Tragédies romaines de Shakespeare, mise en scène d’Ivo van Hove

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Tragédies romaines de William Shakespeare, mise en scène d’Ivo van Hove, traduction de Tom Klejin, musique d’Eric Sleichim

 Il s’agit d’une sorte de revisitation des trois tragédies dites « romaines »: Coriolan, Jules César, Antoine et Cléopâtre où Ivan van Hove, avec sa troupe du très officiel Toneelgroep Amsterdam, veut observer comment fonctionne l’actualité politique ou si on préfère les mécanismes de l’Histoire… pour aboutir à cette conclusion: les hommes et femmes politiques de la Rome antique étaient déjà les cousins germains des nôtres qui  » veulent toujours transformer la société pour en créer une meilleure, dit le metteur en scène;  je crois que les politiciens sont toujours sincères dans leurs intentions, même Saddam Hussein qui croyait que ce qu’il faisait était la meilleure chose pour son peuple, comme le pensait aussi Georges W. Bush, et comme le pensent les héros de Shakespeare: Coriolan, Brutus, César ou Cléopâtre.”

Sur le très grand plateau de Chaillot – dix-huit mètres d’ouverture- côté jardin et côté cour, des timbales, gongs, et un arsenal de magnétos etc. et quelques vrais palmiers en pot, des tables en stratifié blanc avec nombreux ordinateurs portables et téléphones, une quinzaine de grands canapés gris de style contemporain, avec autant d’écrans vidéo qui diffusent des images de Kennedy, Trump, et scène de guerre, etc. Et où on peut suivre aussi le spectacle avec les acteurs en gros, voire en très gros plan. Et où nous accueille une phrase de Bob Dylan: “God, I’m glad, I’m not be”.

 Sur le plateau, côté cour, une grand comptoir avec une place pour la maintenance vidéo, une autre pour le maquillage et enfin un coin bar boissons sandwichs comme sur le côté cour (payant mais pris d’assaut). Une voix off invite les spectateurs à venir sur  scène et à y rester et/ou à en repartir… (mais les places dans la salle ne sont pas numérotées) Ce dont ils ne se privent pas… Plus confortable en effet d’être assis dans un canapé avec une bière quand il faut envisager plus de cinq heures de spectacle:  il fait légèrement moins chaud que sur les gradins en haut!)

 10762ABF-F7D8-4B54-811A-D8CB43B1B3C5 Il y a aussi un très grand écran au-dessus de la scène, avec en-dessous  une bande passante en lettres rouges qui  communique les  morts des héros dès qu’ils ont été assassinés, avec leurs dates de naissance et de décès, mais aussi l’actualité la plus récente du style: Emmanuel Macron refuse d’ouvrir  des centres d’accueil pour migrants, Junker rencontre Trump, etc. et la chronologie de la soirée: changement de décor (en réalité déplacement de quelques praticables et tables) achevé dans cinq minutes, fin du spectacle vers vingt-quatre heures, changement de décor  suivant dans trente-cinq cinq minutes.Mais aussi les –rares- commentaires ou questions de spectateurs à propos de ces Tragédies romaines. Voilà: au cas où on n’aurait pas compris, Ivo van Hove veut mettre l’accent avec le scénographie imaginée par  Jan Versweyveld, sur la communication  et en particulier sur la communication politique avec pour truchement, ces écrans d’ordinateurs qui ont envahi l’espace privé comme public depuis une dizaine d’années. Et bien entendu, une émission d’actualité télévisée où on peu voir les différents chefs de guerre interviewés tandis que défilent des images de combats aériens… Mais cette invasion de l’espace scénique avec tous ces spectateurs qui font la queue ou se lèvent de leur canapé pour aller chercher une boisson, finit par parasiter l’action…

  Du côté du texte, Ivo van Hove a fait faire une nouvelle traduction, brillante si l’on en juge  par le surtitrage. Mais il a coupé toutes les scènes de guerre traduites ici par des moments de musique électronique avec ronflements de basses ( des distributeurs de bouchons  sont à disposition à l’entrée de la salle pour oreilles sensibles). En fait n’ont été gardées pour Coriolan et Jules César que les scènes entre dirigeants politiques. Pour Antoine et Cléopâtre on a droit à la presque totalité du texte, ce qui est sans doute trop,  la pièce, rarement jouée et pour cause, est bien bavarde. De toute façon, il était impossible de garder l’intégralité des pièces, le spectacle actuel durant déjà cinq heures quarante cinq!

Tous les comédiens font un travail d’une qualité exceptionnelle,malgré l’amplification des voix grâce à ces horribles petits micros sur la joue rendus encore plus visibles sur l’écran. Les quatorze acteurs très concentrés et capables de jouer près de jeunes amoureux lovés dans un canapé. Très crédibles dès qu’ils entrent sur le plateau,  en costumes contemporains, ils ont quelque chose d’impressionnant quand ils incarnent ces monstres politiques empêtrés dans des amours compliquées. L’histoire n’a pas beaucoup changé! On sent ces acteurs capables de tout jouer: une tragédie antique ou shakespearienne sur fond de luttes politiques et de guerre mais aussi d’amour, comme un polar ou une série télé, toujours avec un grand  professionnalisme et avec aussi une certaine distance. Les actrices jouant aussi des rôles d’homme comme César. Plus discutable… Raison invoquée par Ivo van Hove: “Parce que de nos jours les femmes (…) font partie du personnel politique. Elles dirigent une certain nombre de gouvernements en Europe et ailleurs.” Vous avez dit: syllogisme?

Côté mise en scène. Rien à dire : le spectacle est remarquablement réglé et bénéficie d’une impeccable technique. Les équipes d’Ivo van Hove et de Chaillot savent faire et ce n’est pas rien, quand il y a quatorze acteurs, quatre musiciens et tout un parc technologique -donc fragile- à gérer cinq heures durant. Ce qui suppose de sécrées mises au point…
 Sur le plan artistique, la mise en scène qui a dix ans d’âge (le spectacle  avait été créé au festival d’Avignon mais nous n’avions pu le voir) pouvait encore à l’époque,  impressionner.  Mais il a maintenant quelque chose d’un peu racoleur. On ne comprend pas ce choix scénographique: pourquoi vouloir inviter le public sur la scène ce qui parasite la vision qu’on a des acteurs qui ont peu de place pour jouer et sont donc très peu visibles par la majorité du public sauf par le biais de nombreux écrans devant les canapés.
 Le tout étant retransmis presque en intégralité sur le grand écran au dessus de la scène et la plupart du temps en très gros plan. Avec un côté voyeur mais sans même une véritable intimité. Dans ces cas-là, qu’apporte un aussi beau plateau de théâtre comme celui de Chaillot, sinon la possibilité d’y faire joujou et loger une bonne soixantaine de spectateurs ravis d’y pénétrer?  Autant alors réaliser un film…
On s’étonne aussi qu’Ivo van Hove utilise encore ces stéréotypes qu’il a contribué à créer: un son de basse assez accablant et des lumières stroboscopiques (heureusement peu fréquentes)  mais aussi des cadreurs poursuivant un comédien qui s’échappe par les passerelles de la salle pour aller dire son monologue dehors devant les fontaines du Trocadéro! Et qu’on voit en direct sur l’écran…Tous aux abris! Mais bon, le public rit de bon cœur!
Côté dramaturgie, la bande passante indique bien les enjeux politiques mais résume trop vite la situation et des étudiants près de nous avouaient ne  pas bien comprendre  ces guerres de Coriolan et cette histoire de triumvirat romain. Par ailleurs, cette prétendue réflexion sur la démocratie à partir d’extraits de ces tragédies romaines est beaucoup trop longue- une manie de l’époque- et finalement décevante. Nous n’avons pas trouvé ici comme annoncé: une « encyclopédie des différentes formes de langage politique » mais plutôt  un ensemble de scènes parfaitement réalisées mais souvent mal enchaînées, pas toujours très claires qui se laissent voir deux heures; ensuite on s’ennuie, à cause essentiellement d’une dramaturgie poussive où le public se perd facilement. On est bien loin en tout cas, de la puissance des Kings d’après aussi William Shakespeare, qu’avait montés par Ivo van Hove et qu’on avait pu voir il y a quelques années sur ce même plateau. Mais ici, la démonstration est loin d’être convaincante… Et comme disait une mienne consœur avec pertinence: « la partie la meilleure et la plus dense était  Jules César et bon après, on avait compris… »
 Alors à voir? Seulement pour ces formidables acteurs très bien dirigés : une grande leçon d’interprétation mais trop, c’est trop! Enfin, vous n’êtes pas obligés de rester cinq heures quarante-cinq! Comme prévu, à la fin, la salle était loin d’être pleine…

Philippe du Vignal

Spectacle vu le 29 juin,  au Théâtre national de la danse, Place du Trocadéro, jusqu’au 5 juillet. T. : 01 53 65 30 00.

 

 

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