le récit pour retenir le plus petit grain de vérité… Mais on n’a jamais tout et ce manque-là est l’indicible qu’habite le tragique et le silence de l’inacceptable.

Justine Simonot met en scène la pièce avec une parfaite rigueur : ni pathos-impossible avec ce texte- ni abstraction ; les acteurs donnent leur voix à des personnes dans la société telle qu’elle est, à des moments banals que, seule, la mort ici une étincelle géante, rend extraordinaires (Xavier Kuentz et Catherine Salvini pour les adultes, Zacharie Lorient et Alexandre Prince pour les voix des enfants).
La mise en scène peine un peu et cela se comprend par la nature même des messages et de leur support,quand il faut « faire théâtre » de commentaires sur les réseaux sociaux : comment rendre présents les propos de celui qui se cache derrière l’écran ? Il y a là quelque chose à trouver. Belle lamentation funèbre chantée de Muhittin, le survivant qui pourrait être incarné.

La musique -électronique et en direct- d’Annabelle Playe ne rythme pas seulement les différents mouvements de la pièce et n’illustre pas.  Mais elle crée un décor sonore et vibrant qui donne à voir la course des ados dans le chantier et le cimetière (!), leur élan sur le mur en parpaings du transformateur, les lueurs bleues des voitures de pompiers…

« Revenu de l’enfer, pourquoi tant d’années à me questionner maintenant que j’ai perdu les mots ? »: les deux garçons morts  et le seul survivant ont l’âge d’Antigone. Ils ne sont pas des héros mais des «victimes ou vaincus». Et un emblème pour toute une génération dans les quartiers dits «sensibles ». Comme dans Antigone, on connaît la fin mais on ne lâche jamais cette vraie tragédie contemporaine, indispensable. Et elle ne vous lâche pas non plus.

 Christine Friedel

Spectacle vu à L’Echangeur, Bagnolet (Seine-Saint-Denis). Le livre est publié aux éditions Espaces 34. À lire du même auteur, Le But de Roberto Carlos aux  éditions Quartett.

Et du 5 au 10 novembre, Anis Gras, Arcueil (Essonne).
Le 10 janvier, Théâtre de la Tête Noire, scène conventionnée, Saran (Loiret).
Le 12 février, Les Treize Arches, Scène nationale de Brive (Corrèze); le 19 février, Scènes Croisées de Lozère, Scène conventionnée de Mende; le 21 février, Théâtre du Périscope, Nîmes (Gard).

 

Festival des Ecoles du Théâtre public


Festival des Ecoles du Théâtre public

 Organisé par le Théâtre de l’Aquarium à la Cartoucherie de Vincennes. Il y a en France quatorze écoles supérieures d’art dramatique qui forment des comédiens professionnels. En juin après trois ans de formation, a lieu un spectacle dit de sortie dirigé par un metteur en scène expérimenté. La Manufacture de Lausanne  a ouvert le bal.

Ça ne se passe jamais comme prévu, mise en scène de Tiago Rodrigues 

311CCC51-9C51-4E07-91A6-0373E62776BALa promotion sortante : Donatienne Amann, Raphaël Archinard, Julie Bugnard, Greg Ceppi, Angèle Colas, Isabela De Moraes Evangelista, Catherine Demiguel,Laura Den Hondt, Morgane Grandjean, Isumi Grichting, Camille Le Jeune, Pépin Mayette, Guillaume Miramond, Samuel Perthuis, Victor Poltier, Lucas Savioz a travaillé pendant deux mois avec Tiago Rodrigues, acteur, dramaturge, metteur en scène, et directeur artistique du Teatro Nacional D. Maria II à Lisbonne. Bien connu en France où il a notamment créé en 2016 au Théâtre de la Bastille le remarquable spectacle Bovary, d’après le procès Flaubert voir Le Théâtre du Blog) Avec comme principe une plus grande liberté de jeu accordé aux comédiens  et une économie de moyens évidente. Règle d’or pendant deux ces mois de travail intense: savoir que les choses ne se passent jamais comme prévu.  Ici donc un groupe de seize étrangers découvre Lisbonne et tente de monter un spectacle au cours duquel, tout comme la vie dans cette cité, rien ne se passe comme prévu.
Sur le plateau, une toile de fond avec la photo du Principe Real, un parc de Lisbonne, une pelouse de gazon artificiel, une table avec des verres et des bouteilles de ginjiha, la liqueur de cerise chère au cœur des Lisboètes, et une bande de seize jeunes comédiens sympathiques, très à l’aise sur ce grand plateau et qui expliquent le mode d’emploi du spectacle…

Tiago Rodrigues leur a fait visiter la ville non les lieux sites touristiques mais ceux qui le touchent. La boutique du gantier Ulysse, le Principe Real, un beau petit parc. Et le metteur en scène leur a aussi fait  d’aller découvrir Lisbonne et rapporter des sensations, anecdotes, etc. pour écrire son texte. Une vision, une sensation, une anecdote,  comme cette vieille  dame  cueillant une feuille pour en sentir le parfum, des promenades dans les rues, sur la place de Rossio, au centre de la capitale,  avec la statue de Pedro IV, premier empereur du Brésil,  au début du XVIII ème.  Mais qui serait celle de Maximilien de Habsbourg, empereur du Mexique; faute d’argent le gouvernement  l’aurait accepté du sculpteur… Mais aussi l’ancienne prison de l’Aljube où les opposants à Salazar étaient torturés, les promenades au bord du Tage, les vieux palais, des histoires d’amour discrètement évoquées, la célébration annuelle le 25 avril, de la fameuse Révolution des œillets en 1974, la fin de la dictature de Salazar et du colonialisme, et enfin l’insurrection après des années de torture et d’assassinats d’opposants. Tiago Rodrigues leur aussi  beaucoup parlé du grand poète Camões : «Changent les temps et changent les désirs…»

 Puis le metteur en scène, à partir de ce matériau de base, a écrits seize lettres d’adieu, une pour chacun des jeunes apprentis-comédiens, avec différents niveaux d’écriture:  cette fiction est aussi en quelque sorte aussi une sorte de roman d’apprentissage. A la fois individuel mais aussi collectif puisque lié à un voyage d’études, mais le dernier  avant la grande séparation de ces seize élèves. Ce qui rend toujours un spectacle de sortie empreint d’une certaine nostalgie mais aussi d’une envie d’en découdre après trois ans d’école avec le milieu professionnel…
Cela commence plutôt bien avec l’idée pleine d’humour de jouer La Cerisaie d’Anton Tchekhov à cause de la gijinha mais vite abandonnée…  Et puis chaque comédien va dire sa lettre. Diction et gestuelle impeccables: on sent que ces élèves ont été bien formés et avec une grande rigueur. Oui, mais voilà, le résultat n’a rien d’un spectacle mais tient plutôt d’une sorte d’audition de monologues tout à fait soporifique après quelques lettres d’autant plus qu’on donne numéro à chaque fois! Bref, Tiago Rodriges nous a habitués à beaucoup mieux. Plus ennuyeux: comment arriver à discerner le potentiel de jeu de chacun, puisqu’il n’y a pratiquement aucun échange et seulement quelques rares dialogues! Et comme cela dure plus de deux heures, l’éternité est bien longue surtout vers la fin. Dommage !

 Philippe du Vignal  

Le spectacle s’est joué eu du 21 au 24 juin. Pour les autres en cours jusqu’au 1er juillet, voir le site du Théâtre de l’Aquarium.
(Entrée gratuite mais réservation indispensable)

Théâtre Gérard-Philipe, Saint-Denis. T. :  01 48 13 70 00 reservation@theatregerardphilipe.com
Théâtre de l’Aquarium. T. :  01 43 74 99 61 du mardi au samedi de 14h à 19h, pour tous les spectacles présentés à la Cartoucherie : retrait des billets au Théâtre de l’Aquarium le jour de votre venue.
Théâtre de la Cité Internationale, boulevard Jourdan, Paris XIVème. T. : 01 43 13 50 50 reservations@theatredelacite.com


 

 

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